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— Autrement dit, elle y est plus que jamais chez elle ! Vous venez d’ouvrir devant moi, mon cher La Porte, de bien séduisants horizons… La Reine y sera-t-elle vendredi prochain ?

— Sans aucun doute. Madame la Duchesse, et ne rentrera au Louvre que samedi…

Marie se mit alors à réfléchir à haute voix :

— Nous sommes à dix lieues de Paris environ… cela en fait vingt aller et retour avec un bon cheval, et j’en ai d’excellents. S’il est possible de l’abriter pendant que je serai chez…

— Soyez tranquille, je m’en chargerai.

— En ce cas j’y serais vers minuit ? Sauf évidemment s’il gelait…

— Nous remettrions alors au vendredi suivant. Pour ma part, j’attendrai Madame la Duchesse sous les arbres qui marquent l’entrée du couvent et je la guiderai jusqu’au jardin. Peut-être serait-il plus prudent… et plus pratique d’user d’un déguisement masculin ?

— J’y songeais justement en me demandant à qui je pourrais emprunter des vêtements. Ceux de mon époux sont beaucoup trop larges pour me convenir…

— La Reine y a pensé et elle vous envoie ceci, fit La Porte en allant chercher un assez gros paquet enveloppé de toile qu’il avait posé sur un fauteuil en arrivant. Elle connaît parfaitement les mensurations de Madame la Duchesse puisque à peu de chose près ce sont les mêmes que les siennes…

Tout en parlant, il tirait de la toile des chausses, un pourpoint, une chemise à grand col de guipure, de hautes bottes souples, un feutre gris à plume rouge… et une casaque de Mousquetaire que Marie considéra avec stupeur :

— N’est-ce pas une imprudence ? On sait que la compagnie de Monsieur de Tréville est partie en campagne à la suite du Roi !

— Pas entièrement. Il en reste toujours, les malades, les blessés et les quelques hommes chargés de garder le quartier général et de prêter main-forte si d’aventure les Reines pouvaient en avoir besoin. En outre, c’est une garantie contre les mauvaises rencontres. On sait ces messieurs chatouilleux et redoutables en conséquence. Sans compter que la prédilection dont le Roi fait preuve envers eux donne à réfléchir aux pires malandrins. Les seuls qui n’en ont pas peur sont les gardes du Cardinal… mais eux sont tous sans exception avec Son Eminence !

— Ce que c’est que d’arriver de province ! fit Marie en riant. On ignore une foule de choses… Eh bien, merci, Monsieur de La Porte, et à nous revoir vendredi.

Restée seule, elle remballa les présents de la Reine, chercha où les mettre, ne trouva pas et finalement fit appeler Peran. Il était à peu près le seul de la maisonnée – avec Anna – en qui elle avait une confiance absolue. Les autres étaient trop nombreux pour que Richelieu ait résisté à l’envie de glisser au moins l’un de ses espions parmi eux…

Quand il fut devant elle, massif et silencieux à son habitude, elle lui commanda d’emporter le ballot dans le petit pavillon de l’île, où elle avait décidé de « passer la nuit de vendredi prochain », et de l’y déposer dans un coffre de bois sculpté qui se trouvait près de l’entrée, après quoi il fermerait à clé et lui rapporterait celle-ci discrètement dans la journée du lendemain.

— Et, ajouta-t-elle, tu auras soin vendredi soir de harnacher un cheval – Lancelot ou Priam – et de le mener à la grille nord du parc où tu m’attendras…

La première partie du programme n’avait suscité aucune réaction de la part du Breton. La deuxième alluma une lueur dans son œil de granit :

— Je vais avec vous ?

— Non. Peu avant l’aube, tu iras rechercher le cheval au même endroit. Ah ! j’allais oublier : pas de selle d’amazone et des pistolets armés dans les fontes.

Cette fois, Peran fronça un sourcil :

— Quelque chose me dit que vous feriez mieux de m’emmener !

— Eh bien, ce quelque chose te trompe. Tu me seras beaucoup plus utile ici où personne – tu entends ? Personne – ne doit savoir que je serai absente cette nuit-là ! Seule Anne saura… Tu as compris ?

Il hocha la tête affirmativement mais il n’était pas difficile de deviner à sa mine qu’il n’était pas content : chaque pouce de son épaisse personne proclamait sa réprobation. Elle finit par sortir :

— Vous êtes sûre que vous n’allez pas faire une bêtise ?

Le ton était raide mais Marie ne se fâcha pas. Au contraire, elle sourit en posant une main rassurante sur l’épaule solide :

— Je ne suis sûre de rien mais il faut que je voie la Reine. Elle m’appelle, tu comprends ? Elle a besoin de moi. Mais tout se passera bien, j’en suis certaine…

— Si vous le dites… N’empêche que…

— Tout ira bien, tu verras…

Le vendredi venu, Madame de Chevreuse qui, pour d’obscures raisons, s’était levée du mauvais pied après une nuit « détestable en tous points » annonça à ses femmes qu’elle irait dormir la nuit suivante dans le pavillon de l’île pour y être plus au calme. Il fallait donc y faire du feu et préparer le lit. Herminie demanda alors si elle devait y suivre la Duchesse :

— Ce serait peut-être plus convenable, susurra-t-elle, un rien acide. Madame la Duchesse, toute seule au milieu de l’étang !

— C’est justement de cela que j’ai besoin, m’entends-tu ?

— Ouuuu… i ! Comptez-vous y passer l’hiver, ma cousine ?

La moutarde monta au nez de Marie. Au diable la curieuse !

— Je compte y rester jusqu’à ce que l’on ait fait disparaître du grenier les rats qui ont mené cette nuit la sarabande au-dessus de ma tête. Tu as d’autres objections à formuler ?

— Oh non ! Ce que j’en disais…

L’œil bleu de Marie noircit d’un seul coup. Cette gamine n’allait pas se mettre en tête de veiller sur elle… donc de la surveiller ? Auquel cas il faudrait aviser. En attendant, elle prit quelques précautions, s’accordant une sieste dans la chaise longue du salon de musique en vue de la nuit blanche passée à cheval qui l’attendait, soupa confortablement mais sans s’alourdir et finalement quitta le château, précédée de deux laquais porteurs de flambeaux qui l’accompagnèrent jusqu’au pont de bois reliant l’île au parc. À cet endroit elle les renvoya, gardant seulement l’un des luminaires, et alla s’enfermer dans son refuge dont elle commença par tirer soigneusement les rideaux des trois fenêtres donnant sur l’eau où un rayon de lune se brisait en éclats sous le souffle d’un vent léger. Le reste du bâtiment était entouré d’arbres qui l’isolaient davantage encore de la rive.

Changer de vêtements lui prit peu de temps. Ce fut plus long d’emprisonner ses cheveux dans une résille à larges mailles pour les fixer au sommet de la tête sous le feutre gris qu’elle coiffa de façon fort cavalière avant de jeter sur ses épaules le manteau d’uniforme. La veille, elle avait pris soin de venir cacher là une épée et une dague qu’elle attacha au baudrier et finalement, après un coup d’œil au miroir qui lui renvoya le reflet d’un joli petit mousquetaire un peu jeune sans doute en dépit de l’ombre de moustache naissante qu’elle s’était dessinée, elle s’adressa un sourire radieux et sortit du pavillon, le ferma avec précaution et déposa la clé sur l’entablement de la porte.

La nuit était belle, assez froide mais dépourvue d’humidité. Elle emplit ses poumons de son air vif puis courut en direction de la grille du parc où elle trouva Peran qui l’attendait, tenant en bride un puissant cheval à la robe sombre qui hennit à son approche : elle reconnut Lancelot.

— Tu n’as rien oublié ? demanda-t-elle tandis que Peran se remettait de sa surprise devant sa transformation.