— Le Roi arrive ! clama-t-elle de façon que nul n’en ignore. Il commande que l’on mette le chevet.
Ce fut la révolution dans la volière : chacun, chacune se précipita tandis que Madame de Chevreuse faisait asseoir Anne d’Autriche devant sa table à coiffer pour mettre un peu de rouge à ses joues pâles et donner un tour gracieux à sa chevelure. Tout en s’activant, elle put voir La Porte remettre à l’une des caméristes un petit plateau d’argent sur lequel était un verre de vin. Anne d’Autriche seule semblait ravagée d’inquiétude :
— Il vient ? Comment avez-vous fait ?
— Cela importe-t-il ? Ce qui compte c’est que… vous êtes belle à miracle ce soir. Madame. Alors souriez ! Il faut que la nuit soit aussi belle que vous !
Un moment plus tard, presque agenouillée, elle accueillait le Roi en robe de chambre à ramages et refermait elle-même la porte. Son cœur battait la chamade tant elle était excitée. Incapable de rentrer chez elle à cette heure cruciale, elle cherchait, dans le Grand Cabinet, un endroit où s’établir quand la revêche dame d’honneur. Madame de Lannoy, apparut suivie d’un laquais portant un matelas, un oreiller et une couverture :
— J’ai pensé, dit-elle de sa voix de tête, qu’après un tel coup de maître, vous préféreriez rester ici.
Ne fût-ce que pour voir à quelle heure notre Sire rentrera chez lui !
Eberluée par une sollicitude à laquelle cette femme ne l’avait pas habituée, elle ne put que bredouiller un vague merci. La dame d’honneur lui décocha un mince sourire :
— Dès l’instant où vous œuvrez pour rapprocher Leurs Majestés, vous me trouverez à vos côtés, Madame la Duchesse ! Nulle n’est plus que moi attachée à la poursuite de la lignée de nos Rois. Mais en ligne directe !
Ce n’était un secret pour personne qu’elle haïssait Monsieur et que l’ancien projet d’union entre lui et sa belle-sœur avait toujours trouvé en elle une adversaire acharnée. Bonne fille, Marie rendit les armes :
— Alors nous nous entendrons. J’en suis venue à comprendre que c’était encore la meilleure solution…
Dire qu’elle passa une nuit paisible serait excessif : elle était beaucoup trop agitée pour ce faire. L’œil fixé sur la pendule qu’un chandelier disposé par ses soins éclairait en plein, elle compta les minutes. Et le temps passa sans qu’elle pût démêler si elle le trouvait interminable ou affreusement court. Mais elle aurait volontiers chanté de joie quand la porte s’ouvrit, peu après que l’horloge du palais eut sonné cinq coups. Le Roi parut, bâillant à s’en décrocher la mâchoire en serrant la ceinture de sa robe de chambre. Il ne vit même pas la jeune femme qui, tout de suite inquiète – s’il avait dormi tout ce temps, c’était la catastrophe –, se précipita dans la chambre pour constater que la Reine dormait à poings fermés au milieu de ses cheveux dénoués et dans un désordre évocateur. Madame de Lannoy était déjà là elle aussi et leurs regards se croisèrent :
— Si je ne me suis pas trompée, laissa tomber celle-ci du coin des lèvres, je crois que le Roi a couru trois postes avant de s’endormir.
« Seigneur ! pensa Marie, elle a dû passer la nuit l’oreille collée à la serrure… à moins qu’elle ne l’ait vécue dans le cabinet de bains en laissant l’huis entrouvert ! » Qu’importe ! Ce qu’elle annonçait était des plus satisfaisant. Et Marie adressa une pensée reconnaissante au cher Basilio. Le verre de vin était vide. Il n’en restait plus une goutte. L’élixir était peut-être plus efficace que le bonhomme n’avait voulu l’avouer…
— À présent, je vais rentrer chez moi faire un brin de toilette, dit-elle en étouffant un bâillement. Et essayer de dormir quelques instants…
— Faites-vous accompagner ! La Maison du Roi part dans trois heures. Les cours commencent à être en agitation, conseilla Madame de Lannoy décidément pleine de sollicitude.
La Porte y avait pensé aussi : il attendait Madame de Chevreuse au bas du Petit Degré par lequel on accédait directement à l’appartement de la Reine. Il sourit en la voyant arriver.
— Il semble, chuchota-t-il, que le succès soit complet ?
— Sans aucun doute. On a bu tout le verre. Vous n’y avez pas mis le contenu du flacon, j’espère ?
— Non, soyez sans crainte. J’ai mis juste ce qu’il fallait pour que le nez du vin soit à peine changé mais dans le sens agréable. C’est assez bon d’ailleurs. Et soyez tranquille. Madame la Duchesse, il nous en reste largement pour le retour du guerrier !
Un grand mois plus tard, le 6 avril, Louis XIII apprenait que sa femme était enceinte et Bouvard, son médecin, écrivait au cardinal de Richelieu :
« Jamais Sa Majesté ne fut si gaie, si joyeuse et si contente. Jamais plus d’attraits, de douceur et d’amour. J’espère qu’en ce temps qui y est bien propre l’esprit étant éloigné de la chasse, l’effet tant désiré de tout le monde, et de vous particulièrement, réussira… »
Quant au Roi, plein d’espérances, il invita sa mère et sa femme à le rejoindre à Lyon dont il faisait en quelque sorte sa capitale durant le temps des opérations. Elles devaient voyager par eau, le moyen le plus confortable et le plus sûr.
Marie partit, naturellement, avec la Reine sur qui elle veillait mieux que si elle était l’une de ses filles. Elle fut malheureusement obligée de constater que la grosse Médicis emmenait avec elle la majeure partie de sa maison, sans oublier la trop jolie Marie de Hautefort, mais Anne était à présent enceinte de trois mois et, au lieu de l’enlaidir, son état semblait l’illuminer de l’intérieur.
On fut à Lyon le 5 mai.
CHAPITRE VI
LA JOURNÉE DES DUPES
Etrange voyage que celui-là ! Commencé dans la joie et l’espérance, du moins chez la Reine, il tourna à l’aigre assez vite. À peine fut-on à l’archevêché de Lyon où logeaient les souverains qu’Anne d’Autriche fut prise de douleurs et, en dépit des extrêmes précautions prises, perdit son fruit. Le Roi était alors à Grenoble et, sur le conseil de Madame de Chevreuse, on décida de ne rien lui dire pour le moment afin de ne pas ajouter à ses tracas. Mais la Reine Mère ne l’entendit pas ainsi et comme, en outre, elle refusait l’hospitalité de l’Archevêque – le propre frère du Cardinal ! – elle alla s’installer à l’abbaye d’Ainay avec sa coterie habituelle à la tête de laquelle le Garde des Sceaux, Michel de Marillac, avait pris la place du cardinal de Bérulle. À l’étonnement chagrin de Marie, Louise de Conti partit avec elle.
— Je ne veux pas, moi non plus, vivre chez un Richelieu quel qu’il soit. En arrivant ici, j’ai trouvé une lettre de Bassompierre qui avec son régiment de Suisses a réussi le passage des cols et a pris Moûtiers. Or, c’est le maréchal de Châtillon qui s’est vu attribuer cette victoire par ce maudit Cardinal. C’est insupportable !
— Mais enfin ! Abandonner la Reine !
— Je ne l’abandonne pas… et même nous pourrions nous voir plus souvent que vous le croyez. Marie de Médicis est, vous le savez, une ancienne amie pour moi et je pense qu’il doit être possible de la rapprocher de notre Reine…
Marie ne put retenir son indignation :
— Je vous souhaite du plaisir dans cette entreprise ! Vous avez entendu comment elle l’a traitée quand elle a perdu son enfant ? Je ne suis pas bégueule mais j’aurais honte de répéter…
— Vous la connaissez aussi bien que moi : il faut qu’elle braille pour tout et n’importe quoi mais, dans la bataille qui se prépare – car elle n’a pas, tant s’en faut, renoncé à abattre Richelieu –, je préfère me ranger de son côté. Bassompierre le désire et je suis son obéissante épouse…