Выбрать главу

— Voilà un familier fort bavard ! Sait-on si le Grand Prieur l’a rejoint ?

— Demandez à Mme du Fargis ! C’est elle qui me l’a appris !

— Que cette dame d’atour est donc bien renseignée ! marmotta Marie qui commençait à trouver encombrante une femme aussi remuante qui fourrait son nez partout. Je me demande d’où elle le tire… Quoi qu’il en soit, il est facile de savoir si Alexandre de Vendôme est dans son palais du Temple. Je lui ferai parvenir un billet pour m’en assurer… et l’engager à ne quitter Paris sous aucun prétexte…

— Faites-le vite, dans ce cas ! Nous partons demain et vous serez avec moi. Je vous emmène.

— La Reine ne craint pas de déplaire au Roi ?

— Un peu plus ou un peu moins, cela n’a guère d’importance tandis que votre présence en a. J’ai besoin d’une amie auprès de moi.

— Votre Majesté m’enchante… mais la princesse de Conti ?

— Ne nous accompagne pas. Elle m’a demandé un congé de quelques semaines pour se rendre dans ses terres de Picardie.

Marie en fut surprise, un peu froissée aussi. Sa belle-sœur et elle étaient très proches et elle ne comprenait pas pourquoi Louise lui avait caché son intention de s’absenter. Elle comprit même encore moins quand, rentrée afin de préparer le nouveau voyage, elle trouva chez elle un billet dans lequel celle-ci la priait de la rejoindre le soir même à minuit dans l’église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés[25] mais s’y rendit ponctuellement sans chercher à en apprendre davantage ainsi qu’il convenait lorsque l’on était engagé dans une conspiration.

Ce fut pour y recevoir une preuve d’affection qui n’avait rien à voir avec les obscurités d’un complot : Louise-Marguerite de Guise, princesse de Conti, épousait secrètement cette nuit-là François de Bassompierre. Celle que le Roi appelait « le péché » et celui qui passait pour le plus grand coureur de jupons du royaume avaient choisi finalement de faire consacrer l’amour fidèle qui les unissait depuis longtemps. Elle avait quarante-six ans, il en avait quarante-sept. Pourtant, un tel bonheur irradiait leurs visages qu’il leur rendait l’éclat de leurs vingt ans et quand le prêtre unit leurs mains sous sa bénédiction, Marie, bouleversée, laissa couler des larmes, d’émotion sans doute, mais peut-être aussi d’envie car elles avaient un goût amer ! L’épouse de Claude pouvait mesurer à cet instant l’étendue de sa solitude…

CHAPITRE XII

DU SANG SUR LES MAINS…

La Cour mit quatre jours pour atteindre Blois par Chartres, Toury et Orléans d’où l’on descendit la Loire sur de grandes barques aménagées. Le temps de ces premiers jours de juin était délicieux et, en dépit du puissant appareil guerrier qui rejoignait la ville ducale par voie de terre – et ne laissait aucun doute sur l’intention du Roi de prévenir la révolte de son demi-frère ! –, la Reine et Mme de Chevreuse y prirent un certain plaisir. Et pour la meilleure des raisons : Richelieu n’était pas du voyage. Malade, il gardait le lit dans son château de Limours non loin d’Etampes.

Son absence ravissait aussi le comte de Chalais, obligé de suivre le Roi de par sa fonction de Maître de la Garde-Robe. Cela lui permettait de reporter à plus tard le projet d’assassinat dont Marie l’avait investi et il en éprouvait un soulagement. La santé du Cardinal n’étant guère plus solide que celle de Louis XIII, on pouvait même rêver de le voir partir pour un monde meilleur sans le secours d’un quelconque estafier. Ce qui serait un vrai cadeau du Ciel !

Quand on fut à Blois, il fallut bien constater que Louis XIII savait faire preuve de poigne sans l’assistance d’un ministre qui cependant semblait lui être devenu cher. Par deux fois, le Cardinal avait offert sa démission. Par deux fois elle avait été refusée. La seconde fois par une lettre ne laissant aucun doute sur la détermination royale à le protéger :

« Mon cousin, j’ai vu toutes les raisons qui vous font désirer votre repos que je désire avec votre santé plus que vous pourvu que vous le trouviez dans la conduite principale de mes affaires. Tout, grâce à Dieu, y a bien succédé depuis que vous y êtes et j’ai toute confiance en vous…

« Ne vous amusez point à tout ce qu’on vous en dira, je dissiperai toutes les calomnies que l’on saurait dire contre vous… Assurez-vous que je ne changerai jamais et que quiconque vous attaquera vous m’aurez pour second. »

Ce fut au lendemain de l’arrivée au château que prit fin l’illusoire euphorie du voyage. Ce jour-là, après avoir entendu la messe dans la chapelle du donjon[26], Louis alla saluer sa mère avec laquelle il s’entretint un moment puis partit pour une chasse au sanglier.

Les paroles échangées avec son fils procurèrent sans doute un vrai plaisir à la Florentine car elle se hâta d’en faire part à sa bru :

— La mansuétude de votre époux me charmera toujours, ma fille, lui dit-elle. Alors que le duc de Vendôme s’efforce de soulever la Bretagne contre lui et qu’au Temple, le Grand Prieur ne cache pas sa sympathie pour les ennemis du royaume, il leur offre la paix avant même que les armes aient parlé ! C’est la marque d’une grande âme, ne trouvez-vous pas ?

— Certes, madame, mais comment le Roi l’entend-il ?

— Des messagers sont partis l’un pour Rennes, l’autre pour Paris afin d’inviter les Vendôme à venir prendre langue avec lui et d’essayer de s’entendre. Une guerre est toujours un malheur et vous savez combien mon fils est économe du sang de ses soldats comme de celui de son peuple… Les Vendôme sont de vos amis, je crois ?…

— C’est beaucoup dire ! A l’exception de la duchesse Françoise qui est la meilleure créature et la plus aumônière de la terre, je n’ai guère eu l’occasion de rencontrer le Duc, ni d’ailleurs le Grand Prieur !

— Eh bien, voilà un regret que vous n’aurez plus puisqu’ils vont venir ici… Le cadet surtout devrait avoir des choses à nous dire…

Comme d’habitude, après avoir craché quelques gouttes de son venin, la Reine-mère repartit de son pas lourd qui faisait craquer les parquets des palais loyaux. Un silence suivait généralement ses départs, mais Marie ne laissa pas s’éterniser celui-là. Elle haussa les épaules et se mit à rire :

— Quand je pense qu’elle est persuadée de nous faire énormément de peine ! Le duc César se gardera de quitter sa Bretagne. Quant à son frère, je lui ai fait porter une lettre…

Et pourtant, trois jours plus tard Alexandre de Vendôme arrivait à Blois. En dépit de l’avertissement donné par Mme de Chevreuse, il n’avait pu résister à l’appât tendu par Richelieu du fond de son lit : une possibilité d’obtenir la survivance de l’Amirauté laissée vacante par un Montmorency.

L’accueil qu’il reçut n’avait rien d’inquiétant. Le Roi se montra sinon aimable – il ne fallait tout de même pas lui en demander trop ! –, du moins très courtois, et s’étonna que César de Vendôme n’eût pas répondu lui aussi à son invitation :

— Il peut venir à Blois, dit-il. Je vous donne ma parole qu’on ne lui fera pas plus de mal qu’à vous-même.

Fort de cette assurance, le Grand Prieur, l’œil rivé sur l’Amirauté, adjura son aîné de le rejoindre pour en discuter. Il était indispensable, en effet, que César abandonne ses propres prétentions au commandement suprême de la Marine guigné par lui depuis longtemps. N’était-ce pas la charge idéale pour le maître de la Bretagne, cette terre de marins ? Et Alexandre de Vendôme fit tant et si bien qu’en dépit de sa méfiance et de sa haine pour Louis XIII – n’était-il pas le premier fils d’Henri IV ? – César, arrogant et superbe à son habitude, fit son entrée à Blois.