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Marie devint blanche et se releva brusquement :

— Louise ? Mais enfin pourquoi ? Pour avoir dit du mal du Cardinal ? En ce cas, il faudrait chasser la plus grande partie de la Cour ! Et vous êtes là à vous bâfrer au lieu d’assiéger le Roi ?

— J’ai fait ce que j’ai pu, Marie, mais Louise ne s’est pas contentée de quelques paroles. Par amour pour Bassompierre elle s’est investie profondément dans la faction la plus extrême de la cabale : celle qui voulait mettre le Cardinal à mort ! Le Roi a répondu qu’elle devait s’estimer heureuse d’être éloignée de la Cour…

— Et Bassompierre alors ?

— Lui c’est plus grave : à cette heure il doit être en route pour la Bastille. À ne vous rien cacher, je suis passé chez lui avant de rentrer pour l’avertir et l’aider à fuir mais il était au courant : il se tenait dans son cabinet, occupé à brûler toutes ses lettres d’amour afin qu’elles ne tombent pas aux mains des exempts de police. Et cela faisait un tel feu d’enfer que j’ai craint un moment pour la maison…

— Il y en avait tant que ça ?

— Cinq mille, je crois… ou un peu plus ! Il faisait d’ailleurs bonne contenance et même il riait en disant que si on l’emprisonnait, il aurait enfin le temps d’écrire ses mémoires.

— Mais Louise, Louise ?

— Je l’ai vue elle aussi. Elle est désespérée mais refuse de fuir. Par-dessus le marché, elle réclame le droit d’être embastillée avec son époux mais il m’étonnerait qu’on l’écoute. Le Roi, vous le savez, ne l’a jamais aimée, souvenez-vous ! Il l’avait surnommée « le péché ». J’ai l’impression qu’il est assez satisfait d’avoir une occasion de s’en débarrasser. Il règle les comptes du Cardinal… et les siens.

— Il est toujours à Versailles ?

— Non. À Saint-Germain. Il compte y rester quelques jours…

— Le Cardinal l’y a accompagné ?

— Il est parti avant le Roi pour son château de Rueil…

— En ce cas, faites remonter mes coffres mais que Peran m’attende.

— Et où pensez-vous aller ?

— Chez le Cardinal, évidemment ! C’est à cause de lui que l’on chasse Louise c’est donc à lui d’obtenir sa grâce. Et moi c’est ce que je veux. Il y a des moments où je me demande si elle n’est pas plus ma sœur que la vôtre !

— Vous savez l’heure qu’il est ?

— Aucune importance ! C’est un grand travailleur que cet homme, même si je ne lui reconnais pas beaucoup d’autres qualités ! Et je vous garantis qu’il me recevra !

— Et demain tout Paris saura que vous êtes allée le rejoindre chez lui au lendemain de son triomphe ! Alors prenez au moins une voiture sans armoiries et enveloppez-vous de façon à n’être pas reconnaissable et…

— Vous rêvez ? Il recevra sans hésiter la duchesse de Chevreuse mais certainement pas n’importe qui ! Les gardes ne me laisseraient pas passer… Et si l’on parle, eh bien, on parlera ! Vous n’avez qu’à faire ce qu’il faut pour qu’on n’en dise pas trop !

— Comment l’entendez-vous ?

— J’ose espérer que l’insolent osant me dénigrer à portée de vos grandes oreilles n’achèverait pas sa journée debout mais au fond de son lit avec quelques pouces de fer dans le ventre… ou ailleurs !

Et elle sortit en claquant la porte.

CHAPITRE VII

OÙ MARIE ENTREVOIT

DES PERSPECTIVES INESPÉRÉES

Après Noël, on avait intensément travaillé à ce qui allait devenir le Palais-Cardinal, prouvant ainsi qu’au moins l’architecte, Jacques Lemercier, croyait en l’étoile de son client. On y travaillait encore à cette heure tardive autour de braseros s’efforçant d’offrir aux ouvriers des sources de chaleur. Les logis, eux, étaient achevés même s’ils sentaient légèrement la peinture et, dans les vastes cheminées, les flambées faisaient merveille.

Comme le pensait Marie, les gardes en tenue rouge laissèrent passer son carrosse sans la moindre objection. Un officier alla prévenir et Marie vit accourir un capucin, le Père Le Masle, qui était le secrétaire particulier du Cardinal. Il l’escorta dans le bel escalier qu’elle connaissait déjà et en haut duquel l’attendait Madame de Combalet.

Le joli visage de celle-ci portait encore les traces de larmes récentes et les plis du souci n’étaient pas encore effacés, même si elle trouva un sourire radieux pour accueillir Marie :

— Vous, Madame la Duchesse ? Et si tard ?

— Je sais l’heure qu’il est mais il faut que j’entretienne le Cardinal sans plus tarder. C’est très important !

— Important ou pas, je pense qu’il vous recevra ! Il va même être infiniment heureux de votre visite…

Visiblement, elle était la première à croire Marie définitivement rangée sous la bannière cardinalice, mais celle-ci ne jugea pas utile de doucher si vite son enthousiasme : tout allait dépendre de ce qu’elle obtiendrait. La charmante nièce l’introduisit elle-même dans le cabinet, austère avec ses boiseries sombres et ses grandes tapisseries mais adouci d’objets chatoyants comme un crucifix d’émaux translucides et quelques objets, coupes et aiguières de cristal ornées de pierres précieuses. Assis dans un vaste fauteuil de cuir, le Cardinal, une plume rouge à la main, rédigeait une lettre. La table où il s’appuyait, éclairée d’une paire de flambeaux, était couverte de portefeuilles et de longues boîtes reliées en maroquin vert et rouge ainsi que de cartes géographiques enroulées et de liasses de papier. Il eut un soupir à l’entrée de sa visiteuse, jeta sa plume et vint à elle les mains tendues :

— Quelle délicieuse idée de venir me surprendre, Madame la Duchesse !

Du fond de sa révérence, Marie prit l’une des mains dont elle baisa l’anneau avant de se relever et de se laisser guider vers le siège placé de l’autre côté du bureau.

— Je demande excuses pour l’heure tardive. Monseigneur, mais il fallait que je vinsse. D’abord afin de vous offrir tous mes compliments pour votre victoire…

— Venant de vous – et il insista sur le « vous » – ils me sont doublement précieux. Avez-vous vu la Reine ?

— Pas encore. Je viens d’être assez souffrante…

— … mais rapidement guérie si j’en crois l’éclat de votre teint, de vos yeux ?

« Seigneur ! pensa Marie, s’il se met à me faire la cour, cela ne va pas me faciliter les choses… »

— Je suis encore bien lasse, Monsieur le Cardinal, mais lorsqu’il s’agit de secourir la détresse d’un être cher, il n’est d’effort dont je ne me sente capable.

— C’est d’une bonne chrétienne… et d’une femme courageuse. Pour ne pas vous fatiguer plus que de raison, dites-moi de qui vous voulez me parler ?

— De la princesse de Conti, ma belle-sœur… et mon amie !

— Qui devrait s’appeler Madame de Bassompierre…

— Ah ! vous le savez ? Le mariage fut cependant secret ?

— C’est mon intérêt et surtout celui de la France d’être renseigné sur ce que l’on s’efforce de me cacher. Eh bien, Madame de Conti, puisqu’il faut respecter le protocole ?

— Vient d’être exilée au château d’Eu, chez sa mère…

— Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? nasilla le Cardinal.

— À condition que la famille ne soit pas pire qu’un couvent. Voici plus de quarante ans que ma belle-mère, Catherine de Clèves, y pleure la mort de son époux, le Balafré. En outre, mère et fille ne se sont jamais vraiment accordées… ce que je peux comprendre. Je vous en supplie, faites révoquer cet exil qui la tuera !

— Voyons, Madame la Duchesse, vous-même avez subi plusieurs éloignements… et votre beauté ne semble pas en avoir souffert !

— J’ai trente ans et elle est au seuil de la vieillesse. En outre elle va souffrir le martyre d’être séparée d’un époux qu’elle adore. Elle préférerait de beaucoup le rejoindre à la Bastille !