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Son juron favori prononcé par la « gamine » arracha enfin un sourire à Marie. Elle se redressa dans son lit, reprit le miroir qu’elle avait jeté au milieu des draps et s’observa d’un œil critique :

— Oui, tu as raison mais il faut d’abord que je dorme. Va me préparer une tisane de tilleul. Tu y ajouteras de l’eau d’oranger et un peu de valériane… et puis tu iras te coucher. Si tu n’étais si jeune tu aurais aussi mauvaise mine que moi… et je t’en demande pardon !

Restée seule, Marie commença par souffler presque toutes les bougies qui la rassuraient tellement, puis ouvrit largement sa fenêtre. La nuit était douce, bleue, semée d’étoiles qui se reflétaient dans l’Indre au bas des jardins. Une belle nuit pour l’amour… Herminie était dans le vrai quand elle l’invoquait comme remède à sa noire mélancolie. Elle se trompait cependant sur un point qu’il était difficile de lui expliquer : ce n’était pas d’un amoureux plus ou moins bêlant dont elle avait besoin, c’était d’un homme quel qu’il soit pourvu qu’il soit jeune et vigoureux. Le viol de l’affreuse nuit lui avait laissé un goût à la fois amer et répugnant, sans apaiser la faim qu’elle ressentait depuis des semaines…

Elle eut soudain envie de se baigner. L’eau à cette heure de la nuit devait être délicieusement fraîche : elle apaiserait sa fièvre… Sans plus attendre, elle enfila un peignoir léger sur sa chemise, des pantoufles, et, sans faire le moindre bruit, sortit du château par la porte des cuisines. Puis descendit jusqu’à la rivière en suivant la ligne d’arbres qui délimitaient les jardins de façon à être hors de vue, la lune éclairant à plein. À l’abri d’un bosquet, elle se déchaussa puis laissa tomber ses vêtements. À cet instant, le son d’une flûte lui parvint. C’était sur l’autre rive. Il y avait là un berger et son troupeau de chèvres. En s’écartant, un nuage qui avait un instant occulté les rayons argentés le lui montra, assis sur une pierre au bord de l’eau. Elle y entra doucement en frissonnant puis se mit à nager, ce qui la réchauffa vite.

Entendant clapoter l’eau, le garçon avait cessé de jouer et se leva pour scruter la rivière où il distingua une tête. Marie s’était souvent baignée à cet endroit et savait qu’il y avait là un étroit croissant de sable formant une petite plage. En l’approchant, elle se releva d’un coup de reins et se tint debout, à trois pas du berger. Elle avait vu que c’était un jeune paysan blond que la stupeur de cette femme nue surgissant de l’eau rendait muet :

— N’aie pas peur ! chuchota-t-elle.

— Oh… j’n’ai point peur ! Vous êtes belle comme une fée !

— Peut-être en suis-je une ! Je viens à toi parce que tu me plais… Aime-moi !

Il ne se le fît pas dire deux fois. Il la saisit dans ses bras et Marie anticipa le plaisir. Il était fort et elle gémit sous son étreinte tout en baisant ses lèvres imberbes puis ils se laissèrent tomber dans l’herbe et Marie se sentit revivre, d’autant que ce garçon, s’il était un peu brutal, n’était pas maladroit. Ils firent l’amour par trois fois avant que Marie ne se libère enfin. Il se plaignit :

— Déjà ! Vous… vous reviendrez ?

— Demain peut-être… à condition que tu ne parles de moi à personne !

— Sur ma croix de baptême je jure…

Elle repartit comme elle était venue, prenant soin d’utiliser les ombres afin qu’il ne pût voir où elle touchait terre. Il y avait longtemps qu’elle ne s’était sentie aussi délicieusement détendue et, rentrée dans sa chambre, elle sécha ses cheveux et s’endormit à peine sa tête eut-elle touché l’oreiller.

Le lendemain, il fit un temps affreux. Les orages succédaient aux orages et, profitant d’une brève éclaircie pour faire quelques pas, Marie vit que son gentil berger et ses chèvres étaient rentrés à l’abri. Elle pensa qu’il ferait meilleur le jour suivant mais le soir même, sous une pluie battante et au milieu des éclairs et du tonnerre, Pierre de La Porte trempé comme une soupe ainsi que son cheval atterrissait au château. Marie, du coup, oublia ses amours champêtres : enfin des nouvelles !

Elles étaient de nature à secouer la plus épaisse des torpeurs et Marie les reçut avec une joie qu’elle se garda de montrer : la France venait de déclarer la guerre à l’Espagne à la suite d’un incident déclenché par Madrid en pleine connaissance de cause : les troupes du Roi Très Catholique avaient capturé l’Archevêque Electeur de Trêves qui était sous la protection du Roi Très Chrétien. Autrement dit Louis XIII. Celui-ci régla quelques affaires pendantes dans le Milanais puis envoya une déclaration d’hostilités en bonne et due forme.

— Madame la Duchesse imagine sans peine ce que peut être l’état d’esprit, à ce jour, de Sa Majesté la Reine, conclut La Porte en étouffant un bâillement. Elle écrit d’ailleurs dans cette lettre que j’avais ordre de remettre en mains propres..

— Voilà qui est fait ! Allez vous restaurer et vous reposer, mon ami. Mademoiselle de Lénoncourt va prendre soin de vous et nous aurons largement le temps de parler demain, ajouta-t-elle en faisant sauter le cachet de cire.

Ce qu’elle y lut la transporta de joie. Anne, après avoir exprimé sa « douleur » de voir son époux s’en prendre à son frère, n’employait aucun détour pour annoncer dans quel camp elle se rangeait :

« Je n’ai plus rien à espérer d’un époux détesté qui ne m’approche même plus alors que j’ai tout à espérer des armes de mon pays tant pour le service de Dieu que pour mon propre avenir. Aussi, vais-je avoir plus que jamais besoin de vous, ma chère Marie, et de votre réseau dévoué grâce auquel nos amis qui sont aussi ceux de la Sainte Eglise pourront être tenus au courant des projets impies du Cardinal. Car, c’est lui, comme bien vous le pensez, qui est la cause de tout mal… »

Il y avait trois pages ainsi, ce qui fit mieux comprendre à Marie pourquoi la Reine avait jugé bon d’envoyer La Porte en personne. Cette lettre était un vrai brûlot. Que le messager fût pris, et c’était l’échafaud, précédé d’une solide menace de torture. Quant à la Reine, elle risquait non seulement pour elle la répudiation mais peut-être l’emprisonnement dans une forteresse lointaine présentant plus de garanties pour une si bonne chrétienne que le plus sévère des couvents. En bref, tout cela signifiait l’extrême importance du rôle charnière que la Duchesse était appelée à jouer et surtout l’éclat de sa position auprès d’Anne après une victoire espagnole qu’il fallait obtenir à tout prix !

Sa lecture achevée, Marie replia la longue épître, balançant un instant sur ce qu’elle allait en faire : la jeter au feu ou la garder ? À la réflexion elle choisit de la conserver. C’était dangereux sans doute mais, d’autre part, cette preuve incontestable des intentions hostiles d’une reine de France envers le pays dont elle portait la couronne pouvait valoir son pesant d’or au cas où les choses ne tourneraient pas comme prévu et où l’on jugerait utile de laisser la duchesse de Chevreuse s’enliser dans les brumes de l’oubli ou même d’en faire un bouc émissaire… En conclusion, la lettre fut soigneusement rangée dans le petit coffre de fer où Marie gardait ses papiers les plus précieux.

Le lendemain, elle eut un long entretien avec La Porte, les volets clos et Herminie placée en surveillance. Marie était sans nouvelles depuis trop longtemps pour n’avoir pas une foule de questions à poser sur ce qui se passait à Paris et en particulier au Louvre. L’entourage de la Reine d’abord ! Dont elle ne savait plus grand-chose : la dame d’honneur était à présent la marquise de Senecey, née Marguerite de La Rochefoucauld, donc suffisamment dévouée à la Reine pour n’être pas gênante, mais le maître d’œuvre de ce qu’il fallait bien appeler la conspiration, c’était incontestablement « Madame » de Hautefort. L’intime confidente, le plus solide rempart d’Anne d’Autriche qu’elle avait prise en quelque sorte sous sa protection, même et surtout contre son époux. Son éclatante beauté lui valait de garder sur Louis XIII une influence indéniable, encore qu’elle ne lui eût jamais cédé, qu’elle le maltraitât parfois et qu’il fût à présent très épris de Mademoiselle de La Fayette qui ne lui cédait pas davantage :