Et Claude était reparti l’oreille basse, avec pour seule consolation d’être accompagné un bout de chemin par Marie qui avait décidé de quitter Nancy où sa position devenait inconfortable : son ménage à trois commençait à indisposer des gens plus attachés à leur Duchesse qu’elle ne l’avait supposé. Aussi choisit-elle de s’installer à une vingtaine de lieues de la capitale, à Bar-le-Duc, fief nominal de la duchesse Nicole pour lequel l’hommage était dû au roi de France : une question encore en suspens. Au printemps 1627, Charles de Lorraine se rendit d’ailleurs à Paris pour en discuter et, en même temps, essayer de plaider la cause de sa maîtresse. Sans plus de succès que les autres et au retour, il vint chercher des consolations dans les bras de Marie pour laquelle on avait choisi l’une des plus belles demeures de la ville haute, pourvue d’un jardin d’où l’on découvrait les méandres de la rivière Onzain. L’endroit était charmant, discret et infiniment plus agréable que l’appartement en plein palais ducal où l’on risquait toujours d’entrer en collision avec la duchesse Nicole au détour d’un couloir.
L’échec de ses deux négociateurs rendit Marie furieuse. Elle décida qu’il était temps pour elle de prendre en main ses propres intérêts et de préparer une nouvelle coalition contre la France de Richelieu. Les circonstances étaient favorables à une belle intrigue : à Paris d’abord, où la Reine pouvait respirer plus à l’aise, car, après dix mois de mariage, Madame, duchesse d’Orléans, était morte en donnant naissance à une vigoureuse petite fille, Anne-Marie-Louise d’Orléans que l’on appellera un jour la Grande Mademoiselle. Mais personne ne l’eût alors imaginé et ce qui comptait, c’est qu’elle n’était qu’une fille : Anne d’Autriche était sûre de rester sur le trône sans trop de soucis, Monsieur n’ayant aucune envie de s’encombrer d’une nouvelle épouse avant un bon moment.
Dans la haute noblesse, les ferments de révolte étaient à l’œuvre : on avait appris en septembre la mort bizarre du maréchal d’Ornano au donjon de Vincennes. La version officielle était une crise d’urémie, mais dans sa « chambre bleue » la marquise de Rambouillet, reine des beaux esprits et des précieuses, déclarait sans se gêner que le cachot qu’on lui avait donné « valait son pesant d’arsenic ». Autre tragédie, survenue au lendemain de la mort de Madame, l’incorrigible duelliste, Montmorency-Bouteville, avait porté au bourreau sa tête obstinée : il s’était battu contre le marquis de Beuvron en pleine place Royale, à deux heures de l’après-midi et devant le texte de l’édit interdisant le duel. Le Cardinal s’était montré impitoyable et le jeune fou avait été exécuté, à la consternation indignée des Montmorency et d’une bonne partie de la noblesse. Madame de Chevreuse s’ingénia alors à réveiller la cabale aristocratique assoupie depuis la mort de Chalais. Elle écrivit beaucoup, assistée du duc de Lorraine, et de nombreux messagers coururent les grands chemins ranimant le feu qui couvait aux quatre coins du royaume. Un plan prit forme : tandis que Charles de Lorraine marcherait sur Paris avec ses troupes, le comte de Soissons et le duc de Savoie envahiraient la Provence et le Dauphiné. Quant aux chefs protestants, Rohan et Soubise, ils s’empareraient du Languedoc, au mépris des traités, en réveillant la guerre de religion.
Mais pour cette dernière partie du programme l’aide de l’Angleterre était nécessaire et Marie reprit sa correspondance avec le duc de Buckingham toujours aussi enragé d’avoir été exclu de France et empêché d’y poursuivre ses amours avec la reine Anne si maladroitement compromises dans le jardin d’Amiens[3]. Le beau George poussa l’armement des navires qu’il voulait lancer sur les côtes de France tandis que de toute part le bruit des armes se faisait entendre. En résumé, la duchesse de Chevreuse était prête à précipiter la moitié de l’Europe sur le royaume de Louis XIII afin de pouvoir revenir au Louvre en triomphatrice, fût-ce dans les bagages de l’ennemi. La Reine, tenue au courant par leur correspondance, ne demandait pas mieux que d’applaudir. Et le mauvais coup faillit bien réussir.
Afin de conforter le Prince lorrain dans les bonnes dispositions où l’avait mis sa maîtresse et de faciliter leurs relations, Buckingham envoya à Nancy l’un de ses proches, Lord Montaigu, dont Marie avait fait la connaissance en Angleterre à l’occasion du mariage de Charles Ier avec Henriette-Marie de France. Elle en avait fait un ami. Sans plus. Il ne manquait pas de charme mais, passionnément éprise alors de Henry Holland et essentiellement occupée à entretenir son amitié avec Buckingham, elle ne pouvait s’intéresser à aucun autre homme.
Ce fut une autre histoire lorsqu’il vint la saluer dans sa maison de Bar et développer devant elle les plans ourdis par Buckingham pour réduire la France. Marie fut enchantée d’apprendre que le Duc était en train d’armer trois flottes de dix mille hommes, dans le but d’aller attaquer l’île de Ré et de prêter main-forte aux protestants de La Rochelle, mais si elle écouta beaucoup, elle regarda aussi l’arrivant d’un œil neuf. C’était un Anglais, blond, froid, distingué, élégant qui s’exprimait aisément en deux ou trois langues et qui, en outre, offrait une vague ressemblance avec le tant regretté Holland. Tandis qu’il lui expliquait que si la première flotte était destinée à La Rochelle, les deux autres devaient bloquer les vallées de la Loire et de la Seine, elle lui sourit beaucoup et Walter Montaigu, oubliant son magnifique self-control britannique, prit feu comme une torche approchée d’une flamme. Ce furent des amours d’autant plus excitantes qu’un parfum de conspiration s’y mêlait, mais des amours écourtées par la force des choses. Présenté au duc Charles avec un plein succès – le Lorrain avait cependant spécifié qu’il mettrait ses troupes en marche seulement quand les Anglais auraient débarqué –, Montaigu devait se rendre aussi en Savoie, en Suisse, en Hollande, à Venise et en Bretagne chez les Rohan, parents de Marie. Il partit donc tandis qu’elle se précipitait sur son écritoire pour exciter l’ardeur des divers souverains dont on espérait l’aide. On s’agita un peu partout, levant ou promettant des troupes destinées à récupérer pour leurs maîtres un morceau du gâteau France. Cela semblait marcher pour le mieux. De toute part on attendait que Buckingham mît ses troupes à terre pour lancer les autres invasions. Et, il faut le dire, Anne d’Autriche faisant fi de ses devoirs de Reine participait à la même espérance. Marie et ses amis n’oubliaient qu’une chose : la redoutable paire que formaient le roi Louis XIII et son ministre, le cardinal de Richelieu…
Tout commença bien : le 22 juillet 1628 Buckingham prenait pied sur l’île de Ré : cent navires, cinq mille hommes et cent chevaux débarquèrent. Impressionnant mais insuffisant pour réduire l’héroïque Toiras qui s’enfermait dans le fort Saint-Martin où il tiendra bon ! Le Roi et le Cardinal de leur côté se mirent en marche afin de le ravitailler et d’assiéger La Rochelle. Dans la nuit du 30 octobre, des troupes d’élite débarquèrent dans l’île de Ré. Toiras repoussa l’assaut des Anglais. Quelques jours plus tard, Ré était reprise par le maréchal de Schomberg. Poursuivis, Buckingham et Soubise rembarquèrent, laissant plus de quinze cents morts derrière eux. Ce qui restait de leurs troupes manqua alors d’approvisionnements et se vit décimé par la maladie sur une flotte qui avait grand besoin de réparations.
Les laissant à leurs problèmes, Richelieu, qui avait construit la fameuse digue, assiégea la ville qu’il réduisit par la famine. À la fin d’août 1628, Charles d’Angleterre et Buckingham s’apprêtèrent à lancer une nouvelle flotte, rassemblée plus mal que bien en raison de la haine que le peuple anglais portait au favori.