Sûrs d’avoir la nuit à eux, ils s’aimèrent comme jamais encore ils ne s’étaient aimés. C’était comme s’ils ne pouvaient se rassasier l’un de l’autre. Quand l’accalmie vint enfin, Marie se mit à pleurer. Henry s’inquiéta :
— Pourquoi ces larmes ? Ai-je perdu le pouvoir de te rendre heureuse ?
— Oh ! non ! Et c’est, au contraire, parce que je suis au-delà de toute espérance que je pleure… Tu vas repartir bientôt et comment, moi, vais-je pouvoir vivre sans toi ?
Il se mit à rire et, se penchant sur elle, lécha une larme :
— Tu ne pourras pas. Moi non plus et c’est pourquoi je suis venu te chercher. Demain nous partirons ensemble…
— Partir ensemble ?
Les mots cherchaient leur signification dans l’esprit un peu engourdi de la jeune femme. Mais sa vivacité coutumière reprit vite le dessus, elle passa une main caressante sur les lèvres de son amant :
— Aller vivre avec toi en Angleterre ? Tu sais que c’est impossible ! fit-elle tristement. Tu as une femme, des enfants, le scandale serait énorme…
— Sans doute… mais si nous ne sommes plus là pour en subir les effets ?
— Que veux-tu dire ?
— Que je viens d’être nommé Gouverneur de la Providence Company et que je veux t’emmener avec moi sur les mers ! Nous irons en Amérique…
— En… cela veut dire que tu es en disgrâce ?
— Oh ! non ! Je suis Capitaine de Harwich et de Landguard Point, Constable de Windsor, Chancelier de l’université de Cambridge et administrateur de la maison de la Reine, qui je crois m’a en sympathie. Grâce à elle je possède une partie de Terre-Neuve et la flotte de course que vient d’armer mon frère Warwick peut faciliter ma fortune dans ces terres lointaines. Alors je veux partir pour m’en occuper moi-même…
Abasourdie, Marie essayait de comprendre. Que son amant veuille quitter son opulence londonienne pour l’aventure par-delà l’océan lui semblait ahurissant :
— Tu es au mieux avec la Reine mais… comment es-tu avec le Roi ?
Brusquement il se leva, alla jusqu’à la cheminée où il s’accroupit pour tisonner le feu et remettre des bûches. Marie comprit qu’elle avait touché un point sensible :
— Réponds-moi, Henry ? Tes relations avec le Roi se seraient-elles dégradées ?
— De son côté je ne le pense pas, mais on peut le dire ainsi parce que moi, à présent, je le hais !
Le cœur de Marie manqua un battement :
— Il est ton ami pourtant…
— Peut-être mais moi je ne suis plus le sien ! Comprends donc, Marie ! Si nous avons perdu l’île de Ré et bien entendu La Rochelle, si les protestants de France voient se réduire leur territoire… et peut-être même si Buckingham est mort, c’est sa faute !
— Comment peux-tu dire pareille chose ?
— Parce que c’est la vérité ! Je commandais les troupes embarquées destinées à secourir nos forces navales sur la côte atlantique mais nous manquions de tout et surtout d’argent ! Nous ne cessions de réclamer, « Steenie » et moi, ce qui nous était nécessaire pour nourrir, habiller, payer nos marins et nos soldats. Or, on nous distribuait de bonnes paroles mais on nous demandait de faire la guerre avec ce que nous avions, c’est-à-dire rien pour la raison que le Roi manquait d’argent.
— Cela peut arriver, hasarda Marie dans l’espoir de le calmer, ce qui produisit l’effet contraire.
Tournant vers elle un regard flamboyant de rage, Holland gronda :
— Certes et j’ai appris qu’à ce moment-là, Charles n’en avait plus, mais sais-tu pourquoi ? Parce qu’il venait d’acheter la fabuleuse collection de peintures qu’avait rassemblée le duc de Mantoue et qui est célèbre dans l’Europe entière. Pour l’orgueil de posséder les Douze Césars de Titien, la Sainte Famille de Raphaël et je ne sais combien de toiles du Caravage, du Corrège, d’Andrea del Sarto et autres : il nous a laissés nous morfondre à Plymouth dans l’attente de ce qui ne viendrait pas. Nous avons fini par partir quand même, tels que nous étions et tu sais la suite… Si Buckingham et moi ne nous étions pas attardés indéfiniment à Portsmouth, il aurait échappé au couteau de Felton. Moi on ne m’a pas assassiné mais j’ai été blâmé pour avoir trop tardé. Ce qui est un comble !
— On t’a fait des reproches ? Cela n’a pas de sens…
— Pis encore : c’est criminel ! Sans la reine Henriette-Marie, j’aurais risqué d’y laisser ma tête…
— Au fait, comment va-t-elle ?
Il la regarda avec un tel concentré de fureur qu’elle put croire un instant qu’il allait exploser :
— Je te parle du drame que je viens de vivre et tu me demandes des nouvelles de la Reine aussi gracieusement qu’au cours d’une conversation de salon ?
À son tour elle prit feu :
— Mille tonnerres, Henry ! Tu viens de me dire qu’elle t’a sauvé ! Cela mérite bien qu’on s’inquiète d’elle ! Les débuts de son mariage n’ont pas été si heureux !
— Assurément mais les choses semblent s’arranger au mieux pour elle. Charles lui montre maints égards et de la tendresse. Ce qui est étrange, c’est que l’on dirait que la mort de Buckingham a établi la paix dans le ménage royal.
— Sois juste ! Si elle a tant souffert, c’était parce que notre ami soufflait la tempête dans l’oreille du Roi !
— Il se peut mais le pire est que le sort des papistes va s’améliorant de jour en jour et je ne l’accepte pas. Ils sont la plaie de l’Angleterre.
— Et tu oses en aimer une ?
Brusquement, la colère de Holland tomba. Il se mit à rire, se pencha sur sa maîtresse et la scruta au fond des yeux :
— Tu n’as d’autre religion que l’amour, ma belle païenne, et j’entends que tu ne la renies jamais ! Parce que moi, je suis prêt à tout rejeter, tout abandonner pour ta seule possession et c’est pourquoi je veux t’emporter avec moi ! Notre vie ne sera qu’aventure et passion ! Je bâtirai un royaume dont tu seras reine ! Je te couvrirai de fourrures rares et de l’or des Amériques. Les peuples sauvages de là-bas se prosterneront à tes pieds et parce que nous serons enfin libres, tu ne seras plus jamais qu’à moi ! Plus jamais, Marie…
Il avait chuchoté les derniers mots contre ses lèvres et à nouveau s’emparait d’elle avec cette ardeur proche de la violence qu’elle aimait tant. Elle se laissa emporter par la brûlante tempête, pourtant son esprit ne s’y noya pas comme les fois précédentes. Une part d’elle demeura sinon froide, du moins lucide. Même à l’instant suprême qui la fit crier… La vague la submergea mais, quand elle se retira, Marie se sentit envahie par une étrange tristesse.
Lui avait réussi à conserver assez d’empire sur lui-même pour épier chaque frisson de ce beau corps dont il savait si bien jouer. Désormais sûr de lui, quand il s’en écarta il murmura :
— Il vaut mieux que je parte maintenant, mon cœur, afin d’organiser notre départ. La nuit prochaine je viendrai te chercher…
Comme au fond d’un rêve, elle s’entendit répondre :
— Non !
Il y eut un soudain silence, mais qui dura peu. Croyant avoir mal entendu, Henry interrogea :
— As-tu vraiment dit… non ?
Sentant venir le combat, Marie glissa du lit où, captive de son amour et des faiblesses de sa chair, elle se savait en état d’infériorité, ramassa sa robe de chambre et s’y réfugia sans oser regarder son amant… Celui-ci n’avait pas bougé mais s’impatientait :