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— Je crois qu’on en parlait dans tout le royaume et même au-dehors, dit Herminie. Chez nous, en Lorraine, on racontait que c’était un monstre, une sorcière maléfique qui s’était emparée de l’esprit de la reine Marie. On la disait laide et contrefaite…

— Contrefaite non mais laide sans doute. Ce dont elle a souffert sa vie durant et d’autant plus qu’elle aimait avec passion un époux qui, lui, était fort beau. C’était elle l’âme du couple et, avec le temps – je n’étais qu’une enfant à l’époque et m’intéressais peu à ces gens ! – j’ai fini par comprendre que sans elle, Concino Concini n’eût jamais été rien d’autre qu’un bellâtre cupide, habile à se servir des femmes, un joueur sans scrupules, un rufian déguisé en grand seigneur et qui n’avait pas assez d’intelligence pour retenir ses insolences et rendre à la majesté royale ce qui lui était dû. Tant que le roi Henri vivait il n’osait pas trop se montrer, mais après le couteau de Ravaillac on a vu de quoi il était capable et si le jeune roi s’est mis à le haïr, Concini avait fait ce qu’il fallait pour ça. Aussi a-t-il eu le sort qu’il méritait. Quand le peuple l’a mis en morceaux, il n’y a eu que Marie de Médicis pour le pleurer… et Leonora ! Elle avait vécu pour lui : elle est morte de lui car le peuple a reporté sur elle toute la haine accumulée pendant des années. Lui a connu quelques instants de souffrance : elle a gravi un cruel chemin jusqu’à l’échafaud de la place de Grève où la Reine Mère l’a laissée monter sans tenter quoi que ce soit pour adoucir son calvaire en souvenir de leur jeunesse, des jardins de Florence où elles couraient enfants et de tous ces jours vécus côte à côte…

— Vous en parlez comme si vous l’aviez aimée ? remarqua Herminie.

— Pas lorsqu’elle était vivante. Je l’ai plainte alors et c’est après que je me suis attachée à elle. C’est à moi que l’on a donné la totalité de ses biens les plus chers : ses joyaux, sa maison… Alors, parfois, je fais dire une messe dans l’espoir que son âme trouvera enfin le repos.

— Vous ? Des messes ? Mais je pensais que…

— … j’étais une sorte de mécréante ne croyant pas à grand-chose ? C’est un peu vrai dans un sens mais pas complètement. Il m’arrive d’éprouver certains élans…

— Jamais de… regrets ?

Marie ne répondit pas tout de suite. Elle observa un instant le reflet du feu à travers le vin doré de sa coupe et soupira :

— Cela sert à quoi, les regrets ?

Ayant dit, elle vida son verre d’un trait, s’étira puis, se relevant :

— Assez philosophé pour ce soir ! Allons dormir…

Au matin, emportant au fond de son aumônière un flacon emmailloté de paille tressée, elle rentrait à Dampierre pour y attendre avec une confiance mitigée la réalisation des prédictions de Basilio, sans se douter que le destin s’apprêtait lentement à travailler pour elle.

Dans les premiers mois de cette année 1629, les armes de la France dans les Alpes enneigées venaient de connaître le succès. La décisive victoire du Pas de Suse remportée par le Roi en personne avait remis le duc de Savoie dans le droit chemin, libéré Casal dont les Espagnols avaient dû lever le siège, et affermi le nouveau duc de Mantoue dans ses droits. La paix offerte n’avait rien d’humiliant et s’efforçait au contraire de resserrer les liens de famille puisque la princesse de Piémont, épouse de l’héritier de Savoie n’était autre que Christine, la sœur de Louis XIII.

Ce grand succès acquis et Casal confiée à la garde du maréchal de Toiras, le héros de La Rochelle, le Roi et, évidemment, le Cardinal revinrent en France pour mettre bon ordre à la dernière révolte des protestants en Languedoc… En quelques semaines tout fut réglé et le traité de pacification, la Grâce d’Alès, était signé, rétablissant l’Edit de Nantes dans sa pleine autorité mais supprimant les privilèges politiques et militaires des réformés. Le Roi pouvait rentrer à Paris après avoir invité le duc de Rohan, l’inusable trublion, à s’en aller voir hors de France si l’herbe était plus verte.

Le Cardinal s’attarda dans le Midi afin de procéder à la remise en ordre administrative. Claude de Chevreuse était rentré au logis à la suite du Roi.

Bien que Marie lui eût réservé l’accueil convenant à un époux lorsqu’il revient de guerre, surtout quand cette guerre s’est terminée par une victoire, elle constata qu’il n’avait pas l’air dans son assiette et même que toutes ces louanges, tous ces débordements d’affection paraissaient le gêner. Et comme elle n’était pas femme à garder sa lumière sous le boisseau, elle posa carrément la question :

— On peut se demander quelle tête vous feriez si nos armes avaient subi une défaite. Au lieu de vous réjouir on dirait que vous venez de porter en terre toutes vos espérances ? Vous vous êtes honorablement battu, je suppose ?

— Oh ! oui… et notre Sire m’en a témoigné sa satisfaction à maintes reprises !

— Eh bien, alors ? Vous devriez être content ?

— Et pourtant je ne le suis pas ! Je me sens même honteux de cette gentillesse dont vous me comblez.

— Allons bon ! Voilà autre chose ! Je suis gentille pour la simple raison que je suis heureuse de vous voir de retour sans une égratignure, ce qui est normal quand quelqu’un vous est cher !

— Certes, certes ! Mais c’est justement votre affection si touchante qui me rend malheureux parce que je vais vous décevoir…

— En quoi ?

Claude poussa un énorme soupir, alla se servir un gobelet de vin sans doute pour se donner du courage et enfin déclara :

— En ce que je ne rapporte pas votre grâce comme je l’espérais… et comme vous étiez en droit de l’attendre du succès de mes armes. Et cette fois, le Roi ne m’a pas laissé d’espoir même après que j’eus repris une redoute espagnole presque à moi seul !

— Ah !

— Il m’a embrassé avec énormément de chaleur et avec une larme dans les yeux mais quand j’ai ouvert la bouche pour lui demander la seule récompense que j’attendais de lui, il m’a devancé : « Mon pauvre Chevreuse, m’a-t-il dit en me prenant par le bras, je sais que ce qui te ferait le plus plaisir serait que je lève l’exil de ta Duchesse mais je ne peux pas me résoudre à respirer le même air qu’elle. C’est une femme trop dangereuse… » Et comme je me hasardais à évoquer l’amitié du roi Charles d’Angleterre, il m’a répondu qu’en effet son ambassadeur vous avait mentionnée dans les diverses clauses de paix entre les deux royaumes et que c’était justement l’importance qu’on vous donnait dans d’aussi grandes affaires qu’il ne pouvait admettre.

— Autrement dit, l’étendue de cette amitié a joué contre moi ?

— J’en ai peur !

— Et la reine Henriette-Marie ? A-t-elle joint ses prières à celles de son époux ?

— Pas que je sache.

— Voilà bien l’ingratitude des souverains ! Tant que ce pauvre Buckingham entretenait la zizanie dans son ménage, nous étions vous et moi les meilleurs intercesseurs du monde mais comme l’harmonie est revenue à présent, il n’y a plus aucune raison de me ménager. N’importe ! Tout cela n’a guère d’importance et je n’ai plus besoin d’eux !