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— Songez à ce que vous dites ! Il n’y a pas de Paradis pour ceux qui se tuent eux-mêmes !

— Eh, que me parlez-vous du Paradis ? Je vous dis que je veux aller en Enfer !… D’ailleurs j’y suis déjà.

— Alors de quoi vous plaignez-vous ? Pendant ce temps une scène violente mettait aux prises Anne d’Autriche et son époux en présence de l’inévitable belle-mère. La Reine avait « reçu l’ordre » de se rendre chez le Roi et là, elle ne trouva pour s’asseoir qu’un tabouret alors qu’elle aurait dû prendre place dans un fauteuil, comme les deux autres… Elle eut un haut-le-corps en le voyant et le repoussa du pied avec dédain, choisissant délibérément de rester debout en face du Roi qui faisait les cent pas. Du coup, celui-ci s’assit composant ainsi avec sa mère un semblant de tribunal. Ce qui la blessa. Cependant Louis attaquait :

— Vous avez à répondre devant nous de vos actes, madame, et même de vos pensées. Voilà des mois que vous ne cessez de comploter contre moi et contre le royaume, vous la reine de France !

— C’est faux ! Je n’ai jamais rien fait qui puisse nuire au royaume ni à vous, sire !…

— En personne sans doute mais vous aviez partie liée avec le maréchal d’Ornano, avec le duc de Vendôme et le Grand Prieur qui sont à présent à Vincennes.

— Souhaiteriez-vous m’y envoyer ? En ce cas n’hésitez pas et voyez le bel effet que cela produira sur les cours étrangères, singulièrement celle d’Espagne où mon frère…

— A votre place j’éviterais d’en parler. J’ai signé la paix avec Philippe IV et ne m’en dédis point, mais il est roi et comme tel ne saurait approuver vos intentions criminelles. Oseriez-vous nier que vous vouliez me voir mort afin d’épouser Monsieur ?

— Epouser Monsieur ?

Elle eut un léger rire très insultant, puis avec un mépris suprême :

— J’aurais trop peu gagné au change !

La mère de Gaston prit feu instantanément :

— Voyez-moi l’insolente ! Que croyez-vous donc être pour vous permettre de mépriser un fils de France ? Vous auriez été trop contente de lui donner votre main afin de conserver la couronne si les plans criminels de vos amis avaient atteint leur but ! Vous devriez avoir honte…

— C’est vous qui devriez avoir honte, méchante femme que vous êtes ! Depuis que nous sommes mariés, le Roi et moi, vous n’avez jamais cessé de vous mêler de ce qui ne vous regardait pas et, surtout, de mettre la discorde entre nous parce que vous ne supportiez pas de me laisser la première place comme il convient quand on est l’épouse d’un Roi ! Restez à la vôtre, madame, et tant que vous y êtes emmenez donc avec vous ce mauvais prêtre, ce Richelieu dont on peut se demander s’il est vraiment chrétien !

— Vous ne savez pas ce que vous dites, madame, coupa le Roi. C’est un mauvais système de défense que d’accuser autrui. Le Cardinal me sert et me sert bien.

— Il dresse contre vous votre noblesse, les autres souverains d’Europe, y compris le Saint-Père ! s’écria Anne en se signant rapidement. Et il fera tant et si bien qu’il ne vous restera bientôt plus que des domestiques parce qu’il veut vous isoler afin de vous tenir mieux à sa merci ! Et votre mère l’aide dans cette entreprise.

— Il suffit, madame ! Songez à répondre de ce que l’on vous reproche avant de vous occuper de ma politique. Avez-vous oui ou non, souhaité ma mort et agi…

— Non, sire ! Jamais. Que Dieu m’en soit témoin !

Elle sortit sur ces dernières paroles sans attendre qu’on l’y invite et regagna ses appartements où Marie l’attendait. Ce fut en la retrouvant qu’Anne se souvint que son nom n’était pas venu une seule fois aux lèvres de Louis XIII ni de Marie de Médicis. Elle ne savait trop s’il fallait s’en inquiéter ou s’en réjouir – dans la situation où elle se trouvait, la présence constante de son amie lui était précieuse – mais de cette volonté de silence elle n’augurait rien de bon. Marie non plus :

— Le nom que je porte me protège peut-être, émit celle-ci, ou alors on attend d’avoir réuni contre moi assez de preuves pour m’accuser à coup sûr ?

— Peut-être devrais-je vous conseiller la fuite, ma chevrette, mais je vous avoue manquer de courage : votre présence en ce moment est mon seul réconfort…

— Même si vous l’ordonniez, madame, je ne fuirais pas. Ce serait avouer que j’ai quelque chose à me reprocher et que ce malheureux Chalais dit vrai !…

Le 5 août les fiançailles de Gaston d’Orléans et de Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier, furent célébrées par le cardinal de Richelieu dans la chapelle de l’Oratoire de Nantes, sans le moindre faste et presque dans l’intimité, mais Mme de Chevreuse fut contrainte d’y assister ainsi qu’à l’écroulement définitif de ses plans. Le mariage eut lieu le lendemain, dans la chapelle des Minimes, toujours sous la houlette du Cardinal qui unit les époux et célébra la messe. Marie était encore là… bouillant d’une colère qu’il fallait bien ravaler.

Ce même 5 août, Louis XIII signa des lettres patentes instituant une chambre de justice criminelle chargée de juger Chalais. La Chambre se réunit le 11 août dans une salle du couvent des Cordeliers.

« Après les premières formalités d’usage, lecture fut donnée des pièces de la procédure. Le lendemain, le procureur général requérait ajournement contre diverses personnes pour les impliquer dans les poursuites, notamment Mme de Chevreuse, MM. de la Louvière, Bois d’Annemets, Puylaurens et quatre autres. La Chambre conformément à ces conclusions rendait un décret de prise de corps contre ces inculpés en réservant toutefois que le décret ne serait exécutoire qu’après avoir été contresigné par le Roi. Louis ne signa pas[30]… » Marie ayant déjà été interrogée par le Cardinal fut laissée libre mais avec interdiction de bouger du logis de la Reine qui devenait ainsi garante de son amie. Le 18 août, la Chambre rendait son arrêt : Chalais était condamné à mort. La sentence ordonnait que dès le lendemain, il serait décapité publiquement, que sa tête serait exposée au bout d’une pique sur la porte Sauvetout et que son corps, coupé en quatre, serait attaché à des potences dressées sur les principales artères de Nantes. En outre c’était la déchéance de noblesse pour sa postérité, déclarée « ignoble et roturière », la confiscation de tous ses biens marqués du sceau de l’infamie et ses bois abattus à hauteur d’homme…

La cruauté de l’arrêt vint à bout de l’orgueil de Marie. Elle s’écroula en larmes, d’autant plus amères qu’elle reçut une dernière lettre où le condamné lui demandait pardon de l’avoir accusée, insultée, vilipendée. Il devait en dire autant à ses juges, mettant sa colère sur le compte de sa jalousie : on lui avait assuré que Mme de Chevreuse le trompait. Alors, s’oubliant elle-même pour une fois, Marie demanda à être reçue par le Roi. Il lui fut répondu qu’elle devait s’estimer heureuse de n’être pas contrainte à assister à l’exécution et que l’on s’occuperait d’elle ensuite.

Cependant, depuis l’arrestation, la mère et l’épouse de Chalais, Charlotte de Castille, enceinte et près d’accoucher, étaient arrivées à Nantes et prenaient logis dans le village de Boispréau. La sentence les accabla. Dans un mouvement de désespoir, la princesse de Chalais fit tenir au Roi une lettre déchirante :

« Sire, je vous demande les genoux en terre la vie de mon fils. Que cet enfant que j’ai élevé si chèrement ne soit pas la désolation de ce peu de jours qui me restent. Je vous l’ai donné à huit ans : il est le petit-fils du maréchal de Montluc et du président Jeannin. Les miens vous servent tous les jours… Hélas, que ne mourut-il pas en naissant, ou du coup qu’il reçut à Saint-Jean ou en quelque autre péril où il s’est trouvé pour votre service !… »