Elle-même craignait que l’on en vînt là et dans l’état actuel des choses mieux valait s’accommoder de ce que l’on avait :
— Madame, pria-t-elle, il faut laisser ce tumulte s’apaiser du moins de ce côté-ci de la frontière. Le Roi règne avec le Cardinal et il a l’air d’y tenir ; ils sont les plus forts tandis que nous avons besoin de souffler. Alors, rangeons pour un temps les armes de guerre… ou faisons semblant !
— Si vous me demandez d’être aimable et de faire comme si de rien n’était, c’est trop ! Je ne pourrai jamais ! Une infante ne saurait…
— Il serait opportun de vous souvenir que vous êtes d’abord reine de France ! Mille tonnerres, Madame ! Ce n’est pas rien et cela demande des concessions… en dehors du fait que le mariage vous fait obligation d’obéir à votre époux…
— Vous en êtes un admirable exemple ! fit la Reine dont le visage se décrispait petit à petit.
— Et pourquoi pas ? s’écria Marie en riant. Tout l’art de la femme consiste à n’en faire qu’à sa tête tout en feignant d’obéir ! Tenez, laissez-moi mener le jeu et songez seulement à vous parer, à être belle ! Au lieu d’une mère acariâtre, notre Sire aura plaisir d’avoir une épouse aimable.. Il faut qu’il reprenne du goût pour vous…
— Cessez de me rebattre les oreilles avec cela, Marie ! Je ne suis que trop consciente qu’il faudrait un enfant ! Malheureusement je ne puis le faire seule !
— On peut y aider ! osa Marie. L’important est que le Roi ait au moins une raison de se croire père. Quant au Cardinal, je vais m’en charger. Il me veut du bien depuis ces temps derniers…
— Et vous vous en vantez ? Oh ! Marie ! reprocha Arme.
— Mais certainement ! Je ne serais même pas fâchée qu’il soit quelque peu amoureux de moi. C’est d’autant plus intéressant que le marquis de Châteauneuf, le nouveau Garde des Sceaux et son ami, l’est déjà plus qu’un peu. En manœuvrant habilement ces deux-là, nous pourrions faire de grandes choses…
— Ce Châteauneuf n’est pas un blanc-bec comme le pauvre Chalais ! Prenez garde !
— À quoi ? Il suffira de le rendre fou. Et d’ailleurs j’ai un compte à régler avec lui. Ayez confiance, ma Reine ! Nous allons follement nous amuser !
— Croyez-vous vraiment qu’il soit possible de trouver le moindre sujet d’amusement avec un personnage tel que le Cardinal ?
— Mais j’en suis persuadée ! Le principal est de savoir s’y prendre… et de faire preuve d’un brin de patience…
Dans les jours qui suivirent, Marie évita Châteauneuf systématiquement. Le Conseil se tenant quotidiennement, le Garde des Sceaux venait régulièrement au Louvre. La jeune femme faisait en sorte de se trouver sur son chemin mais s’arrangeait pour l’éviter ostensiblement, tournant la tête quand il regardait dans sa direction, prenant la fuite lorsqu’il cherchait à s’approcher d’elle et se réfugiant chez la Reine. Deux ou trois fois elle refusa de lui parler, se contentant de le toiser d’un air de profond mépris. Le résultat ne se fit pas attendre : un matin, alors qu’elle se disposait à se rendre au Louvre et que Claude venait de partir pour le Manège royal comme à peu près chaque jour, on vint lui annoncer que le Garde des Sceaux sollicitait la faveur d’un entretien d’une extrême importance. Il lui faisait savoir du reste qu’il ne quitterait pas les lieux sans l’avoir vue… Jugeant qu’il devait être « à point », elle ordonna qu’on l’introduise dans le salon de musique… et l’y fit attendre un bon quart d’heure !
Quand elle parut, jolie à croquer dans une robe de satin, du même bleu que ses yeux, garnie de dentelles blanches, un éventail au bout des doigts, il interrompit la promenade agitée qu’il menait au milieu du mobilier et se jeta au-devant d’elle :
— Enfin Madame la Duchesse, je vous vois ! Mais que…
— Tout beau, Monsieur ! Voilà bien la hâte la plus inconvenante qui soit ! Ne devriez-vous pas commencer par me saluer ?
De rouge qu’il était déjà le marquis devint écarlate, mais recula de trois pas pour s’incliner en balayant le tapis des plumes de son chapeau :
— Veuillez me pardonner au nom du martyre que vous me faites endurer depuis que nous fûmes à Compiègne !
— Moi ? Le martyre ? émit Marie après un semblant de révérence. Mais, Monsieur le Garde, pour me donner la peine de vous faire souffrir il faudrait d’abord que je m’intéresse à vous ? Je ne me souviens pas de vous avoir remarqué depuis ces jours-là !
Elle alla se poser gracieusement dans un fauteuil mais sans lui offrir de s’asseoir et comme, rendu muet par la froide indifférence de sa voix, il la regardait avec désespoir, elle poursuivit :
— Vous désirez me parler d’une affaire importante, me dit-on ? Je vous demanderai de vous hâter car je n’ai guère de temps : la Reine m’attend !
Un éclair de colère passa dans les yeux du gentilhomme :
— Comme tous les matins ! Elle souffrira bien de vous attendre quelques minutes de plus. Moi, Madame, je n’en peux plus et je suis venu vous demander la raison de l’aversion que vous me faites l’honneur de me porter ?
— L’aversion ? Mais, Monsieur, je viens de vous dire…
— Non ! Par pitié cessez ce jeu et apprenez-moi, une bonne fois, ce que je vous ai fait pour que vous me traitiez si mal !
Elle se dressa soudain devant lui comme un petit coq sur ses ergots :
— Vous devriez être le dernier à oser me le demander ! Quand un homme s’introduit la nuit chez une dame et, la mauvaise étoile de celle-ci l’ayant amenée dans sa cachette, la soumet à ses instincts bestiaux, cela porte un nom : cela s’appelle un viol !
— Un viol ? Mais…
— Mais quoi ? N’essayez pas de vous trouver une excuse, vous n’en avez aucune. Contentez-vous de me dire le nom de celui, ou de celle, que vous avez acheté afin de perpétrer votre forfait !
— Et moi qui avais cru, un moment, que j’avais réussi à vous rendre heureuse ? Comment pouvez-vous savoir que c’était moi ? Il faisait si sombre !
Comme au Palais-Cardinal il ne songeait pas à nier, se contentant d’émettre une plainte douloureuse.
— Vous devriez changer de parfum ! fit-elle sèchement. À présent, allez-vous-en !… En vous estimant heureux que la honte m’empêche d’envoyer mon seigneur époux vous demander raison !
Un élan le jeta à genoux devant elle :
— Par pitié ! Ne me condamnez pas ! Il y a si longtemps que je rêve de vous…
— Des rêves en forme de cauchemar si je me souviens du jugement que vous portiez sur moi il y a peu !
— Cela aussi, je vous supplie de me le pardonner ! J’étais ivre de jalousie parce que jamais vous ne m’avez seulement offert l’un de vos sourires dont vous étiez tellement généreuse pour d’autres ! Si j’ai mal parlé de vous, c’était par dépit !
Elle ne répondit pas tout de suite, goûtant un plaisir pervers à le voir à ses pieds. Elle ne put s’empêcher de remarquer cependant les larmes qu’il avait dans les yeux et pensa que c’était assez le malmener pour ce jour-là. Sa voix se radoucit :
— Relevez-vous… et posez-vous ! ajouta-t-elle en lui désignant un siège : nous avons à parler !
— Ce qui veut dire que vous me pardonnez ?
— Nous verrons plus tard ! Je désire d’abord vous poser quelques questions. Comment se fait-il que je vous aie trouvé l’autre nuit dans le pavillon de mon jardin ? Jamais auparavant vous n’étiez venu chez moi. Donc vous ignoriez son existence.
— C’est… c’est une histoire ancienne qui remonte à l’époque où j’étais ambassadeur à Londres. Je m’y suis lié avec divers personnages de l’entourage royal, en particulier ceux que la reine Henriette-Marie appréciait. L’un d’eux – et il est devenu mon ami – est Lord Holland !