— L’Eglise vous attire, Baron ? demanda la Duchesse.
— Depuis toujours et j’y reviendrai sans doute plus tard, mais pour le moment je me sens pleinement à l’aise chez les Mousquetaires ! L’existence y est… exaltante !
— Et l’uniforme vous sied tellement ! Eh bien, disons : à nous revoir !
— Ce sera un vrai et grand bonheur.
Sous l’œil légèrement goguenard de Malleville, il accompagna la Duchesse à sa voiture, l’aida à y reprendre place mais retint la main qu’il tenait encore pour y poser un baiser :
— Revenez-nous vite ! Le temps commence déjà à me durer !
Il était si charmant que Marie, un instant, partagea son regret : après tant d’horreurs, une histoire d’amour serait tellement rafraîchissante ! Gabriel, cependant, venait la saluer à son tour :
— Pas trop vite, soyez sage ! fit-il gravement. Ceux qui ont monté le traquenard qui vient d’échouer n’en resteront pas là ! Nous aviserons Monseigneur le Duc, votre époux, de ce qui vient de se passer mais il faut partir… loin, vous y tenir et prendre garde à votre entourage !
— Soyez sans crainte ! Je veillerai. Un mot encore ! Savez-vous quel chemin a pris mon époux ? Retourne-t-il à Nantes afin de « rendre compte », ou bien…
— Il rentre à Dampierre, où il attendra le bon vouloir de Sa Majesté. De toute façon, le Roi quittera Nantes demain. L’itinéraire prévu passe par Châteaubriant, Vitré, Laval, Le Mans, Chartres et Rambouillet : nous devons rejoindre en cours de route. Au moins trois semaines de voyage.
— En ce cas, je vais passer par Paris afin d’y prendre mes bijoux et ce dont je pourrais avoir besoin mais je ne ferai que toucher terre avant de me diriger vers l’est ! Dieu vous garde tous deux ! Et encore merci !
Et elle était partie, fière et digne sous le chaud soleil de ces derniers jours du mois d’août 1626 bourdonnant d’abeilles, de criquets et de guêpes qui allumaient de minuscules brillances dans la poussière soulevée par le galop des chevaux…
À présent, elle revenait par des routes enneigées sous un ciel bas mais calme et un temps relativement doux. Deux ans s’étaient écoulés sans qu’elle les vît vraiment passer, un peu comme dans un rêve parce que la Lorraine lui avait été aimable et accueillante !
Elle retrouvait intacte son impression d’agréable surprise en franchissant la frontière du duché souverain : c’était presque un autre monde tant la vie dans ce pays semblait facile. La rude splendeur de la Bretagne que Marie aimait tant semblait aux antipodes de cette contrée souriante. De vignes en champs de blé ou autres céréales, la Lorraine étalait une étonnante prospérité. L’air sentait bon la mirabelle mûre, et dans les villages dont presque toutes les maisons montraient des carreaux aux fenêtres, on ne voyait guère de misère.
Ce fut mieux encore à Nancy, grande cité riche et commerçante où l’imposant palais ducal s’ouvrit largement pour elle et où le duc Charles IV et la duchesse Nicole la reçurent en parente privilégiée. Ce qu’elle était, son mariage avec Chevreuse, prince lorrain issu de la maison de Guise, ayant fait d’elle leur cousine.
À dire vrai le plaisir – au moins apparent – montré par la duchesse Nicole en l’accueillant se nuança rapidement d’une certaine méfiance quand elle s’aperçut que son époux tombait amoureux de la nouvelle venue et que son mariage plutôt harmonieux jusqu’à l’arrivée de la sirène s’en allait tranquillement à vau-l’eau… Car Marie, sevrée d’amour depuis trop longtemps, n’eut aucune peine à faire de Charles son amant.
Loin d’être déplaisant, d’ailleurs ! À vingt et un ans – cinq de moins qu’elle et quatre de moins que sa femme –, c’était un beau garçon blond, grand, maigre mais bien musclé, doté d’une figure osseuse animée par des yeux bleus assez vifs et ornée d’un long nez. Aimable, bavard, peu fiable, volontiers brouillon au point qu’en lui donnant sa fille Nicole en mariage, le duc Henri son oncle – en fait, Charles n’était à tout prendre que prince consort, Nicole étant la Duchesse en titre – avait soupiré sans la moindre illusion : « Vous verrez que cet étourdi perdra tout !… » Charles, amoureux ardent, avait ce qu’il fallait pour séduire sa belle cousine et non seulement elle ne fit rien pour le décourager mais, au contraire déploya amplement ses grâces et se retrouva bientôt plus souveraine que la Duchesse.
Ce furent alors des fêtes, des joutes, des bals, des concerts, des ballets, des comédies, des chasses à n’en plus finir : « En moins de rien, elle brouilla toute la Cour et c’est elle qui donna commencement au mauvais ménage du duc Charles et de la duchesse sa femme car le duc était devenu amoureux d’elle et, lui ayant donné un diamant qui venait de sa femme et que sa femme connaissait fort bien, elle l’envoya le lendemain à la duchesse[1]. » Son orgueil, en effet, ne supporta pas qu’on lui offre les dépouilles de celle dont elle prenait le mari. Quoi qu’il en soit, si la pauvre Nicole conservait encore l’ombre d’une illusion, celle-ci se dissipa aussitôt. Quant à Marie, on ne put éviter de la taxer d’un brin de cruauté : il eût été plus simple de refuser le diamant…
Quasiment intronisée favorite officielle, la duchesse de Chevreuse savourait avec volupté cette atmosphère de fête perpétuelle dont elle était la reine. Cette bouffée d’encens, même pas toujours sincère, lui montait à la tête, elle était délicieuse à respirer mais ne lui faisait pas oublier la cour de France et la place éminente qu’elle occupait naguère auprès de la Reine. Naturellement, elle en voulait à mort au roi Louis et au cardinal de Richelieu, et, une fois bien assurée de son emprise sur le duc de Lorraine, elle se hâta de se réintroduire dans le jeu passionnant de la politique.
D’Anne d’Autriche, inconsolable du départ de son amie, elle recevait de longues lettres tristes. Marie lui manquait et elle ne le cachait pas. En outre, la jeune duchesse d’Orléans était enceinte alors qu’elle-même ne voyait toujours pas se dessiner le moindre espoir d’un enfant. Cela entraînait une angoisse permanente qui allait croissant à mesure que le temps passait : que l’épouse de Monsieur[2] mît au monde un fils et la répudiation se profilerait à l’horizon ! Le courage de Marie, la vivacité de Marie lui faisaient si cruellement défaut qu’elle avait à plusieurs reprises demandé sa grâce au Roi. Sans le moindre succès bien sûr.
De son côté, Claude de Chevreuse s’était livré à quelques timides tentatives dans ce sens, proposant même que sa femme se retire en Auvergne ou dans le Bourbonnais où il s’engageait à veiller sur elle. Le danger de mort qu’elle avait couru et la crainte qu’elle pût l’en croire l’auteur l’avaient bouleversé. Le Roi ayant plus ou moins accepté sa proposition, il fit même le voyage à Nancy pour porter la nouvelle à Marie et conclure avec elle une sorte de paix conjugale. Qu’on lui accorda : l’occasion était trop belle pour la jeune femme de reprendre son ascendant sur son mari. Marie ouvrit ses bras et son lit à des retrouvailles, passionnées de la part de Claude : il y avait si longtemps qu’il n’avait goûté aux charmes de l’enchanteresse qu’il retomba en son pouvoir comme par le passé. Mais quand il voulut la ramener, ce fut une autre chanson, les plaisirs rustiques de la France profonde ne la tentaient absolument pas. Ce qu’elle voulait, c’était rentrer au moins dans son cher Dampierre. Hors de cela rien n’était possible, et si Chevreuse désirait retrouver avec elle les joies de l’existence à deux, il lui fallait agir dans ce sens-là. Qu’il prenne langue avec la Reine et qu’ils joignent leurs efforts ! Elle-même ne quitterait la Lorraine qu’une fois certaine de son avenir…