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Ils n’avaient pas échangé une seule parole.

Le silence les enveloppa, troublé seulement par l’éclatement d’une bûche dans la cheminée. C’était le moment divin où les sens apaisés mènent doucement au sommeil dans lequel Marie, au moins, aurait dû s’enfoncer, mais par extraordinaire elle n’en avait plus envie. Etendue contre le flanc de son amant, la tête au creux de son épaule, elle laissait sa main errer lentement sur les muscles puissants d’un torse digne du ciseau d’un sculpteur, s’émerveillant de le trouver plus beau encore que dans son souvenir. Il avait dix ans de plus qu’elle mais aux approches de la quarantaine Lord Holland demeurait un splendide spécimen d’humanité, même si les traits de son visage se creusaient davantage, ce qui en accentuait l’énergie.

— Comment ai-je pu vivre si longtemps sans toi ? murmura-t-elle en se haussant jusqu’à sa bouche où elle posa un baiser plein de douceur.

Il se redressa, emprisonna le menton de la jeune femme entre ses doigts durs pour plaquer sa tête sur l’oreiller :

— C’est à moi que tu poses cette question ? Après bientôt trois ans ? Si je te manquais à ce point pourquoi n’es-tu pas venue à moi ?

— Parce que c’était impossible. Je devais sauver ma vie et fuir vers l’est, c’était la dernière possibilité qu’il me restât…

Il eut un rire bref et sec tandis que sa main resserrait sa pression autour du visage et que ses yeux bleus devenaient froids comme glace :

— Menteuse ! Quand tu as quitté Nantes, il t’était cent fois plus facile de chercher sur la côte un bateau pour gagner l’Angleterre que de traverser toute la largeur de la France !

Elle eut un sursaut, tenta de lui échapper, mais il la tenait solidement :

— Tu ne me crois pas ?

— Non parce que je te connais trop bien ! Tu savais que Charles de Lorraine était amoureux de toi. Tu as simplement voulu savoir s’il te baiserait selon ton goût. Alors dis-moi, ma belle putain ? C’était bon avec lui ? Meilleur qu’avec moi…

Il eut un cri de douleur. Comme il lâchait le menton de Marie pour immobiliser ses bras et la chevaucher de nouveau, elle leva brusquement la tête et lui mordit assez cruellement les lèvres pour qu’il relâchât sa prise. Glissant sur le lit comme une couleuvre elle lui échappa, sauta sur son ceinturon, dont elle tira la dague :

— Comment as-tu osé m’appeler ? gronda-t-elle d’une voix furieuse. Putain ? J’ai bien entendu ? Si j’en suis une, qu’es-tu donc toi-même ? Moi au moins, je n’ai jamais couché avec une femme alors que tu as été jadis, m’a-t-on dit, le mignon du vieux roi Jacques pour en obtenir titres, charges et argent. Je ne me suis jamais cachée d’aimer les hommes et qu’il m’était nécessaire de faire l’amour mais je ne me suis jamais fait payer…

— Non ? Et quand tu as obtenu de Chevreuse qu’il t’épouse au risque de partager ta disgrâce, c’était quoi ?

— Il était mon amant. C’était normal qu’il m’épouse…

— Vraiment ? Tu oublies que par Elen du Latz, ton ancienne suivante, j’ai pu en apprendre des choses ! Tu as allumé ce benêt comme une fille.

— Tu ne répéteras pas ça deux fois…

Emportée par la colère et oubliant toute prudence elle bondit sur lui, l’arme haute. Il para l’attaque et un instant ils luttèrent, corps à corps. La rage décuplait les forces de la jeune femme mais elle n’était pas de taille. D’un croche-pied, Henry la déstabilisa, la fit tomber sur le tapis, accompagna sa chute de tout son poids et couché sur elle, n’eut aucune peine à la fixer et à la désarmer en dépit de ses efforts pour se libérer. Comme une chatte en colère, elle lui cracha des injures au visage mais il ne fit qu’en rire. Il riait, il riait… et peu à peu les vociférations de Marie s’espaçaient, se changeaient en soupirs rythmés par la danse d’amour qu’il lui imposait et à laquelle elle s’accorda… mais en pleurant de rage. Alors, faisant trêve un instant à son désir, il embrassa doucement son visage inondé de larmes, sur les yeux, sur la bouche.

— Marie, chuchota-t-il, pardonne-moi ! Nous sommes fous tous les deux… moi surtout mais, vois-tu, c’est parce que je t’aime et que je n’en pouvais plus de t’espérer, de te désirer, de vivre sans toi… Mon amour… J’avais tellement faim de toi !

Alors elle lui sourit et se redressa pour glisser ses bras autour du cou d’Henry.

— Dans ce cas, il faut apaiser cette horrible faim… et achever ce que tu commençais…

Quand enfin ils se déprirent l’un de l’autre, un soleil pâle filtrait à travers les rideaux de velours vert. Cette vue dégrisa Marie.

— Mon Dieu ! Il fait grand jour ! Il faut que tu partes avant que l’on ne s’aperçoive de ta présence. J’ai ordonné, hier, que l’on me laisse dormir mais il serait étonnant qu’Anna ne vienne pas voir si j’ai besoin d’elle. Au fait ! Comment es-tu ici ?

— Lorsque j’ai su ton retour en France je me suis souvenu d’un ami qui habite un manoir non loin de celui-ci. Ton époux ayant suivi le Roi, l’occasion était trop belle de te rejoindre enfin. Je n’y ai pas résisté et je suis venu rôder autour de ta maison. Ma chance a été de rencontrer le brave Peran. Il m’a dit que tu étais absente et j’ai eu un mal fou à lui tirer quelques paroles mais à force de persuasion il a capitulé en me disant de t’attendre. Et je t’ai attendue… la nuit entière ! Où étais-tu, ainsi harnachée ? ajouta-t-il en montrant la tunique abandonnée sur un siège.

— Dans certain couvent du faubourg Saint-Jacques pour y rencontrer la Reine. C’est elle qui m’a fait porter ces vêtements. Qui est cet ami providentiel ?

— Louis de Montmort. Nous nous sommes connus lorsque je vins en ambassade pour le mariage de mon roi et de ta princesse.

Le visage soucieux de Marie s’éclaira :

— Le châtelain de Maincourt ? Mais tu es à deux pas ! Où as-tu mis ton cheval ?

— Pour une demi-lieue ? Je suis venu à pied… et je vais repartir de même !

— Non. Pas si vite ! Nous avons eu si peu de temps ! Pourquoi ne pas rester ? Moi je vais rentrer au château afin que personne ne se pose de questions, mais je t’enverrai Peran avec de quoi te nourrir et dès la tombée du jour je te rejoindrai. Toi tu t’enfermeras. À aucun prix on ne doit te surprendre. Quand ce sera Peran… ou moi, nous frapperons à une vitre comme ceci…

Et, joignant le geste à la parole, elle frappa cinq coups : trois rapides et deux lents.

Le programme convenait trop à Holland pour qu’il objectât quoi que ce soit. Pourtant, elle était si belle ainsi agenouillée sur le lit avec la masse fauve de ses cheveux enveloppant à moitié sa nudité et ses beaux yeux cernés pleins d’amour, qu’il fit durer le plaisir :

— Est-ce bien prudent ? S’il prenait envie à l’un de tes enfants de vouloir entrer, ou encore un serviteur curieux ?

— Mon fils est parti pour Luynes avec son gouverneur : il est bon que ses gens le voient plusieurs fois l’an. Mes filles aînées sont à l’abbaye de Jouarre et les deux plus jeunes pas encore en âge d’avoir l’esprit de s’aventurer jusqu’ici. Il n’y a rien à craindre et cette nuit…