Quelques instants plus tard, toujours menée par Richelieu, Marie offrait au couple royal la plus parfaite des révérences. En même temps, son guide disait :
— Plaise à Leurs Majestés de recevoir en grâce Madame la duchesse de Chevreuse qui, après une longue absence, brûle du désir de servir à nouveau de tout son cœur nos bien-aimés souverains !
À vrai dire, le visage immobile de Louis XIII ne s’illumina guère. Il salua de la tête en marmottant une vague bienvenue mais sa femme fut incapable de réprimer son émotion. Avec une exclamation de joie, elle tendit à son amie retrouvée ses deux mains que celle-ci baisa agenouillée, avant de la relever pour l’embrasser :
— Quel beau Noël vous m’offrez là, Monsieur le Cardinal ! Soyez-en remercié… ainsi que vous, Sire mon époux !
— Vous me voyez heureux de vous faire plaisir. Madame, nasilla ce dernier. Espérons seulement que nous n’aurons pas lieu de le regretter… ni vous non plus mon cousin, ajouta-t-il à l’adresse de Chevreuse qui se tenait derrière elle.
Ce fut ce moment que choisit Marie de Médicis pour faire son entrée, délibérément en retard afin que les assistants fussent conscients qu’elle était de beaucoup le personnage le plus important. Naturellement, elle était d’une humeur de chien d’avoir constaté que Richelieu ne patientait pas au milieu de la cour pour l’accueillir à sa descente de voiture. Cela ne s’arrangea pas en découvrant auprès de qui il se trouvait :
— Par tous les diables ! Qu’est-ce que cette mijaurée fait ici ? Si c’est vous qui l’avez rappelée, mon fils, vous avez fait une fière sottise ! Je ne lui donne pas huit jours pour mettre votre ménage cul par dessus tête !
— Monsieur le Cardinal nous a fait part du repentir de Madame de Chevreuse et il nous est apparu que ce soir de Noël était bien choisi pour oublier le passé…
— Oublier le passé ? Comme si vous en étiez capable, mon fils ?
— Il me semble vous en avoir déjà donné des preuves, ma mère… au temps où vous vous étiez mis en tête de me faire la guerre ?
L’escarmouche menaçait de tourner au vinaigre. Marie audacieusement s’en mêla :
— Madame, Madame, plaida-t-elle en offrant à la vieille dame sa révérence et un ensorcelant sourire. C’est Noël ce soir ! Nous devrions nous soucier seulement de chanter la gloire de l’Enfant-Dieu… et de faire honneur à ce que nous prépare Monsieur le Cardinal ! Il serait dommage de gâcher si jolie fête.
La Reine Mère darda sur elle son œil de porcelaine turquoise sans reflets :
— Mais ma parole, te voilà devenue son amie, Maria ? Ce n’est quand même pas ton voyage en Lorraine qui a accompli ce miracle ? Le duc Charles l’exècre et je vous croyais d’accord là-dessus ?
— Sur une vitre de Chambord, le roi François Ier a écrit : « Souvent femme varie… » C’est donc un privilège féminin et il serait par trop injuste de répondre par l’ingratitude à un geste qui comble mes désirs les plus chers.
— Pas les miens ! Et, tout compte fait, ce que je vois céans est misérable ! Mon carrosse ! Je rentre au Luxembourg…
Personne n’eut le courage de s’opposer à son départ. Même le Cardinal, bien obligé de la raccompagner jusqu’à sa voiture. Il eut cependant la satisfaction, en remontant, de constater que l’atmosphère s’était considérablement détendue, grâce en grande partie à Madame de Chevreuse dont la joie était communicative. La comédie et le ballet furent fort applaudis, après quoi l’on passa à table où le Cardinal tint à présenter lui-même au Roi et à la Reine le plat principal ce qui fut jugé du dernier galant, ainsi que le fit remarquer Louise de Conti quand, le repas achevé, elle rejoignit son amie. Les deux femmes ne s’étaient pas vues depuis des mois, elles étaient ravies de se retrouver.
— Qui aurait dit que je vous verrais un jour devenue l’invitée privilégiée du Cardinal ? fit Louise en riant. J’espère que vous savez à qui vous devez cet étonnant retour d’événements ?
— Son Eminence me l’a laissé entendre au cours d’un entretien que nous avons eu, elle et moi, il y a peu. Notre hôte, profondément choqué par l’attitude si nouvelle de la Reine Mère qui semble l’avoir pris en grippe, estime qu’il faut l’empêcher à tout prix de reprendre sur le Roi son ancienne influence, et il ne m’a pas caché qu’il souhaite se rapprocher de la Reine. D’où un retour qui m’enchante…
— Qui nous enchante tous, ma chère, et à commencer par la Reine ! Il y a longtemps que je ne lui ai vu ce visage souriant. D’autant que la reconnaissance envers le Cardinal ne lui sera pas trop pesante. À vous non plus d’ailleurs…
— Pourquoi ?
— Parce que, avant la fin de l’année, Son Eminence nous aura quittés.
— Il va mourir ? Il n’a pourtant pas l’air malade…
— La campagne vous aurait-elle rendue un peu simplette, ma chère « sœur » ? Il n’est pas malade le moins du monde mais le Roi vient de le nommer Lieutenant général des armées que commandera en réalité le maréchal de La Force. Bassompierre me l’a dit hier : nous avons à nouveau des soucis en Italie où Casal se retrouve menacée ainsi que Mantoue, mais cette fois par les Impériaux. L’Empereur n’a pas admis que l’on intronise le nouveau duc de Mantoue sans sa permission. Le Roi ne pouvant s’absenter de Paris en ce moment, c’est le Cardinal qui part faire entendre là-bas la voix de la France…
— Mais c’est une excellente nouvelle, ça ! exulta Marie. Le Roi séparé de son Ministre chéri sera peut-être mieux disposé envers la Reine – elle pensait évidemment à la potion de Basilio qu’elle n’avait eu garde d’oublier à Dampierre – sans compter qu’il serait possible de briser un morceau de cette belle entente qui pèse à tout le monde ici…
La Princesse éclata de lire :
— Incorrigible Marie ! Ce n’est pas la reconnaissance qui vous étouffe, à ce que l’on dirait ! Alors que vous êtes en quelque sorte la reine de la soirée, voilà que vous revenez déjà à vos vieilles rancunes ? Je vous croyais les meilleurs amis qui soient, le Cardinal et vous ?
— Il est bon qu’il le croie aussi et pour l’instant je n’ai aucune envie d’agir contre lui. Je vais seulement attendre de voir comment se dérouleront les événements. Au fait, pourquoi donc le Roi qui aime tant la guerre le laisse-t-il partir seul ?
— Parce qu’il a d’autres affaires à régler. Par exemple avec l’Angleterre où il s’agit de remettre les relations sur un plan plus… familial. Tenez ! Regardez avec qui mon « époux » est en grande conversation dans cette embrasure de fenêtre.
Bassompierre en effet causait avec un personnage dont la tournure évoquait un souvenir à Marie malgré qu’il lui tournât le dos :
— Qui est-ce ? demanda-t-elle, mais la réponse lui vint aussitôt quand l’inconnu se détourna pour prendre un verre sur le plateau qu’offrait un laquais :
— Dudley Carleton ? murmura-t-elle. Mais pourquoi est-il là ?
— La même raison qu’il y a trois ans : apaiser les relations entre son Roi et le nôtre. Il est l’un de ceux qui ont signé le traité de paix… Mais que vous voilà pâle ? Ce Carleton ne vous a jamais été cher, que je sache ?
— Où est votre mémoire, Louise ? Avez-vous oublié qui l’accompagnait lors de sa dernière ambassade… et comment elle s’est terminée ?
La voix de Madame de Conti baissa jusqu’au murmure :
— Le duel entre mon frère et Holland qui s’est achevé par le renvoi en Angleterre de ce dernier ? Comment l’oublier ? Et si j’en juge la mine que fait notre Claude, il doit s’en souvenir. À l’évidence, il attend que Bassompierre en ait fini avec l’Anglais pour venir lui parler…