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Avec la clarté qu’elle savait mettre dans ses propos lorsque le but poursuivi lui tenait à cœur, elle exposa qu’il avait fallu renoncer plus ou moins à jouer la carte Gaston d’Orléans contre son frère parce qu’il semblait de plus en plus difficile de compter sur lui. De plus il était tellement coiffé de la petite Gonzague qu’il était capable de l’épouser même au cas où le Roi viendrait à mourir :

— Nous allons donc l’aider à fuir aux Pays-Bas où il pourra être heureux à son aise. En France il y a mieux à faire : l’entente entre la Reine Mère et Richelieu semble se fragiliser de jour en jour et c’est très bien ainsi parce que ce qui importe est de libérer le Roi d’une influence aussi fâcheuse. Le Cardinal est l’ennemi de la Reine contre laquelle il ne cesse d’indisposer Louis. Or c’est elle qui porte l’espoir des gens de bon sens et il faut que son époux en revenant de guerre se prenne pour elle d’un renouveau d’amour. Car il fut un temps où il s’en approchait volontiers… Nous devons retrouver ce temps-là. Si Marie de Médicis parvient à faire renvoyer le Cardinal, Louis se sentira seul. Il devra se tourner vers celle qui porte avec lui la couronne. Hélas, il lui témoigne à présent un éloignement sans cesse grandissant. Autrement dit : nous avons besoin d’aide pour lui faire reprendre régulièrement le chemin de son lit…

— Quelle sorte d’aide ?

— Voilà une question dont la réponse devrait apparaître clairement à un homme de science tel que vous, maître Basilio. Pourquoi pas un… philtre d’amour ?

Le petit homme sursauta si violemment que le tabouret sur lequel il était perché tomba au sol :

— Tu prends Basilio pour un sorcier, Madame la Duchesse ? Ce qu’il n’est pas, grâce à Dieu ! Un philtre d’amour ? Pas plus ? Qu’est-ce que Basilio a bien pu te faire pour que tu veuilles l’envoyer en prison ?

— Tout de suite les grands mots ! Et pourquoi pas le bûcher pendant que vous y êtes ? Je ne vous demande pas de faire passer le Roi de vie à trépas mais d’aider sa nature à rejoindre celle qui devrait être l’unique objet de ses soins ! Je suis persuadée qu’en rentrant au Louvre, il ira passer un moment dans son lit mais un moment ne suffit pas. Il doit y en avoir d’autres, et répétés, afin d’avoir une certitude… Et vous ne pouvez pas me refuser cela ! conclut Marie triomphalement.

Un triomphe auquel son interlocuteur n’éprouvait pas la moindre envie de s’associer, et son point de vue ne se fit pas attendre :

— Mais naturellement que Basilio va refuser ! Ce n’est pas parce qu’il connaît les plantes pour soulager les maux des pauvres gens… et des autres aussi, qu’il est capable de concocter n’importe quoi pour n’importe qui… Pour ce qu’il en sait, ce que tu réclames n’est pas à la portée du premier apothicaire venu !

— Mais vous n’êtes pas un apothicaire, vous êtes un homme de science que la Galigaï prisait fort. Après la mort de son médecin Montalto c’est vous qui soulagiez ses maux, n’est-ce pas ?

— Voilà le mot qui convient : Basilio soignait les terribles crises d’hystérie qui la ravageaient. Il fallait apaiser, tu comprends ? Apaiser ! Et tu me demandes le contraire ! C’est très dangereux, un philtre magique ! Ça Basilio le sait, et même pour quelqu’un en bonne santé. Ce qui n’est pas le cas de celui à qui tu le destines. Il a des intestins en toile d’araignée ! Et Basilio ne veut pas avoir sa mort sur la conscience…

— Que vous voilà donc prudent et précautionneux ! Mille tonnerres ! Maître Basilio ! À quoi vous sert de savoir lire dans les astres ? Tirez donc l’horoscope du Roi et vous verrez si un danger le menace !

— Il y a longtemps que c’est fait et Basilio peut te dire qu’il est sans cesse menacé. Quant à toi tu aurais intérêt à te tenir tranquille, Madame la Duchesse, sinon tu risques de déchaîner une nouvelle catastrophe.

— Vous voulez que je reste dans ma campagne à me tourner les pouces ? Mais j’enrage d’être ainsi confinée au fond des bois et des étangs pendant que la Reine a tellement besoin de mon aide !

— Tu n’y resteras pas ! Bientôt tu pourras jouir des rayons de ce soleil factice de la Cour que tu aimes tant… Cela devrait te suffire, il me semble ?

— C’est vrai ? s’écria Marie qui se sentit revivre.

— Ce que Basilio annonce est toujours vrai. Ta bonne étoile va te donner une nouvelle chance. À toi de ne pas en faire un désastre. Entoure ta Reine, aide-la à se rapprocher de son époux, à ramener la concorde dans ce ménage trop chaotique pour la paix du peuple. Voilà une tâche digne de toi… et ne te mêle pas de faire avaler n’importe quoi à ton souverain ! Ou alors accepte d’en payer le prix si tu passes outre à ma mise en garde !

Le ton du petit homme était si sombre que Marie, désagréablement impressionnée, sentit un frisson glacé parcourir son échine :

— Ce qui veut dire ?

— Que ton joli cou ne donnerait guère de peine à l’épée du bourreau !

Chacun des mots de Basilio pesait le poids de ladite épée et Marie savait d’expérience qu’elle avait tout intérêt à tenir compte des avertissements de son astrologue. Pourtant elle n’arrivait pas à se sentir vaincue : elle s’était quasi engagée à obtenir de Basilio la liqueur miraculeuse dont elle avait eu l’idée. De quoi aurait-elle l’air lorsqu’elle avouerait son échec ?

— Quelque chose encore qui ne va pas ? fit Basilio, voyant qu’elle restait immobile et muette.

Elle lui lança un regard lourd de rancune :

— Comment voulez-vous que ça aille quand je vais devoir avouer aux personnes qui ont mis leur espoir en moi, en vous, que j’ai été incapable d’obtenir ce que j’ai annoncé…

Elle avait l’air tellement déconfit que Basilio éclata de rire :

— Toujours le paraître, hein ? Toujours en point de mire des autres ? Tu es incorrigible, Madame la Duchesse ! Mais comme j’ai peur que tu ne te livres à je ne sais quelle sottise dès que tu seras sortie d’ici, Basilio va te préparer… un remède.

— Mais… vous disiez ?

— Et je n’ai pas changé d’avis. L’important est que tu rapportes un flacon décoratif un peu mystérieux avec des consignes d’emploi très compliquées. Quant à ce qu’il y aura dedans, cela ne risquera pas de faire de mal à qui que ce soit. Servi dans un vin capiteux, cela aura au moins un effet euphorisant et personne ne pourra t’en vouloir si le résultat n’est pas absolument ce que l’on attendait. Il est même possible que ton roi s’en trouve mieux que tu ne crois… Tu restes ici cette nuit ?

— Oh ! oui ! J’aime cette maison…

— Alors demain tu ne rentreras pas les mains vides. Toi, tu ne croiras pas aux vertus que cette liqueur n’aura pas mais les autres y croiront. Et c’est ce qui compte…

Il allait tourner les talons, elle le retint par un pan de sa robe noire :

— Encore un mot ! Je vais vraiment rentrer en grâce ?

— Tout l’indique…

— Ce qui veut dire que le roi Charles d’Angleterre se sera montré une fois encore un parfait ami ? Je n’en ai jamais douté.

— Tu as tort d’en être aussi sûre parce que, cette fois, ce n’est ni l’amour de ton époux ni l’amitié qui vont jouer en ta faveur. C’est même le contraire…

— Le contraire ?

— Eh oui ! Le secours viendra d’ailleurs parce qu’on aura besoin de toi. Ce sont des choses qui arrivent…

Il fut, bien entendu, impossible d’en tirer davantage. Confiante néanmoins dans les prédictions de son mage, Marie, par exception, mit son esprit en vacances et prit plaisir à se retrouver pour quelques heures dans ce petit château qui avait ses préférences avant que Dampierre ne lui soit donné. Elle le fît découvrir à sa jeune suivante. Le soir venu, toutes deux s’attardèrent au jardin puis dans la chambre de la Duchesse devant la belle cheminée de porphyre où des bûches flambaient avec une bonne odeur sylvestre. Assises sur le tapis, pieds nus et en vêtement de nuit, elles bavardèrent en buvant du vin d’Alicante, Marie trouvant un plaisir nouveau à jouer à la grande sœur avec cette petite cousine dont elle découvrait au cours des jours la qualité. Cette nuit-là, elle évoqua pour elle l’ombre de Leonora Galigaï comme si c’était la chose la plus naturelle. Et en fait ce l’était puisqu’à entendre Basilio, le douloureux fantôme avait cherché refuge à Lésigny.