Les Chevreuse étaient revenus chez eux, rue Saint-Thomas-du-Louvre. Bien que, durant le voyage de retour, Marie de Médicis eût manifesté, envers le Cardinal, une amabilité aussi soudaine qu’inattendue, Marie sentait que l’on préparait quelque chose. Quand elle se rendait chez la Reine, elle éprouvait la vague impression d’être tenue un peu à l’écart, même si Anne d’Autriche lui montrait toujours la même amitié. Certaines conversations s’arrêtaient quand elle arrivait : Madame du Fargis prenait avec elle des airs mystérieux cachant mal l’espoir de l’éliminer dans un jour prochain. Seule Louise de Conti la mit en garde :
— Vous avez beaucoup changé, Marie. Et pas à votre avantage. Du moins c’est ce que l’on dit.
— Où prend-on cela ?
— Dans le jardin de l’Archevêché de Lyon, quand on croyait le Roi à toute extrémité. On vous a vue parler à Monsieur le Cardinal.
— Et alors ? Ce n’était pas la première fois et sans doute pas la dernière…
— Certes, certes, mais cela a donné à penser. On ne vous savait pas en si bons termes avec cet homme dont naguère encore vous proclamiez que vous le détestiez.
— Quoi que vous en pensiez, je n’ai pas changé mais il se trouve que j’ai l’habitude de payer mes dettes. Or, que vous le vouliez ou non c’est bien à lui que je dois mon retour. Lui dire trois mots quand chacun le traitait en pestiféré m’a paru une façon comme une autre de m’acquitter. En outre, et même si cela vous contrarie, j’ai de plus en plus de mal à supporter la Reine Mère. Dès que je l’entends vociférer dans un langage digne d’une marchande de poisson et donnant libre cours à sa mauvaise nature, j’ai peine à croire qu’une aussi noble dame que notre reine à nous, une infante, ait soudain jugé bon de s’en accommoder. Un peu de mémoire, mille tonnerres ! Durant des années la Florentine a tout fait pour lui rendre la vie impossible ; elle l’a traînée dans la boue et à présent on s’embrasse ?
— La seule chose importante est d’en finir avec le Cardinal ! Allons, Marie, où est passé votre sens commun ? Croyez-moi : allez faire votre paix avec la Reine Mère qui commence à vous regarder de travers. Tôt ou tard, elle l’emportera sur son ennemi. Le Roi ne lui résistera pas éternellement.
— Ce qui m’étonne, moi, c’est qu’il puisse encore la souffrir !
— Bah ! Soyez certaine qu’une fois la victoire obtenue, nous aurons d’elle les plus beaux sourires. Et, faites-moi confiance, elle n’est plus loin cette victoire… Alors, songez à votre avenir… Revenez à nous… à vous !
— Je ne vous ai jamais quittés !
Cependant, la Duchesse jugea plus prudent de prendre ses distances avec les deux camps en présence et dont elle était persuadée qu’ils n’allaient pas tarder à en venir aux mains. Elle tomba malade.
C’est-à-dire qu’elle fit de son mieux pour qu’on la crût, sinon à l’agonie du moins assez souffrante pour ne pas quitter son lit. Elle avait eu à ce sujet un entretien prolongé avec son époux qui naturellement s’était un peu inquiété des bruits commençant à courir sur sa femme et s’était hâté d’approuver une décision qui le soulageait et lui évitait de tirer l’épée à tout bout de champ pour la défendre, comme cela avait failli se produire à deux ou trois reprises. Lui-même, toujours aussi fidèlement attaché au Roi, se trouvait à l’abri des critiques :
— Il faudra pourtant que vous guérissiez un jour, lui fit-il observer. Et guérir, cela signifie prendre parti !
— Je sais mais à chaque jour suffit sa peine et j’entends, pour l’instant, n’en prendre aucun. Autrement dit je veux rester neutre aussi longtemps que possible et vous serez mon seul lien avec la Cour. Ouvrez vos yeux et vos oreilles, moi j’ai la fièvre !
— Et si l’on vous vient visiter ?
— Ma fièvre se peut contracter. Je ne reçois personne. Herminie a pris mes ordres. Et si l’on vous demande si vous ne craignez pas d’apporter mon mal avec vous, dites que mes nouvelles vous sont données par écrit…
Le bon Claude joua le rôle du mieux qu’il put, même chez la Reine qui, par deux fois, s’enquit de l’état de son amie. Et si bien peu furent dupes – la santé de Marie était quasi proverbiale –, si certains ricanèrent, Chevreuse eut au moins la satisfaction de couler des jours paisibles à un moment où le ciel se couvrait de nuages d’orage de plus en plus lourds. Louise trouva cela amusant :
— Ce n’est pas une si mauvaise idée, dit-elle au « malheureux » mari. Il faut seulement espérer que sa fièvre ne la retiendra pas à la chambre durant des mois… Embrassez-la pour moi ! Quand vous pourrez l’approcher, du moins !
L’instinct de Marie l’avait bien inspirée : quinze jours plus tard, le 10 novembre, la tempête éclatait…
La veille même, Louis XIII qui ne manquait pas d’une certaine subtilité avait demandé à son ministre en quelles dispositions la Reine Mère était envers lui. Richelieu, armant son visage de bénignité, répondit qu’il pensait être revenu dans ses bonnes grâces étant donné les amabilités qu’elle lui avait témoignées durant le voyage de retour :
— Ne vous y trompez pas, riposta le Roi. Il n’y a rien de changé.
Richelieu allait s’en apercevoir dès le lendemain.
Le Roi avait coutume de se rendre chaque matin auprès de sa mère afin de s’inquiéter de sa santé. Ce jour-là qui était un dimanche, Marie de Médicis condamna sa porte sous le prétexte qu’elle avait pris médecine. Le Cardinal alors convoqua le Garde des Sceaux… et il lui fut répondu que lui aussi avait pris médecine. Ce grand besoin de récurage intime sévissant chez ses ennemis mit la puce à l’oreille du Ministre. Il se rendit au Luxembourg où, à sa surprise, il trouva toutes portes closes. Cependant, tandis qu’il en faisait le tour, qui aperçut-il ? Marillac :
— Vous voilà donc ? Et vous disiez que vous étiez malade ?
Cette fois il n’y avait plus de doute, c’était une conspiration et qui ne pouvait être dirigée que contre lui. Le Cardinal comprit qu’il était vital pour lui d’apprendre ce qui se disait chez la Reine Mère. Et pour ce faire il allait prendre un risque énorme : s’introduire chez elle sans sa permission.
Ayant été intendant du palais, il le connaissait dans ses moindres recoins. Ainsi, certain couloir sombre partant de la chapelle derrière une porte dérobée et menant droit aux appartements de la Florentine.
Cet accès-là, étant à peu près inconnu, n’est pas fermé. Richelieu va l’emprunter et s’offrir le coup de théâtre d’apparaître soudain dans la chambre de son ancienne protectrice où celle-ci, en effet, est en grande conversation avec son fils.
— Je demande infiniment pardon à Leurs Majestés, dit le Cardinal en saluant profondément, de les rejoindre sans y avoir été invité, mais je suis sûr que c’est de moi que l’on parle !
Louis XIII n’a pas le temps de répondre. Dressée sur ses ergots, la Reine Mère pique une de ces colères furieuses qui font parfois douter de la pureté de ses origines car elle perd la plus élémentaire retenue. C’est une poissarde en furie devant quelque éventaire des Halles. Dans un effroyable jargon franco-italien, elle couvre d’injures et d’insultes l’imprudent qui vient d’oser s’interposer entre elle et son fils au moment où elle est en train de demander sa tête. Il a tous les défauts, toutes les tares, tous les vices, et sa famille ne vaut pas mieux ! N’avait-il pas comploté de marier Monsieur avec sa nièce et maîtresse, la Combalet qui est une moins que rien, dont on connaît les mœurs dissolues et que d’ailleurs elle vient de chasser ignominieusement comme ceux qui lui touchaient de plus ou moins près…