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— Vous voulez dire que les gens de Monsieur sont allés chasser sans lui ?

— Hé oui ! Des indifférents ! Des ingrats qui ne songent qu’à leur plaisir ! Et je jurerais que tu as couché avec au moins la moitié d’entre eux… si ce n’est avec tous !

Réconfortée à l’idée que, même sans Monsieur, le plan marchait, Marie se mit à rire :

— Ah ça, c’est impossible ! Une moitié des gentilshommes du duc d’Anjou préfère les hommes et l’autre moitié me déplaît. Sa Majesté devrait m’accorder crédit d’un goût plus sûr.

La Reine-mère sortit en haussant des épaules furieuses mais cette petite escarmouche avait allégé l’atmosphère chez Anne d’Autriche, où la belle-mère n’était appréciée de personne à l’exception peut-être de Mme de Lannoy, et encore ! On savait que la dame d’honneur était habitée par un étrange esprit de contradiction dont les filles d’honneur avaient appris à se méfier. L’une d’entre elles, Mlle de Quélus, chuchotait même qu’elle avait un faible pour le Cardinal et Doña Estefania s’en méfiait. Il est vrai qu’elle avait une raison personnelle : la parole rapide et haut perchée de la dame n’était pas souvent compréhensible pour sa connaissance réduite et largement approximative de la langue française.

Les rites de la matinée royale se déroulaient donc agréablement quand arriva la princesse de Conti qui, après les politesses de la porte, prit Mme de Chevreuse à part :

— Vous êtes sûre que tout va bien ?

— Si l’on veut ! Monsieur, toujours aussi courageux, s’est déclaré indisposé depuis l’aurore mais les… autres sont partis pour la chasse.

— Les autres ? Mais pas le jeune Chalais que je sache ? Je viens de le voir entrer dans la chapelle à la suite du Roi…

— Vous êtes certaine ?

— Je sais que je suis plus vieille que vous mais ma vue est excellente ! Je l’ai vu, vous dis-je !

— Oh ! C’est trop fort !… Il va falloir qu’il m’explique !

Elle s’éclipsa aussitôt, traversa la Cour Ovale et se rendit dans le vestibule d’honneur sur lequel ouvrait la tribune de la chapelle de la Sainte Trinité. Elle eut juste le temps de se réfugier dans un renfoncement : Louis XIII, qui était seulement venu faire quelques dévotions, en sortait suivi d’une poignée de gentilshommes parmi lesquels, à l’évidence, se trouvait l’homme qui portait tous ses espoirs. Marie dut alors se faire violence pour ne pas se précipiter sur lui et lui demander des explications, mais il était en train de parler avec Louvigny à la suite du Roi. Il valait mieux attendre : dans quelques instants le groupe se séparerait. C’était l’heure du Conseil où Louis allait rejoindre le Cardinal et ses autres ministres.

Les portes refermées par les gardes armés de pertuisanes, ce fut ce qui se produisit. Certains partirent d’un côté, d’autres de l’autre. Marie n’hésita plus et rattrapa les deux hommes qui poursuivaient leur conversation.

— Que vous arrive-t-il, messieurs ? Vous ne vous quittez plus ? Votre servante, monsieur de Louvigny ! Ne devriez-vous pas être au chevet de votre prince que l’on dit fort mal ce matin ?

Le large sourire dont celui-ci l’avait accueillie se changea en grimace :

— Moi qui étais sottement heureux d’une rencontre si agréable, voilà que vous voulez m’en priver ? Ce n’est pas charitable ! Quant à Monsieur, il n’est pas moribond et je voulais voir Chalais…

— Moi aussi, figurez-vous ! Alors pardonnez-moi de vous l’enlever ! Juste un instant et je vous le rends.

— Ah non ! Je préférerais que vous le laissiez aller et que « vous » reveniez avec moi !

— Nous verrons !

Elle entraîna son prisonnier dans l’embrasure d’une fenêtre et attaqua en prenant soin de baisser sa voix :

— J’attends des explications ! Que faites-vous ici ? A l’étonnement de la jeune femme il n’eut pas l’air embarrassé le moins du monde :

— Vous le voyez ! Ce matin je ne pouvais pas partir avec les autres, j’avais mon service et je pensais que vous le saviez…

— Sans doute, mais n’étions-nous pas convenus…

— Je sais, cependant gardez confiance ! Certes, nous ne pouvons compter sur Monsieur, mais les siens sont en forêt où ils doivent passer la journée. Je les rejoindrai comme prévu !

L’explication était valable mais Marie n’en fut pas rassurée pour autant. Elle n’appréciait guère le ton inhabituel de sa voix où elle croyait déceler une gêne. Chalais lui cachait quelque chose et elle aurait bien voulu savoir quoi mais elle n’eut pas le temps de poser d’autres questions : un homme déjà âgé et de grande mine venait de faire son apparition et se dirigeait vers eux avec l’allure de qui a trouvé ce qu’il cherchait. Chalais dit, très vite :

— Voilà mon oncle, le Commandeur de Valençay qui vient par ici. Quittons-nous ! J’irai vous voir cette nuit…

— Cela m’étonnerait ! Je reste chez la Reine cette nuit… et demain il ne me plaira peut-être plus de vous recevoir !

Le regard du jeune homme s’affola :

— Pourquoi être si cruelle ? Je fais votre volonté et vous savez combien je vous aime…

— Paroles, mon cher ! Je vous attends aux actes sinon…

Elle n’en dit pas plus, prit à sa ceinture son éventail d’ivoire et l’agitant comme pour chasser une odeur désagréable, elle tourna le dos à son amoureux désolé et s’éloigna en balançant gracieusement les hanches.

Le reste de la journée s’écoula à son rythme normal mais la nuit fut interminable. La Reine avait ordonné que l’on dresse un lit pour son amie dans sa chambre, faveur inouïe qui fit pincer bien des lèvres mais parut enchanter Mme de Conti. Celle-ci préférait de beaucoup savoir sa belle-sœur en sécurité dans le château que seule dans un hôtel à l’écart où tout pouvait lui arriver dès que l’on apprendrait la mort du Cardinal. Ce qui n’assura cependant pas le sommeil à Marie. Ni elle ni la Reine ne fermèrent l’œil, trop occupées à suivre par la pensée le déroulement du drame qui devait se jouer au château de Fleury puis, après minuit, guettant un éclat, un appel ou simplement le galop du cheval d’un messager venu apprendre au Roi qu’il n’avait plus de ministre…

La nuit fut d’un calme accablant jusqu’à ce qu’aux approches du jour, le palais parût s’étirer en faisant entendre les premiers bruits du réveil. Chez Anne d’Autriche, le service commençait quand Mme de Bellière, première femme de chambre – et membre du complot ! – qui était allée prendre le vent du côté de chez le Roi, accourut hors d’haleine :

— Le carrosse du Cardinal ! Il vient d’entrer dans la cour…

— Est-il dedans ? demanda Marie. Ou est-ce son secrétaire qui vient…

— Oh non ! C’est lui ! Il ne va pas chez le Roi mais chez Monsieur !

En effet Gaston d’Anjou qui était dans son lit encore à moitié endormi se crut être en train de faire un mauvais rêve quand il vit Richelieu entrer dans sa chambre, tout souriant, pour le gronder paternellement de lui avoir caché à quel point sa maison de Fleury lui plaisait !

— Vos gentilshommes m’avaient annoncé que vous alliez y venir souper, Monseigneur, et j’ai été désolé qu’un mal imprévu vous empêche de me faire ce plaisir. Mais qu’à cela ne tienne ! Dès à présent, Fleury est à vous !

— Mais… mais… et vous-même, Monsieur le Cardinal ?

— Oh, ne vous mettez pas en peine ! J’ai non loin d’ici une autre maison de campagne…