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 « Ce n’est pas à cette heure que j’ai reconnu de la divinité dans vos beautés mais bien commençai-je à apprendre qu’il faut vous servir comme une déesse puisqu’il ne m’est pas permis de vous faire savoir mon amour sans courre fortune de la vie. Prenez-en donc soin puisqu’elle vous est en tout dédiée et dites à ce compagnon de mes malheurs qu’il vous souviendra quelques fois que je suis le plus amoureux des hommes !… »

Déjà suspecte et fort inquiète de son sort à venir, Marie jugea plus prudent de ne pas lui répondre. Son silence déchaîna la colère du prisonnier. Dans les interrogatoires qu’il subit, d’abord du Commandeur de Valençay, son oncle, et du marquis d’Effiat, du Chancelier de Marcillac, et même de Richelieu en personne, il commença par faire des allusions au rôle que Mme de Chevreuse avait joué auprès de lui, puis comme elle ne réagissait toujours pas, il l’accusa carrément, parlant d’elle en termes de plus en plus méprisants et dénonçant ses projets, ses intrigues…

Le duc de Chevreuse, lui, ne s’était pas encore manifesté mais il avait envoyé le fidèle Bautru afin que celui-ci pût dispenser à son épouse ses sages conseils. Le premier qu’il lui donna fut de demander audience au Cardinal pour intercéder en faveur de Chalais : plus elle le disculperait et moins elle-même serait chargée. L’idée révoltait l’orgueil de Marie mais elle finit par s’y résoudre et alla au château de Beauregard où Richelieu s’était installé.

Il la reçut avec sa courtoisie habituelle. C’était toujours un tel régal pour les yeux que la contempler ! Il la laissa parler pendant un moment, plaidant pour ce « malheureux Chalais » l’irresponsabilité.

— Ce n’est pas un homme, c’est une girouette qui tourne à tous vents, expliqua-t-elle. Comment Votre Eminence pourrait-elle croire que j’aie pu bâtir sur lui une quelconque intrigue, surtout visant le Roi ? Il faudrait que je fusse aussi folle que lui. Ce n’est pour moi qu’un ami, charmant d’ailleurs et que j’apprécie…

Le regard du Cardinal se chargea d’ironie :

— Il semble vous apprécier aussi… mais de façon différente ! Il dit que vous êtes coquette, cruelle, vénale, intrigante, que vous ne songez qu’à vous-même, que vous avez voulu l’entraîner dans une aventure insensée…

Il égrenait les mots injurieux d’une voix paisible, avec un demi-sourire, tout en guettant sur le visage mobile de sa visiteuse les progrès de la colère… Elle écoutait, les yeux agrandis, le souffle plus court… Alors il poursuivit :

— … mais que grâce à Dieu, il vous avait percée à jour et qu’il a fait semblant d’entrer dans vos vues.

— Il a fait semblant ?…

Le Cardinal s’attendait à ce qu’elle éclate en imprécations mais ce fut de rire. Et c’était un vrai rire, moqueur, si joyeux qu’il désarçonna Richelieu parce qu’il semblait ne plus pouvoir s’arrêter et mit les larmes aux yeux de Marie.

— Je ne pensais pas que vous trouveriez cela si amusant ! Il faut aussi vous préciser qu’il vous accuse de l’avoir poussé au régicide…, assena-t-il.

Le rire s’arrêta net. Marie prit un mouchoir pour essuyer les larmes de ses yeux.

— Vous avez raison, Monsieur le Cardinal. Et je n’en ai plus la moindre envie ! Pas plus que je n’avais envie de prendre pour amant un homme de si peu de sens ! Il ne cessait de m’en prier pourtant et, comme je me suis toujours refusée à lui, il se venge, tout simplement ! Parlons franc, Monseigneur ! Je n’ai jamais caché l’éloignement que m’inspirait le projet de mariage de Monsieur, mais uniquement parce qu’il faisait souffrir la Reine à qui je suis entièrement dévouée parce qu’elle est bonne, malheureuse et mérite qu’on l’aime…

— A merveille ! Le meilleur moyen de la rendre heureuse ne serait-il pas de la débarrasser d’un époux qu’elle n’aime pas ?

— Le meilleur moyen serait que notre sire se décide à lui faire un enfant, ce qui, depuis un moment déjà, me paraît le cadet de ses soucis. Que la Reine devienne enceinte et Monsieur pourra bien épouser qui il voudra ! Avant de s’en prendre aux autres le Roi devrait commencer par s’interroger… et se chercher un médecin qui ne le mène pas aux portes de la mort à tout bout de champ ! Songez-y, Monseigneur ! Un dauphin balaierait cet amoncellement de nuages et serait votre meilleure assurance pour l’avenir.

— Vous n’aimez pas le Roi, madame de Chevreuse !

— Est-ce qu’il m’aime, lui ? C’est vrai, je n’en fais pas mystère mais là aussi c’est sa faute… Au temps où j’étais Mme de Luynes, j’étais son amie préférée, au point que la Reine fut jalouse de moi. Et de mon côté j’avais de la tendresse pour lui. Ce n’est pas moi qui me suis détournée, Dieu m’en est témoin !

— Une cruelle déception sans doute pour qui rêve de devenir la favorite !

— Et pourquoi pas ? s’écria Marie avec orgueil. Une favorite n’est pas fatalement une catastrophe pour le royaume comme le fut la marquise de Verneuil. Je lui aurais au moins appris comment s’y prendre avec une femme pour que la sienne ne considère pas le lit conjugal comme un instrument de torture !

Ce fut au tour du Cardinal de laisser échapper un éclat de rire.

— Vous avez réponse à tout, Madame la Duchesse, mais revenons à Chalais… et à ses accusations !

— Comment puis-je y répondre ? Il est fou et accuserait n’importe qui… la Reine elle-même afin d’échapper à sa prison ! Interrogez Monsieur ! Il vous dira que j’ai fait de mon mieux pour le retenir d’épouser Mlle de Montpensier mais rien d’autre. Il aime son frère et n’aurait pas toléré que l’on évoque seulement le moindre attentat.

Richelieu avança sa lèvre inférieure en une moue dubitative mais ne fit pas de commentaire :

— Chalais dit aussi, et je le cite, que vous êtes « enragée contre ma personne ». Que vous vouliez qu’il me tue.

— Toujours ses exagérations ! Admettez cependant que je n’ai aucune raison de vous porter dans mon cœur ! Vous avez chassé l’homme que j’aime, vous êtes l’ennemi des Grands dont je suis et vous combattez notre Saint-Père le Pape ! Non je ne vous aime pas et je voudrais vous voir écarté du pouvoir mais la vie m’est trop précieuse pour que je souhaite l’ôter à qui que ce soit… C’est si beau la vie !

— Quand on est jeune et belle, je veux bien vous croire ! Chalais doit partager votre opinion… et il risque de la perdre !

Mise aussi brutalement en face de la réalité, Marie sentit un pincement au cœur :

— Ce serait inutilement barbare de l’en priver. Ce malheureux n’est qu’un inconséquent dont la plus grande faute est, pour ce que j’en sais, d’avoir voulu plaire à chacun ! Quant à frapper le Roi, il en serait incapable : il faut un rude courage pour supporter l’idée d’être tiré à quatre chevaux. Et ce courage il ne l’a pas…

Dans les jours qui suivirent Chalais apporta de l’eau au moulin de Marie en se comportant vraiment comme un insensé. Quand il n’écrivait pas des lettres injurieuses à la Duchesse, il s’abandonnait à un sombre désespoir. Il ne se lavait plus, laissait pousser sa barbe, arpentait sa prison en poussant des cris affreux, hurlant qu’il était « pis que damné et voudrait être en enfer avec ses pareils ». M. de Lamont, exempt de la Compagnie écossaise des gardes du corps commis à sa surveillance avec six de ses hommes, voulut le raisonner :

— Au nom de Dieu, monsieur, souvenez-vous que vous êtes dans la communion des chrétiens !

— Foutre que le christianisme ! hurla-t-il. Je suis certainement en état d’être sermonné alors que je me sens disposé à faire comme les Romains : à m’empoisonner, à me casser la tête contre les murs, à me détruire !