Le lendemain aux petites heures, elle était chez la Reine afin d’assister à son lever. Ainsi qu’elle s’y attendait, Anne d’Autriche n’avait guère bonne mine et elle avait dû pleurer abondamment : son teint toujours si clair se marbrait de rouge cependant que la belle couleur verte semblait avoir déserté ses yeux. En sortant du lit elle tomba pratiquement dans les bras de Marie, le corps secoué de sanglots qui amenèrent de nouvelles larmes :
— Au moins je vous retrouve, balbutia-t-elle quand elle fut un peu calmée. Mais êtes-vous toujours mon amie ?
— Vous en doutez, Madame ? Je ne crois pas avoir fait quoi que ce soit vous laissant supposer que je ne vous aimais plus…
— Vous étiez malade, c’est vrai… pourtant ma belle-mère jurait que cette maladie était faux-semblant, vous permettant de vous accorder mieux avec ce maudit Richelieu qui est la source du mal que nous subissons en cette Cour…
— Faux-semblant, moi ? Que non pas ! Je souffrais vraiment, ma reine, mais c’était… de jalousie…
— Jalouse, vous ? Et de qui ?
— Justement de la Reine Mère ! Elle vous a toujours détestée et vous le lui rendiez avec usure ! Or, parce que vous lui étiez nécessaire, elle vous jouait la comédie d’une affection trop soudaine pour être crédible. Il y avait aussi la du Fargis qui me laissait à peine parler lorsque nous étions ensemble et que vous écoutiez plus volontiers que moi.
— On vous disait du dernier bien avec Richelieu ! On vous a vue lui causer dans le jardin de l’Archevêché, lui sourire…
— On m’a vue… une seule fois que je ne renie point. Votre Majesté a-t-elle oublié que je lui devais mon retour auprès d’elle ? Il m’a pour ainsi dire imposée au Roi. Cela méritait un merci il me semble et ensuite, pensant que je ne vous étais plus agréable, je me suis retirée mais à présent me revoilà, toute à vous, aussi dévouée que par le passé. Et d’abord, je veux vous rendre le sourire.
— Le sourire, quand on m’a ôté celles de mes femmes qui pouvaient me rappeler mon pays, jusqu’à cette petite enfant, Françoise Bertaut, avec qui j’avais plaisir à converser en castillan…
Elle se remettait à pleurer. Marie la serra contre elle :
— Il vous reste doña Estefania… et moi si vous acceptez de montrer quelque indulgence à un espagnol imparfait mais que je vais continuer d’apprendre.
— Vous ?
— En Lorraine, il me fallait occuper mes heures. J’ai appris ! À présent, il faut. Madame, quitter cet attirail de douleur et songer à votre beauté. Une femme ne gagne pas à se laisser aller. Que comptiez-vous faire aujourd’hui ?
Anne d’Autriche hésita mais finalement déclara :
— N’en soyez pas contrariée, Marie, mais je veux me rendre au palais du Luxembourg. Vous savez ce que sont les cours et après avoir été tellement entourée la Reine Mère doit se trouver infiniment seule. Nous partageons la même cause et je lui dois ce réconfort.
Il fallut en passer par là. Stoïque, Marie se laissa emmener et subit sans broncher l’algarade que lui délivra la vieille reine que son échec rendait enragée. On lui avait enlevé ses amies les plus chères et même son confesseur, le Père Chanteloube, relégué dans un couvent de Nantes. Jusqu’à son médecin, Vautier, expédié à la Bastille !
— On veut me priver de soins ! On veut que je meure et le plus tôt sera le mieux ! hurlait-elle. Mon fils a perdu le sens commun sous la férule de ce démon en robe rouge. Il prépare ma mort… Mais je ne lui laisserai pas ce plaisir ! On se prépare à m’écarter mais je n’ai pas cessé d’être la Reine Mère et j’entends me dresser, vengeresse, en leurs Conseils afin de leur rappeler qui je suis et ce que l’on me doit…
— Et je vous soutiendrai, ma mère, bêla Anne d’Autriche sur un ton pleurard qui donna soudain à Marie l’envie de la gifler !
Pouvait-on à ce point manquer de mémoire et vouloir encore embrasser la cause de ce vieux vaisseau en train de sombrer ? Quelque chose disait à la jeune femme que le rapport des forces avait réellement changé et qu’une telle attitude chez la Reine ne contribuerait guère à la rapprocher de son époux…
Elle se garda cependant de donner son sentiment en vertu de cette sagesse qui l’avait conduite à rester au lit pendant la période difficile. En se rendant ce jour-là au Luxembourg, elle put constater que celle-ci n’était pas terminée. La vieille était coriace, Richelieu tout autant. Entre eux l’entente était bien morte et la situation ne pouvait se dénouer que par l’élimination de l’un des deux. Aussi Marie choisit-elle de rester muette, de laisser ces gens s’entretuer à leur aise en comptant les coups mais en s’efforçant tout de même de tirer la Reine en arrière du champ clos. Ce n’était pas facile : Anne d’Autriche voyait à présent dans sa redoutable belle-mère une sorte de porte-drapeau de la Chrétienté et de la cause espagnole !
La fin de l’année fut houleuse en dépit des efforts du Nonce apostolique, le cardinal Bagni, qui provoqua plusieurs entrevues entre Marie de Médicis et le Cardinal sans faire avancer les choses en quoi que ce soit.
Au Conseil, cela n’allait pas mieux : la Reine Mère se conduisait comme si son adversaire était devenu transparent, ne lui adressant jamais la parole, attitude qui commençait à lasser la patience du Roi et cela d’autant plus qu’Anne d’Autriche, drapée dans sa fierté castillane en dépit des conseils de Marie, se rangeait ouvertement dans le camp de sa belle-mère et boudait un mari qui avait eu le mauvais goût de lui rappeler vertement que durant sa maladie de Lyon, elle avait renoué avec Monsieur le vieux projet de mariage.
Ce fut ce dernier qui mit le feu aux poudres avec sa maladresse habituelle. Un beau matin, escorté de son indispensable Puylaurens et d’une suite nombreuse, il envahit littéralement le Palais-Cardinal et, le chapeau enfoncé sur la tête, délivra au Ministre une philippique un peu longuette au cours de laquelle il lui déclara que seule sa qualité de prêtre le mettait à l’abri de la correction qu’il mourait d’envie de lui administrer pour avoir osé se montrer ingrat envers une femme à laquelle il devait tout, lui homme de peu, et qu’il remerciait en jetant la zizanie au sein d’une famille qu’il ne cessait de trahir. C’était grosso modo le sens général. Après quoi, le héros de ce beau discours quitta les lieux… et prit à fond de train le chemin d’Orléans afin de mettre le plus de lieues possible entre sa personne et les imprévisibles réactions fraternelles.
Qui furent ce que l’on en pouvait attendre. Revenu à bride abattue de Versailles où il chassait, Louis XIII commença par assurer son Ministre de son soutien sans condition, fût-ce contre tous les siens, puis, sachant pertinemment d’où venait le coup, réunit une assemblée de théologiens en vue de définir avec eux la frontière entre les devoirs d’un fils et ceux d’un roi. Le verdict fut unanime : dans tous les cas le Roi devait l’emporter. Dès lors, la cause était entendue : on n’aurait pas la paix tant que la mégère ne serait pas écartée du pouvoir… À la mi-février, le couple royal partait pour Compiègne où le Roi priait sa mère de le rejoindre. Marie fut du voyage : il était désormais admis qu’elle ne quittait plus la Reine en dépit du fait qu’elle n’avait aucun titre et que Louis usait envers elle d’une politesse quasiment impersonnelle.
Fidèle à elle-même, Marie de Médicis dès qu’elle fut en présence de son fils éclata en imprécations, récriminations et prédictions apocalyptiques s’il ne se décidait pas à renvoyer Richelieu dans son évêché crotté, encore que la Bastille lui parût un séjour plus adéquat… En fait, c’était un ultimatum qu’elle posait : lui ou moi !