Marie comprit que sa dernière heure était arrivée et fit un violent effort pour dompter sa peur. À ce moment elle se rappela la route du Verger et avec quelle crânerie elle avait alors attendu le coup fatal. Il est vrai que celui-là aurait dû lui être appliqué avec une épée… et non par cette abomination qui allait la déchiqueter, ce qui changeait les choses, mais c’était l’heure ou jamais de montrer sa vaillance ! Cette misérable femme ne la verrait ni pleurer ni trembler. Elle redressa la tête aussi haut qu’il lui était possible. Madame de Mareuil, debout devant elle, la contemplait avec une joie mauvaise. Elle lui arracha son bâillon :
— Enfin ! gronda-t-elle. Enfin je t’ai amenée à cette extrémité dont je rêvais ! Tu vas mourir comme lui, de cette mort innommable qu’il te devait…
— Je n’y suis pour rien ! Ce n’est pas moi qui ai fait enlever le bourreau de Nantes. C’est Monsieur et il a cru agir au mieux. Nous espérions que cela nous donnerait le temps de le faire évader !
— Nous ? Pas toi ! Tu vivais dans les jupes de la Reine à l’abri des mauvais coups…
— Oh ! je ne vais pas en discuter avec vous, s’insurgea Marie. Et je vous prierai de ne pas me tutoyer : je suis duchesse de Chevreuse, princesse en Lorraine, et vous n’êtes à tout prendre que l’épouse d’un robin ! Et d’abord, en quoi la mort de Chalais vous touche-t-elle ? Vous n’êtes pas, que je sache, de sa famille ?
— Il était mon amant avant que « tu » ne l’englues dans tes pièges, et nous étions heureux ensemble. Tu me l’as pris, maudite Duchesse, et pour en faire un cadavre misérable… Sa belle tête…
— En voilà assez ! trancha Marie qui en face de la mort, si affreuse soit-elle, retrouvait son courage. Je sais mieux que vous à quoi elle ressemblait, sa tête ! Celle d’un écervelé qui voulait jouer sur tous les tableaux et il s’est perdu lui-même !
— C’est trop facile en vérité d’accuser un mort !
— Je ne dis que le vrai ! Au fait, puisque vous l’aimiez à ce point, comment se fait-il que vous ayez attendu si longtemps pour perpétrer votre vengeance ?
— Il a fallu que je sois certaine de l’incapacité des hommes de la famille à l’accomplir. Chaque fois qu’ils ont voulu s’en prendre à toi, ils ont dû renoncer parce que tu étais trop bien protégée.
— Chaque fois ? Je n’en ai connu qu’une, sur la route du château du Verger. Il y en aurait eu d’autres ?
— Trois ! L’une près de Saint-Dizier quand tu es revenue de Lorraine, la deuxième sur la route de Saint-Germain quand tu allais rejoindre la Reine, la troisième dans Paris même. Toutes ont échoué.
C’est à croire, ajouta Madame de Mareuil, que tu es protégée par le Diable !
— Rien que cela ! Et pourquoi pas par la maladresse de ces gens ? N’ayant aucun rapport avec messire Satan, je ne vois pas qui pourrait veiller aussi attentivement sur moi !
— Mais ton ami le Cardinal ? Il a le bras tellement long !
— Ce n’est pas mon ami et je le hais ! Et vous oubliez un peu vite qu’il m’a exilée.
— C’est le fait du Roi et non le sien !
— Comme si le Roi ne suivait pas en aveugle les directives de son Ministre ? La meilleure preuve en est que vous avez pu m’enlever sans que nul s’y oppose, soupira Marie.
— Parce qu’il ne viendrait à l’idée de personne de me soupçonner, moi, une veuve inattaquable…
— Ah ? Et ce cher Aramitz ? Ne serait-il qu’une vue de l’esprit ? Sans compter ce pauvre Chalais…
— L’important est qu’on le croie et c’est la raison pour laquelle, lasse d’attendre ta fin, j’ai décidé de m’en charger. Allez, vous autres ! Préparez-la pour l’exécution !
Les deux gardiens de Marie la relevèrent et celui qui l’avait défendue des entreprises de son confrère ouvrit le haut de sa robe pour la rabattre sous ses épaules. À ce spectacle, son compagnon n’y tint plus :
— Madame, avant de la tuer laissez-la-nous un moment ! C’est pas souvent qu’on a une occasion pareille ! Elle est bougrement gironde ! Un vrai morceau de Roi !
— Pourtant il n’en a pas voulu, reprit la Présidente qui poursuivit avec un haussement d’épaules dédaigneux et son méchant sourire : Après tout je n’y vois pas d’inconvénient. Elle n’a pas d’amant actuellement : au moins aura-t-elle encore un peu de plaisir avant de mourir ! Prends-la, mon garçon, j’y consens et ton camarade aura sa part ensuite. Toi aussi, bourreau, si elle te tente ?
L’homme à la cagoule refusa d’un geste. Cependant, le bandit n’avait pas perdu une seconde : délier les jambes de Marie, retrousser ses jupes et la soumettre s’était fait en un éclair. Il puait la crasse, la sueur et le mauvais vin, et Marie sentit son cœur se soulever. Quand il s’arracha de son corps, elle se tourna de côté et vomit…
— Allons bon ! ricana Françoise. Cela ne t’a pas plu ? Moi qui pensais t’offrir la dernière de tes joies préférées ? Voyons si le second aura plus de succès…
Un cri étouffé au-dehors lui coupa la parole. Retenant celui qu’elle venait d’autoriser, la Présidente alla rapidement vers la porte… et la reçut en pleine figure tandis que Peran, l’enfonçant d’un maître coup de pied, surgissait, un couteau sanglant à la main : celui avec lequel il avait égorgé l’un des gardiens. Sans désemparer et presque sans viser, il le lança d’une main si sûre qu’il alla se ficher dans la gorge du violeur. Derrière lui arrivait Herminie, un pistolet à chaque poing. L’un d’eux aboya et le deuxième gardien s’écroula. Du gauche elle voulut atteindre le bourreau, mais Marie l’arrêta.
— Non ! Celui-là je veux lui parler !
— À un tourmenteur ? s’indigna la jeune fille. Vous n’y pensez pas !
— Je ne pense même qu’à cela et il y a mieux à faire : donne-moi ton arme !
Tout en parlant elle se relevait, aidée par Peran qui, son coutelas récupéré, s’en servait pour la libérer de ses liens. Elle s’approcha de son ennemie. Etourdie par le choc de la porte tombée sur elle et la douleur qui en résultait, celle-ci était restée étendue à terre sous le panneau de bois que la Duchesse repoussa du pied. Un instant, elle considéra la Présidente du haut de sa taille et jeta, méprisante :
— Il me semble que nous n’avons plus rien à nous dire !
Puis elle tira, visant la tête. La femme eut un dernier sursaut et ne bougea plus…
Marie alors se tourna vers l’homme masqué :
— Otez cette cagoule et dites-moi qui vous êtes.
Il obéit, découvrant un visage déjà âgé que la barbe grise annonçait :
— Le bourreau de Nantes, celui qui avait été enlevé et dont l’absence a valu une mort horrible à Monsieur de Chalais. Je possède non loin d’ici un petit bien et c’est là que je me suis retiré, là aussi que cette dame est venue me chercher pour vous exécuter…
— Pour de l’argent, n’est-ce pas ? jeta la Duchesse avec dédain. Car en vérité je ne vois pas quel grief vous pouviez avoir contre moi.
— On m’a dit que vous étiez la cause de cette exécution abominable qui a pris place dans mes cauchemars…
— C’est pourquoi vous alliez la rééditer sur moi avec ça ? fit-elle en désignant la doloire.
— Non. J’avais fait semblant pour qu’un autre ne s’en charge pas mais j’avais emporté ceci.
Et il tira de son manteau la large épée qui était son instrument habituel.
— Personne n’aurait pu m’obliger à user d’une arme différente. À présent, faites de moi ce que vous voulez ! Ce pistolet me conviendrait parfaitement…
— Je n’en ai pas fini avec vous ! Savez-vous ce que cette femme comptait faire de mon cadavre ? J’ai toujours été assez encombrante !