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C’était agréable à entendre. Herminie n’en fut pas moins obligée de jouer aux échecs la première partie de la nuit, et, dans la seconde, lire quelques pièces de poésie de Voiture que sa maîtresse jugeait soporifiques et qui cependant ne vinrent pas à bout d’une nervosité entretenue par le chahut que, vers minuit, certains tenants de la « cabale » vinrent mener dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre puis, au matin par un billet glissé sous le portail qu’on lui apporta avec son petit déjeuner.

« La disgrâce vous attend et peut-être la Bastille, disait-il. De toute façon la mort approche. Si elle ne vous est pas donnée par la main du bourreau, nous nous en chargerons sans crainte d’être poursuivis. Ceux qui ne vous pardonneront jamais la mort de Chalais. »

Le coup fut si rude que Marie s’évanouit. Avec le temps elle avait fini par se croire à l’abri de cet ennemi sans visage qui avait déjà tenté de la tuer sur la route du Verger. Elle pensait que les hasards de l’époque s’en étaient chargés, qu’il était peut-être mort ? Or, voilà qu’il reparaissait au moment précis où son destin s’enfonçait dans les brumes de l’incertitude…

Lorsqu’elle reprit connaissance, elle ressentit une telle angoisse qu’elle donna à Herminie l’ordre de préparer ses coffres de voyage et d’appeler Peran :

— Il se peut que je sois obligée de partir rapidement… pour une destination lointaine. Fais tes préparatifs en conséquence.

— Loin, cela veut dire où ? s’enquit le cocher sans se départir de son habituelle impassibilité.

— Les Pays-Bas… l’Angleterre. Est-ce que je sais ? s’emporta-t-elle. Mais peut-être bien la seconde ? J’y serai plus en sûreté…

Elle serait surtout plus près de Holland auquel, depuis ces derniers jours, elle ne cessait de penser. Le besoin de le revoir devenait criant et à cet instant proche de la panique, elle éprouvait comme une nécessité. Qu’il eût une maîtresse lui importait peu : elle se savait assez forte pour le reprendre à n’importe qui. Et puis, chez le roi Charles dont l’amitié ne lui avait jamais fait défaut, elle serait protégée mieux que n’importe où…

Quittant un lit où elle n’avait plus que faire, Marie, tandis que ses femmes sortaient ses bagages pour commencer à les remplir, demanda ses cassettes de joyaux qu’elle passa en revue afin de s’assurer qu’il n’en manquait pas, à l’exception d’une parure de saphirs confiée à son joaillier pour un remontage. Pensant que l’ouvrage ne pouvait être achevé, elle se résigna à l’abandonner aux soins de son époux. Puis s’assura de ce qu’elle possédait en argent liquide…

Jamais elle ne s’était sentie aussi nerveuse. Herminie, qui ne comprenait pas son attitude, s’efforça de la calmer en demandant ce qui justifiait une telle hâte alors que l’on était sans nouvelles de Monseigneur le duc. Elle se fit rabrouer :

— Je sais ce que je fais, mille tonnerres ! clama la Duchesse. Si je reste ici je suis en danger et il ne sert d’attendre qu’on m’apprenne je ne sais quelle catastrophe. Cette nuit, nous partons pour la Normandie… Si tu as peur de me suivre, tu n’as qu’à rester !

— Qu’y ferais-je, grands dieux ? Mais je soutiens qu’avant de prendre une si grave décision, il faudrait en avertir Monseigneur. Tant qu’il est auprès de Sa Majesté, vous n’avez sûrement pas grand-chose à redouter…

— Un jour, il m’a laissée être condamnée à l’exil sans protester. Il s’est même chargé de l’exécution. Je préfère suivre mon instinct et mon instinct me dit de passer la mer…

Il fut impossible de l’en faire démordre. Aussi, quand Chevreuse rentra au logis, vers la fin du jour, trouva-t-il la maison sens dessus dessous, le carrosse de sa femme dans la cour et celle-ci dans l’escalier.

— Où allez-vous donc ? s’étonna-t-il. Vous rentrez à Dampierre ?

— Non. Je quitte le royaume. Vous trouverez là-haut une lettre !

— Qu’est-ce qui vous prend ? Vous partez au moment où la Reine a besoin de vous plus que jamais ? Je vous le défends formellement.

— Vous me le… défendez ? souffla Marie abasourdie par cette soudaine poussée d’autorité maritale. Voilà qui est nouveau !

— Il est nécessaire que je fasse preuve de fermeté quand vous vous disposez à commettre une sottise.

— Une sottise ? fit Marie amèrement, alors que je tente de me soustraire à la vengeance de la Reine Mère… et de quelques autres ? Elle est rancunière en diable et n’a pas le triomphe modeste ! Quel sort a-t-on fait au Cardinal ?

— Le Cardinal ? Il est plus puissant que jamais : le Roi vient d’élever sa terre de Richelieu au titre de duché-pairie. Il a déclaré hautement que quiconque s’en prendrait à lui offenserait la Couronne dont il est l’indispensable soutien…

La surprise coupa les jambes de Marie qui se laissa tomber, assise sur les marches de l’escalier.

— Pas possible ! souffla-t-elle. Comment est-ce arrivé ?

— De la façon la plus simple : Sa Majesté et Son Eminence ont eu un long entretien en privé. Lorsqu’il prit fin, le Roi a envoyé un coureur à Paris chercher Monsieur de Marillac. Celui-ci est arrivé tout gonflé de joie et d’orgueil pensant que l’on allait le nommer au lieu et place du Cardinal. Il a vite déchanté : le Roi l’a d’abord prié de rendre les Sceaux, dont vous savez qu’il porte toujours les clefs au bout d’une chaîne à son col… et ensuite il fut décrété d’arrestation puis emmené au donjon de Châteaudun. En même temps un peloton de Mousquetaires était dépêché en Piémont pour porter au maréchal de Schomberg l’ordre de s’assurer de la personne de son frère, le Maréchal, qui devra être ramené en France afin d’y être jugé… Mais ne pourrions-nous poursuivre ailleurs cette conversation ? Je suis revenu ventre à terre, je meurs de faim, de soif, et vous me tenez dans l’endroit le plus incommode du monde !

Sans un mot, la Duchesse se releva et remonta chez elle en clamant que l’on serve Monseigneur au plus vite : elle-même avait déjà soupé…

Un moment plus tard, débarrassée de ses vêtements de voyage et réintégrée dans une virginale robe d’intérieur en laine blanche, elle prenait place en face de Claude, occupé à faire disparaître le solide repas que l’on venait de lui servir.

— Est-ce là tout ce que vous savez ? La Reine Mère…

— … est sans doute au courant à cette heure et les échos du Luxembourg doivent retentir de ses imprécations…

S’interrompant, Claude versa du vin dans un verre et le tendit à sa femme.

— Tenez et buvez ! Pour ce que j’ai encore à dire, il se peut que vous en ayez besoin !

Inquiète, Marie obéit. Son époux avait mangé trop vite. Son visage était très rouge mais trouva pourtant le moyen de s’assombrir.

— Madame du Fargis est chassée de la Cour, reprit-il, ainsi que la femme de chambre de la Reine, Madame Bertaut et sa fille, la petite Françoise[9] qui toutes deux ont vécu longtemps en Espagne. L’ambassadeur Mirabel et sa femme ne seront plus admis au palais que pour les audiences officielles. À l’exception de Stéphanille, les dernières femmes espagnoles devront repasser la frontière…

— Peste ! On dirait que le Cardinal a vu grand dans la vengeance ?

— Ce n’est pas le Cardinal et le Roi l’a fait savoir hautement : c’est lui-même qui manie le balai…

— Oh ! il en est capable mais, là-dedans, je ne vois rien qui nécessite de moi le besoin de réconfort ?

— Attendez la suite ! Le balai fonctionne aussi chez la Reine Mère : ses vieilles amies, les duchesses de Foligno et d’Elbeuf ainsi que la connétable de Lesdiguières sont exilées sur leurs terres. Et… ma sœur Louise ! Le Roi l’envoie chez notre mère au château d’Eu.