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— … et que vous pensez avoir trouvé en Louvigny ?

— Pourquoi pas ? Il n’est pas hanté, lui, par les scrupules stupides d’un gamin qui va pleurer dans le giron de son oncle au lieu de me donner les preuves que j’attendais de lui. Il suffit de se souvenir de son duel avec Charles de Monchy d’Hocquincourt.

Ce n’était certes pas une page de gloire : alors que les épées allaient s’engager, Louvigny avait proposé doter les éperons et, profitant de ce que son adversaire se baissait sans défiance, il avait frappé, lui infligeant une blessure dont il eut peine à se remettre. Chalais fit la grimace :

— Ne me dites pas que vous l’admirez pour cette… infamie ?

— Personne ne le pourrait mais il n’en est pas moins celui dont j’ai besoin. Si je lui demande de tuer le Cardinal, il n’ira pas le raconter à la terre entière. Il agira… et recevra la récompense qui lui était promise.

En lui parlant, Marie retournait s étendre sur son lit de repos en prenant soin de laisser dépasser non plus un pied mais une jambe divine dont la vue empourpra le jeune homme.

— Et pour lui, vous comptiez payer d’avance ? fit-il avec humeur.

— Ce que j’aurais fait ne regarde que moi. Je veux la mort de ce maudit Richelieu afin que Monsieur puisse coiffer la couronne et épouser la Reine…

— Le trépas du Cardinal ne suffira pas ! Il y faudrait aussi…

Marie eut un petit rire sardonique :

— Celui du Roi ? Si Dieu ne s’en charge pas assez vite nous pourrions y songer. Ce perpétuel malade serait tellement mieux en Paradis ! A présent, laissez-moi, voulez-vous ? Je vous ai écrit que je ne voulais plus vous voir et je n’ai pas changé de sentiment ! Allez-vous-en !

— Pour laisser la place à Louvigny ? Jamais !

— En effet… s’il fait ce que je voulais de vous. Je serai à celui qui m’apportera… les moustaches du Cardinal ! La tête serait trop encombrante. Mais je consens à vous accorder encore une chance ! Voyez si elle mérite d’être courue !

D’un mouvement gracieux elle glissa de nouveau du sofa, s’écarta de quelques pas puis d’un geste vif laissa tomber sa robe. En un instant, elle fut nue devant lui, merveilleuse statue de chair douce que le feu habillait d’or et que la splendeur de sa chevelure couronnait de flammes…

Eperdu, il tendit les bras pour s’emparer de la trop belle image mais, déjà, elle avait ramassé sa robe et disparu derrière une porte dissimulée dans la boiserie. Il ne resta plus que l’écho d’un rire moqueur…

N’osant forcer les portes, Chalais repartit, en proie au plus cruel embarras. Richelieu, après l’avoir remercié d’être venu le prévenir, lui avait offert le grade de mestre de camp[24] s’il acceptait d’user de son influence sur Monsieur pour l’amener à se laisser marier. C’était une situation cornélienne avant la lettre. N’étant pas dépourvu d’une certaine valeur militaire, Chalais voyait dans cette nomination la voie ouverte sur une grande carrière au bout de laquelle s’esquissait l’image du bâton de maréchal. Mais une autre vision s’interposait : celle, affolante, d’un corps éblouissant dont le désir ne le quitterait plus.

Ce fut la femme qui l’emporta. Au matin, il lui faisait remettre par son valet une lettre dans laquelle il se soumettait entièrement à ses volontés, l’adjurant cependant de ne pas faire durer trop longtemps son martyre : « Votre beauté m’a rendu fou, disait-il. Faites de moi ce que vous voudrez mais apaisez, je vous en supplie, le feu qui me brûle… »

En recevant cette capitulation enflammée, Marie eut un sourire radieux. Allons, tout n’était pas perdu et ce qui ne s’était pas produit un jour pourrait l’être le lendemain !…

Elle donna ensuite l’ordre de préparer ses coffres. La Cour rentrait à Paris et elle n’était pas fâchée de voir ce que devenait son époux. Mais lorsqu’elle arriva rue Saint-Thomas-du-Louvre, ce fut pour apprendre que Monseigneur était parti l’avant-veille pour Dampierre : une partie du parc s’était trouvée inondée par la rupture d’une vanne et Bois-pillé appelait d’autant plus au secours qu’une tractation, engagée avec un voisin pour l’acquisition d’une parcelle destinée à l’agrandissement des jardins, soulevait des difficultés. Chevreuse s’y était rendu sur-le-champ.

Déçue, Marie hésita un instant à le rejoindre bien qu’elle éprouvât l’envie extrême de se retrouver à Dampierre à quoi, à chaque revoir, elle s’attachait davantage. Elle aurait voulu aussi embrasser ses enfants. Qu’elle aimait en dépit du peu de souci qu’elle prenait à le leur montrer. Mais consciente du danger que pouvait présenter pour eux le nœud d’intrigues dont elle tissait les fils, elle choisit finalement de rester à Paris afin de les en tenir écartés. C’était valable aussi pour Claude. En l’éloignant de Fontainebleau, le Roi, sans doute, voulait l’isoler d’elle mais peut-être aussi épargner des angoisses à un homme qu’il aimait bien…

De toute façon, Claude reviendrait quand il saurait que le Roi était de retour dans sa capitale.

Pas pour longtemps ! En se rendant au Louvre un matin, Marie trouva le palais en plein remue-ménage et la Reine fort troublée : Louis XIII venait d’apprendre, via le Cardinal, que César de Vendôme, retranché dans sa Bretagne, était en train d’y lever des troupes. Dans quel but ou contre qui, c’est ce qu’il s’agissait d’éclaircir. Aussi l’urgence commandait-elle de se diriger vers la Loire avec pour première destination le château de Blois. Il appartenait à la Reine-mère mais celle-ci se faisait une joie d’y accueillir ses fils, consacrant ainsi la reconstitution de la famille un instant ébranlée.

En effet, Louis XIII, Marie de Médicis et Gaston d’Anjou avaient signé la veille un document soigneusement préparé par le Cardinal aux termes duquel tous trois juraient de vivre désormais dans la plus étroite union. Aux assurances de bonne conduite données par Monsieur répondait la promesse du Roi de traiter à l’avenir son frère comme son propre fils. Quant à la mère, elle se portait garante de cette double promesse. Entraîné par l’exemple, le prince de Condé faisait allégeance au Cardinal !

Une seule personne restait à l’écart de cet étrange traité : celle qui était à la fois l’épouse, la bru et la belle-sœur des membres de la touchante trinité familiale. Anne d’Autriche ressentait douloureusement un accord dont elle redoutait à juste titre qu’il se soit fait sur son dos, que le mariage Montpensier s’ensuivît et qu’en fin de compte sa répudiation probable se profile à l’horizon. Sans doute faudrait-il compter alors sur un Pape peu disposé à satisfaire un souverain qui le traitait si mal, mais Anne savait qu’en politique rien n’était impossible. Surtout si l’on parvenait à obtenir contre elle une quelconque preuve de son adhésion au Parti de l’Aversion et à ce qui s’en était suivi.

Dans ces conditions, elle ne pouvait qu’appréhender le voyage en direction de la Loire au bout de laquelle était la Bretagne.

— Je ne vous cache pas que je suis inquiète, confia-t-elle à Mme de Chevreuse. Nous emmenons plus de troupes que n’en comporte l’escorte habituelle et je crains fort que le Roi ne veuille attaquer le duc de Vendôme pour lui arracher son gouvernement.

— Lever des troupes ne signifie pas forcément que l’on va rentrer en rébellion !

— Allons donc ! Vous connaissez mieux que moi le duc César !

— Je le crois déterminé à forcer un destin dont il estime qu’il lui a été contraire. Il aurait dit à l’un de ses familiers qu’il espérait ne revoir le Roi son frère qu’en peinture.