Выбрать главу

— Oh ! cela ne l’effraie pas ! Si jeune qu’elle soit, elle n’a peur de rien. C’est je crois l’une des raisons pour lesquelles le Roi est fasciné par elle !

— Dans ce cas il faut l’attirer à nous : il faut qu’elle fasse entendre à ce mari impossible que la meilleure manière de lui plaire est de fréquenter la chambre de la Reine.

L’épouse secrète de Bassompierre se mit à rire.

— Vous chargeriez-vous de le lui dire ? Pas moi ! Ses jolies petites dents sont aussi dures que du granit…

Marie leva les bras pour les laisser tomber dans un geste de total découragement :

— Alors il ne nous reste plus qu’à prier, nous aussi, pour obtenir un miracle, car je ne vois plus où nous tourner : le Roi délaisse le lit de sa femme, ce qui ôte à celle-ci la moindre espérance de mettre au monde l’enfant tant désiré et, si notre sire venait à mourir, nous ne pourrions plus fonder d’espoir sur cette tête en l’air de Gaston : même s’il devenait roi, la reine Anne ne veut plus entendre parler de l’épouser.

La situation semblait bloquée mais Marie n’était pas de celles qui se découragent. Il fallait à tout prix ramener le Roi chez la Reine au moins une fois avant son départ : le bruit courait que Louis XIII n’allait pas tarder à rejoindre à la fois son armée et le Cardinal en Italie où la situation tournait au vinaigre. Non seulement l’Empereur avait refusé l’investiture au nouveau duc de Mantoue, mais il faisait assiéger sa ville tandis que les Espagnols revenaient s’installer devant Casal. Le Cardinal cependant n’avait pas perdu son temps : il avait mis en demeure le duc de Savoie de prendre parti pour ou contre l’Espagne et, devant le refus de celui-ci, s’était emparé de la puissante forteresse de Pignerol, dangereusement proche de Turin sa capitale d’outre-monts, avec l’intention d’en faire une monnaie d’échange si Casal venait à tomber. Il avait en outre rencontré un homme selon son cœur en la personne d’un certain Giulio Mazarini, secrétaire du cardinal Panzirolo, nonce du Pape à Turin. C’était un fort mince personnage de vingt-huit ans mais habité par une ambition sans frein et un véritable génie politique. Le pape Urbain VU ! craignait que dans un conflit entre Français d’une part, Impériaux et Espagnols d’autre part, ses États n’eussent grandement à en pâtir. Le jeune Mazarini qui ne manquait pas de charme était en quelque sorte son arme secrète. Et Richelieu l’avait apprécié…

Le Roi devait quitter Paris à la fin de février. Aussi Marie décida-t-elle d’agir avant. Par bonheur, elle disposait à présent d’un allié dans la place : La Porte, rentré en grâce lui aussi, avait retrouvé sa charge de portemanteau de la Reine. Son dévouement étant inchangé, il retrouva tout naturellement son ancienne entente avec Madame de Chevreuse. Comme elle, il déplorait le manque d’assiduité du Roi et ils tombèrent d’accord sur la nécessité qu’il y avait d’au moins une visite nocturne à la Reine. Marie lui confia sans hésiter l’élixir de Basilio afin qu’il en ajoutât au verre de vin que Louis XIII avait coutume d’absorber – peut-être pour se donner du courage ! – avant d’entrer au lit de sa femme.

Les choses étant ainsi mises en ordre, on attendit vainement jusqu’à la veille du départ. Marie que l’inquiétude rongeait décida qu’il était plus que temps d’agir et, prenant son courage à deux mains, elle demanda audience. C’était la première fois qu’elle osait une telle démarche depuis que la brouille s’était installée entre eux, et le cœur lui battait quand, derrière le Capitaine des Gardes, elle franchit le seuil de l’appartement royal. Louis XIII l’attendait dans son cabinet d’armes. Debout devant une table, il examinait un mousquet d’une facture nouvelle que l’on venait de lui apporter et, tout d’abord, ne parut pas s’apercevoir de la présence de sa visiteuse, la laissant au fond de sa révérence sans l’en relever.

Fermement décidée à mettre de côté son caractère impulsif, Marie finit par sentir sa patience à bout :

— Avec la permission du Roi, je voudrais pouvoir me relever, Sire, j’aurais honte de m’écrouler à ses pieds. Je suis tombée hier dans un escalier et…

Il se retourna comme si une guêpe l’avait piqué et l’enveloppa d’un regard sans tendresse :

— Remettez-vous, Madame, remettez-vous ! Je vous ai connue moins pointilleuse sur le protocole.

— C’était au temps où Votre Majesté voulait bien m’honorer d’une amitié que je ne me consolerai jamais d’avoir perdue…

— Vous avez fait ce qu’il fallait pour cela ! Mais vous désiriez que je vous reçoive, voilà qui est fait. Que voulez-vous ?

Le ton était rude et Marie étouffa un soupir. L’entretien commençait mal mais elle avait trop de bravoure naturelle pour que sa détermination en fût affectée :

— Sire, modula-t-elle de sa voix la plus douce, je viens ce soir parler au Roi de sa royale épouse. Je ne lui apprends rien en disant que je ne l’avais pas vue depuis longtemps lorsque l’on m’a fait la grâce de me rappeler auprès d’elle et je ne cacherai pas plus longtemps au Roi que je me tourmente.

— Pour quelle raison, mon Dieu ? Si elle était souffrante on m’en aurait informé.

— Ce n’est pas du corps qu’elle souffre mais de l’âme, bien que l’influence de l’une sur l’autre soit notoire. La Reine prie beaucoup plus qu’autrefois…

Le Roi eut un petit rire sec assez méchant :

— Que cela vous inquiète ne me surprend nullement, mais moi cela me fait plutôt plaisir. Il est bon qu’une reine de France se tourne fréquemment vers Dieu. Il ne peut qu’en sortir du bien pour le royaume !

Le ton sentencieux qu’il employait balaya les belles résolutions de Marie. Elle joua son va-tout :

— … mais surtout elle pleure ! Quant au royaume, le meilleur qui pourrait lui advenir serait la naissance d’un dauphin et je ne vois pas comment, dans l’état actuel des choses. Dieu pourrait exaucer les prières de la Reine si le Roi continue à la délaisser. La bienheureuse intervention du Saint-Esprit n’a eu lieu qu’une fois dans l’Histoire et c’est d’un prince dont la France a besoin : pas d’un messie !

La tirade de Marie fit monter le sang au visage de Louis. Son œil se chargea d’éclairs et, quand il ouvrit la bouche, l’impudente craignit un instant que ce ne fût pour l’envoyer à la Bastille ou à Vincennes.

— Vous ne manquez pas d’audace, Madame de Chevreuse, mais ce n’est une nouvelle pour personne. Vous devriez pourtant savoir que vos insolences ne me font plus rire.

Marie plia le genou, laissant sa robe de brocart azuré s’étaler autour d’elle, mais ne baissa pas la tête :

— Si le Roi voulait bien cesser de croire à une insolence chaque fois que j’ouvre la bouche, il s’apercevrait peut-être que je ne suis animée que par le dévouement et la respectueuse affection que je porte à mes souverains. Sire, vous partez demain. La Reine ne cessera plus de craindre pour votre vie. Faites-moi emprisonner si vous le voulez mais, je vous en conjure, ne laissez pas cette nuit s’achever sans lui avoir rendu visite !!

Il y avait à présent des larmes dans sa voix, dans l’outremer de ses beaux yeux. Louis la considéra un instant sans rien dire puis, se penchant, lui tendit une main pour l’aider à se relever :

— Je vous préfère ainsi. Duchesse. Tout en regrettant que votre émotion de cette minute ne soit pas plus fréquente. Nous serions sans doute encore amis. Mais, pour ce soir vous avez raison. Allez dire que l’on mette le chevet. Je vous suis dans un moment…

Marie ne se le fit pas répéter. Après une révérence bâclée, elle prit sa course à travers les galeries du Louvre, sa robe soulevée à deux mains laissant voir, pour le plus grand plaisir des Gardes du Corps et des Suisses, ses mignons souliers de satin argenté et ses jambes gainées de soie blanche : un régal inattendu et d’autant plus apprécié. Elle tomba comme une bombe chez la Reine que ses dames déshabillaient :