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— Holland ? répéta machinalement Marie dont l’ombre de sourire s’effaçait, mais Châteauneuf était lancé.

Attentif à son récit, il ne vit rien, ne remarqua rien :

— Comme tout un chacun, je savais les bontés que vous aviez pour lui…

— Seigneur ! coupa la Duchesse agacée par la tournure de phrase, oubliez le langage diplomatique et dites les choses comme elles sont : vous saviez qu’il était mon amant !

— Oui ! Je l’en admirais en l’enviant mais, chose étrange, c’était sans amertume pour la raison que c’est un homme extraordinairement séduisant et qu’il était normal que vous l’aimiez. Nous sommes devenus très proches. C’est ainsi que j’ai reçu de lui des confidences. Je faisais en sorte de les provoquer même si elles me faisaient souffrir et un soir il m’a raconté votre première nuit dans le pavillon de votre hôtel…

— Il a osé ?… murmura Marie choquée.

— Oui… parce que c’était son plus beau souvenir d’amour. Peut-être aussi parce que nous avions un peu bu : la nostalgie lui remontait aux lèvres…

— D’autres ont-ils profité de ces confidences ?

— Non. Nous étions seuls dans les jardins de Chadwick. Depuis, je suis hanté par ce souvenir et à vous dire le vrai, l’autre nuit ce n’était pas la première fois que je venais rêver de vous dans votre pavillon. Personne ne risquait de me déranger.

— Comment vous êtes-vous procuré la clé ? Je croyais l’avoir jetée. Qui vous l’a vendue ?

— Personne ! J’avais trouvé le moyen de m’introduire par les jardins et j’ai pris, alors, une empreinte à la cire. C’était tellement merveilleux de pouvoir vous imaginer dans le lieu de vos amours… Quand vous êtes entrée, c’était encore plus grisant. J’ai osé, une fois de plus, pensant que ce serait sans doute la dernière… et puis le miracle ! Vous m’êtes apparue à peine couverte d’un linge parfumé… Il aurait fallu être un saint pour résister à la tentation… Je ne suis pas un saint, Madame, et vous êtes l’amour incarné. Jusqu’à ma mort…

Jaugeant la silhouette virile qui lui faisait face et le beau visage dont les rides accusaient l’énergie, la jeune femme ironisa :

— Je ne pense pas que ce soit pour demain… En attendant, rendez-moi donc votre clé !

— Vous voulez ?

— C’est naturel, il me semble !… et c’est aussi la condition de votre pardon… éventuel ! Sinon, je ne vous revois de ma vie !

Il ne résista pas, ouvrit son pourpoint, sa chemise, pour détacher l’objet qu’une chaîne d’or attachait à son cou et le porta à ses lèvres avant de le remettre à Mairie.

— Me la rendrez-vous un jour ?

La clé gardait la chaleur de la peau qui l’avait supportée. Le parfum d’ambre s’y attardait, rappelant à Marie le plaisir aigu que ce corps lui avait procuré. C’était tentant d’y goûter de nouveau, mais c’eût été sans doute la plus grosse bêtise de sa vie dans la perspective de ce qu’elle espérait tirer de Richelieu :

— Dans l’état actuel des choses, il n’en est pas question !

— De grâce, laissez-moi un peu, tout petit peu d’espérance !… Si vous saviez combien je vous aime… avec quelle ardeur je vous désire ! Ne me fermez pas à tout jamais la porte du Paradis !

— J’en serais tentée pourtant…

— Vous me tueriez !

— Allons ! Allons ! on ne meurt pas pour si peu… et vous oubliez un peu vite que vous m’avez gravement offensée !

— Je… je n’en avais pas tellement l’impression murmura le coupable qui avait tout de même des souvenirs. Certainement j’aurais dû vous détromper, vous dire que je n’étais pas celui auquel vous étiez en train de rêver, mais songez à ma joie en m’apercevant de ce que je pouvais vous en donner l’illusion. Je n’ai pas eu le courage de me découvrir et je me suis enfui comme le voleur que j’étais, emportant avec moi l’enivrement de mes sens. À présent me voici à vos genoux, prêt à tout pour savourer de nouveau un instant d’éternité.

Il se prosternait pour baiser le bas de sa robe et Marie se délecta de voir dans cette position d’esclave celui qui, après le Roi et le Cardinal, devenait l’homme le plus puissant du royaume. Elle l’y laissa un moment respirer le parfum de ses jupes :

— À tout ? Vraiment ?

— Mettez-moi à l’épreuve ! Commandez ! Exigez ! Me voilà corps et âme à vous !

Elle fit mine de réfléchir un instant avant de lui tendre – peut-être pour l’aider à se relever car il n’avait plus vingt ans ! – une main dont il s’empara avec avidité.

— Soit ! Je consens à vous donner une chance… Oh, une minuscule et qui pourrait aller dans le sens de vos intérêts ! Pour commencer, vous allez… – elle hésita comme si une idée était en train de prendre forme dans sa tête –… m’accompagner chez la Reine !

Il sursauta :

— Vous n’y pensez pas, Duchesse ! Vous oubliez qu’aucun homme ne peut entrer chez elle hors la présence du Roi !

Elle faillit lui rappeler que l’interdiction concernait surtout les jeunes hommes et que les barbons – qu’il le voulût ou non l’âge en faisait un même s’il n’en avait pas vraiment l’air – pouvaient être admis.

— Vous êtes un proche du Cardinal, je n’aurai guère de difficultés à vous introduire !

— Oh ! que si ! Justement parce que je suis un proche de Son Eminence. Quand je suis en présence de Sa Majesté, j’ai l’impression de devenir transparent : elle ne me voit pas !

— Ce en quoi elle a grand tort mais, croyez-moi, si je me charge de vous, vous serez reçu ! Réfléchissez ! Marie de Médicis vient de disparaître de la scène politique. L’astre qui va monter c’est celui de la Reine. Il est temps que vous le reconnaissiez hautement. D’ailleurs cela servira la cause du Cardinal qui souhaite un rapprochement afin de ramener doucement notre souveraine à partager ses vues : elle ne l’acceptera qu’à la condition d’être tenue – si peu que ce soit – au courant des affaires. Songez qu’elle n’a jamais assisté aux Conseils dont les échos ne cessaient de retentir des imprécations de sa belle-mère ! Je vous verrais volontiers un rôle d’initiateur ?

Au sourire qui épanouit soudain le visage de Châteauneuf, elle comprit qu’elle avait touché juste… et que ce benêt était prêt à se laisser mener par le bout du nez à condition d’y mettre du doigté…

Si Anne d’Autriche fut surprise en la voyant arriver avec le Garde des Sceaux à sa remorque, elle eut le tact de n’en rien montrer, devinant que son amie devait avoir une idée derrière la tête : elle se montra sinon aimable, du moins courtoise, accueillant gracieusement les compliments discrets assortis d’une encore plus discrète offre de service et d’une sorte d’amende honorable. Elle finit par remercier Madame de Chevreuse de lui avoir amené ce nouvel ami. Celle-ci cependant les avait laissés converser pour s’intéresser aux changements advenus dans la Maison d’Anne d’Autriche.

Madeleine du Fargis exilée – on l’avait même condamnée et brûlée en effigie pour avoir mené contre le Roi des projets d’attentat dont Marie n’avait d’ailleurs jamais eu connaissance ! –, sa place de dame d’atour venait d’être donnée à une aimable personne déjà âgée, Catherine Le Vayer, dame de La Flotte, qui avait fait partie de l’entourage de Marie de Médicis mais sans rien savoir de ses projets politiques. En fait, elle était assez incolore mais il n’en allait pas de même pour sa petite-fille : l’éblouissante Marie de Hautefort venait de prendre rang, sur ordre du Roi, dans le bataillon des filles d’honneur où sa beauté et son assurance lui avaient attribué d’emblée une sorte de prééminence. Que semblait cependant lui contester une autre nouvelle venue, très jolie elle aussi mais moins éclatante : Françoise de Chémerault qui déplut d’emblée à la Duchesse et ne semblait pas agréer davantage à la Reine.