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— Vraiment ? En ce cas votre frère devrait vous être reconnaissant ? Alors expliquez-moi pour quelle raison il est enragé de colère contre ce maudit Cardinal ? Au point qu’il songerait, m’a-t-on laissé entendre, à se réfugier à Bruxelles afin de…

L’entrée soudaine du duc de Bellegarde, Grand Ecuyer de France et fort ami de Gaston d’Orléans, interrompit un instant la joute oratoire. Il en demanda excuses sur l’importance de la nouvelle qui l’amenait :

— Il importait, dit-il, que Vos Majestés apprennent sur l’heure que Monsieur est parti…

— Là ! triompha la Reine Mère. Qu’est-ce que je disais ? Voilà votre frère passé chez ceux en qui vous vous obstinez à voir des ennemis.

Bellegarde se mit à tousser, ce qui lui permit de reprendre la parole :

— Que Votre Majesté me pardonne. Madame, mais je n’avais pas fini : Monsieur est parti, certes, mais pas pour les Pays-Bas.

— Où est-il ? demanda le Roi.

— En Lorraine. Il est allé demander l’hospitalité au duc Charles !

— Qui n’est pas plus de nos amis que l’infante Isabelle-Claire-Eugénie ! Savez-vous si Mademoiselle de Gonzague l’accompagne ?

— Je ne le pense pas, Sire ! Aux termes de la lettre que Monsieur a bien voulu me faire tenir, il dit qu’il est excédé que l’on se mêle constamment de ses affaires et qu’il entend les mener désormais à sa guise…

Du coup Marie de Médicis régala ses interlocuteurs d’une magistrale crise de nerfs avec larmes, imprécations et prise à témoin du Ciel de tout ce que cette pauvre mère était condamnée à souffrir par des fils sans entrailles dont le but inavoué était de la mener au tombeau par les moyens les plus rapides. On s’empressa autour d’elle, on appela ses femmes qui l’emportèrent à sa chambre avec des soins infinis, on la coucha avant d’appeler médecin et chapelain afin qu’ils vinssent apporter les secours dont ils disposaient à si grande affliction. Pendant ce temps, le Roi regagnait son cabinet où il fit appeler le Cardinal.

Celui-ci était déjà au courant de ce qui venait de se passer et s’en montrait soucieux :

— Je cherche en vain. Sire, en quoi j’ai pu offenser la Reine Mère à qui j’ai toujours montré reconnaissance et affection. Il me semble avoir fait de mon mieux pour la servir…

— … jusqu’à ce que vous choisissiez de servir d’abord le Roi et la France, ajouta Louis avec une mélancolie qui toucha son Ministre. Ma mère a toujours exigé d’être première servie, le reste ne l’intéresse pas. Il faudra cependant qu’elle accepte de se réconcilier avec vous.

— Je doute qu’elle accepte. Sire. C’est pourquoi ma démission me semblait la meilleure solution…

— Pas pour moi, Monsieur le Cardinal, pas pour moi. Et la couronne c’est moi qui la porte. Veuillez vous en souvenir !

— Je n’aurai garde de l’oublier, conclut Richelieu en saluant profondément.

Dans les jours qui suivirent, Louis XIII fit en sorte que tous, à sa cour et dans le royaume, eussent une claire idée de l’estime qu’il lui portait. Richelieu reçut officiellement le titre de premier des Ministres dont il exerçait les fonctions. On lui offrit plusieurs bénéfices et son frère Alphonse, le chartreux, se retrouva archevêque d’Aix et plus tard de Lyon, coiffant en même temps le chapeau de Cardinal.

Force fut à la Reine Mère d’accepter la réconciliation qu’exigeait son fils mais chacun savait bien, et Richelieu, le premier, qu’elle satisfaisait seulement aux apparences et qu’en fait son ancien serviteur n’avait plus à attendre d’elle que de mauvais procédés, d’autant plus dangereux sans doute qu’ils seraient plus sournois. Elle lui en voulait même de la mort subite de son plus fidèle soutien qui était aussi l’ennemi le plus acharné de Richelieu : le cardinal de Bérulle mourut de façon si providentielle que d’aucuns y virent le doigt de Dieu, d’autres, au premier rang desquels était la Florentine, la main discrète du Ministre.

Sachant qu’il ne pouvait plus espérer le moindre appui de ce côté, celui-ci pensa qu’il serait peut-être bon pour lui de se chercher d’autres alliés dans la famille royale et que la Reine – toujours tellement malmenée par sa belle-mère – lui serait peut-être reconnaissante de s’intéresser à son sort et de lui offrir l’aide dont elle manquait si cruellement et depuis tant d’années.

Songeant qu’il y avait peut-être, à portée de sa main, un moyen simple de lui faire plaisir, le Cardinal fit prier Claude de Chevreuse de vouloir bien lui rendre visite. Quelques jours plus tard, Marie, ivre de bonheur, apprenait sa rentrée en grâce pleine et entière : sa place auprès de la Reine lui était rendue ! Basilio avait eu raison sur toute la ligne… Le salut lui était venu d’où elle ne l’attendait pas.

Elle en pleura de joie, puis se hâta de faire préparer ses coffres…

CHAPITRE V

UN CADEAU POUR LA REINE

C’était Noël et le Cardinal donnait une fête dans l’hôtel, proche de la porte Saint-Honoré, qu’il avait acheté quelques années plus tôt au Secrétaire d’Etat Forget du Fresne en prévision de ce qui venait de se passer : sa rupture avec la Reine Mère, ce qui lui rendait impossible le séjour du Petit Luxembourg, autrement dit une position de repli. Ce n’en était pas moins une fort jolie demeure bien qu’il la jugeât trop exiguë. Son nouveau titre de premier des Ministres lui faisait désirer davantage d’espace aussi ne cachait-il pas son intention de la faire prochainement agrandir afin d’obtenir une sorte de palais digne de sa grandeur et de celle du Roi. Il avait déjà commandé à Lemercier les plans de ce qui serait bientôt le Palais-Cardinal[6], nanti des beaux jardins que Son Eminence appréciait par-dessus tout.

Pour ce soir-là, cependant, le faste déployé compensait l’exiguïté – relative ! – de la demeure éclairée a giorno par des milliers de chandelles et de lanternes que reflétaient d’immenses miroirs. Il y aurait comédie – Mélite d’un illustre inconnu nommé Corneille – jouée par la troupe de Charles Lenoir et de Mondory[7] musique, ballet et enfin un festin comme il convenait d’en offrir lorsque l’on avait l’honneur de recevoir le Roi et les Reines et une partie de la Cour triée sur le volet : celle qui avait le plus de chance de plaire à Leurs Majestés Louis XIII et Anne d’Autriche, au premier rang de laquelle rayonnait Madame la duchesse de Chevreuse dont c’était le retour.

En fait, celle-ci constituait la surprise de la soirée, le cadeau de Noël que le Cardinal avait réservé à la Reine. Nul n’était au courant et quand elle descendit de carrosse, éblouissante en velours noir et satin blanc constellé de diamants, suivie de son époux, un murmure flatteur la précéda dans l’escalier au bas duquel le Cardinal vint l’accueillir en personne :

— Vous rayonnez, ce soir. Madame la Duchesse. Merci d’embellir de votre grâce et de votre beauté cette modeste demeure…

— Si vous souhaitiez à ce point ma présence, Monsieur le Cardinal, que ne l’avez-vous réclamée plus tôt ?… fit-elle en riant.

— J’ai préféré attendre ce soir qui est celui de la plus douce des fêtes, celle où la Nativité de Notre-Seigneur invite tous les hommes à oublier le passé et à vivre en bonne intelligence.

— L’idée est jolie mais… le Roi la partage-t-il ?

— S’il ne l’avait pas partagée, la réalisation en eût été impossible. Et moi je me réjouis de pouvoir vous ramener à celle qui, depuis des mois ne cesse de vous regretter, de vous réclamer…

— La Reine ne sait pas…

— Non. Le secret a été scrupuleusement gardé. Par vous aussi, j’espère ?

— N’en doutez pas ! C’est une grande minute que vous m’offrez là, Monseigneur. Je l’ai attendue dans la fièvre et je saurai m’en souvenir…