— N’importe quel mort est encombrant et c’est ce que je lui ai fait remarquer, mais elle avait la réponse : on devait vous enfouir dans la meule de charbonnier qui est ici près…
— Eh bien, voilà une sépulture toute trouvée. Vous et mon fidèle Peran, ajouta-t-elle en désignant son cocher, allez vous en charger. Ensuite vous pourrez rentrer chez vous… après avoir juré sur la croix de votre glaive de tout oublier de ce qui vient de se passer !
— Dès à présent je le jure ! Merci à vous !
— Vous lui accordez votre confiance ? s’insurgea Herminie qui, depuis son exploit, n’avait pas sonné mot, se contentant de regarder sans la moindre émotion apparente.
Marie se tourna vers elle et l’embrassa :
— Oui, ma petite héroïne ! Un bourreau fait son métier sans avoir à en rendre compte à quiconque, sinon Dieu ! Celui-là voulait m’éviter un univers de souffrance. Maintenant, apprends-moi par quel miracle vous êtes arrivés si opportunément.
Pendant que Peran et le bourreau emportaient le corps de la défunte « Présidente de Mareuil », Herminie raconta. Elle n’avait jamais aimé la belle Françoise – et ne l’avait pas caché à sa cousine ! – qu’elle trouvait trop polie pour être honnête. Cela lui avait valu quelques rebuffades bien senties de la part de Marie, ce qui n’avait rien changé à sa façon de penser. Elle n’avait pas aimé davantage la voiture trop bien fermée de la Présidente alors que le temps était idéal pour une promenade à cheval. Aussi, dès qu’elle eut vu la Duchesse y monter, elle s’était ruée à l’écurie… où elle avait eu la surprise de trouver Peran en train de seller un cheval. Lui non plus n’aimait ni la belle dame ni son véhicule. Il s’apprêtait à les suivre.
— Je l’ai convaincu de me laisser y aller, continua Herminie. Chez nous je n’avais pas ma pareille pour relever la piste de n’importe quel animal et je sais tirer au pistolet aussi bien qu’un homme. À l’épée aussi d’ailleurs ! Enfin… presque pareil ! J’ai eu tôt fait de repérer le « carrosse » et ne l’ai jamais perdu de vue. Un seul cocher, pas de laquais et une très petite ouverture à l’arrière, c’était facile. Quand on a atteint les bois, j’ai mis pied à terre et je me suis cachée quand j’ai vu qu’on s’arrêtait, qu’on vous transportait dans un chariot, j’ai entendu la dame dire qu’elle reviendrait à la nuit, alors je suis rentrée à Tours à bride abattue et j’ai prévenu Peran. J’allais le rejoindre pour partir quand Monseigneur l’Archevêque est arrivé. Evidemment, je lui ai dit que vous étiez sortie sans rien préciser et je pensais qu’il allait se retirer, mais vous le connaissez : c’est un vieux prélat tout à fait charmant mais…
— … mais bavard. Et comme il te sait ma cousine, il n’a vu aucun inconvénient à tailler une bavette avec une gentille fille aussi intelligente que cultivée ? fit Marie en riant.
— J’aurais donné n’importe quoi pour être débarrassée de lui et je sentais qu’à l’écurie, Peran devait bouillir mais j’étais seule à connaître le chemin et il ne pouvait se passer de moi… Enfin Monseigneur a consenti à regagner son logis après m’avoir donné une bénédiction dont j’avais le plus grand besoin, mais la nuit commençait à tomber. Tout est bien qui finit bien et nous sommes arrivés à temps… pour éviter le pire ! Notre chance a voulu que les gardiens, très occupés à regarder par la petite fenêtre, étaient trop absorbés pour nous voir, ou seulement nous entendre approcher. Vous savez la suite…
— Oui et je ne te remercierai jamais assez, cousine ! À présent retournons chez nous… de façon aussi discrète que possible !
Quand Peran et son aide eurent achevé leur ouvrage, Marie renvoya l’ancien exécuteur de Nantes. Il avait refusé qu’elle vide sa bourse dans sa main en disant qu’il était déjà payé, se contentant de reprendre le gros cheval qui l’avait amené et qui lui servait en temps normal à labourer son lopin de terre.
Le cadavre de la défunte ayant disparu, on décida de laisser sur place ceux de ses acolytes. Qui les trouverait, si on les trouvait un jour, conclurait à un règlement de comptes entre truands : ils en avaient tellement l’air que cela ne surprendrait personne !
Restait à regagner Tours. On était en pleine nuit et les portes de la ville étaient closes, mais Marie ne doutait pas qu’elle se ferait ouvrir. On commença par rendre la liberté à la jument de la Présidente. Peran lui appliqua une claque sur les fesses et elle prit sa course dans la direction de son écurie. Ensuite, Marie enfourcha le cheval d’Herminie qu’elle prit en croupe, Peran le sien, et l’on quitta enfin le bois où Marie avait manqué de peu d’y laisser la vie. Une vie dont elle savourait à l’extrême la saveur retrouvée tandis qu’elle galopait à travers la campagne…
Quand on fut à Tours, en effet, elle n’eut guère de peine à se faire reconnaître. Au soldat effaré qui vint à la poterne, elle ordonna d’aller quérir son officier ou alors d’envoyer à l’Archevêché demander quelqu’un qui pût l’identifier. Mais l’officier suffît :
— Quand on a vu Madame la Duchesse une seule fois, on ne l’oublie plus, déclara-t-il galamment. J’espère seulement qu’il ne vous est rien arrivé de fâcheux ? Cet équipage ?
— Nous rentrions de chez des amis. Mon cheval a fait une méchante chute. Il a fallu l’abattre, ce qui explique l’heure tardive et l’état où vous me voyez. J’ai grande hâte d’aller prendre du repos !
Un beau sourire et la cause était gagnée. Un moment plus tard, Marie s’étendait avec un soupir bienheureux dans un lit qui lui parut merveilleusement moelleux. Herminie qui l’avait aidée à se déshabiller et à faire un brin de toilette ne semblait pas, elle, disposée à aller se coucher. Elle errait à travers la chambre, rangeant ceci, pliant cela…
Qu’attends-tu ? demanda Madame de Chevreuse. Va dormir !
— Je ne sais pas si je pourrai. Qu’allons-nous raconter pour expliquer la disparition de cette femme ? On va la chercher…
— Hé ! Qu’on la cherche ! On ne la trouvera pas, voilà tout ! Quant à moi, dès le matin, je ferai le nécessaire.
Le lendemain, alors que Monseigneur Bertrand d’Eschaux s’apprêtait à passer à table pour son dîner, on eut à peine le temps de lui annoncer Madame la duchesse de Chevreuse : elle était déjà là, un feutre empanaché de plumes bleues insolemment planté sur la tête et une cravache à la main dont elle frappait nerveusement ses bottes sous la jupe d’amazone retroussée d’un côté. L’Archevêque se leva avec empressement pour l’accueillir :
— Mais quelle bonne idée de venir me demander à dîner ! s’écria-t-il, les mains tendues vers elle.
— Pardonnez-moi, Monseigneur ! Je ne viens pas partager votre repas que je regrette infiniment d’interrompre, mais me plaindre.
— Mais de quoi, mon Dieu ?
— De cette Françoise de Mareuil que vous m’avez présentée ! Etes-vous certain, Monseigneur, de bien la connaître ?
— Mais… oui, je crois ! Il est sûr que je ne l’avais pas vue depuis des années… Pourquoi me le demandez-vous ? Vous-même n’êtes-vous pas liée d’amitié avec elle ?
— Ce en quoi j’ai eu grand tort, mais jugez plutôt ! Hier vers le milieu de l’après-midi elle m’est venue prendre pour m’emmener visiter les travaux qu’elle fait hâter en son château de La Roselière en vue d’une prochaine visite de Monsieur, frère du Roi !
— Il doit venir ? Comment se fait-il que je l’ignore ?
— Oh ! ne cherchez pas ! Ce n’était qu’un prétexte. Nous devions rentrer avant la nuit or, elle est venue me chercher avec son char de voyage et elle m’a emmenée ainsi à plus de trois lieues…