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— Cependant, il ne fait aucun doute qu’elle lui rende son amour avec autant d’intensité mais elle est d’une extrême piété, cruellement partagée entre le Roi et Dieu. Le combat qu’elle mène contre elle-même inspire à tous une vraie compassion, à commencer par la Reine. Et à l’exception de Monsieur le Cardinal. Je sais de source sûre qu’il pèse sur le confesseur de la jeune fille pour l’amener en son pouvoir.

— Il est trop tentant pour lui d’en faire sa créature. Il est capable de la pousser dans le lit du Roi ! lança Marie méprisante. Joli prêtre en vérité !

— Il n’y parviendra pas. L’âme de cette jeune fille, à sa manière douce et timide, est aussi bien trempée que celle de l’Aurore ! Elle se déchirera le cœur plutôt que d’amener celui qu’elle aime à commettre le péché à cause d’elle. En outre, elle est fille d’honneur de la Reine qu’elle aurait horreur de trahir.

— Qui avons-nous chez ces demoiselles ?

— Mademoiselle de Pons qui se verrait volontiers duchesse de Guise, Mademoiselle de Chavigny, Mademoiselle de Chémerault évidemment…

— Toujours l’espionne du Cardinal ?

— Toujours ! Une petite nouvelle : Mademoiselle de l’lsle, protégée de Madame la duchesse de Vendôme chez qui elle a été élevée.

— Cette chère cousine ! Elle assistait à mon mariage, vous savez, et c’est la meilleure créature de la terre. César de Vendôme qui court les jeunes garçons ne la méritait pas[16]. Le voit-on à la Cour ?

— Non. Depuis qu’on lui a permis de revenir d’Angleterre, il n’en est pas moins exilé sur ses terres : il vit à Chenonceaux, souvent avec son fils aîné Mercœur, tandis que le plus jeune, le duc de Beaufort, s’illustre aux armées. C’est un superbe cavalier… et il est l’amant de votre belle-mère…

— Monsieur le Gouverneur de Paris, mon auguste père, serait-il cocu, une fois de plus ?

— Avec éclat. Madame de Montbazon ne cache pas la passion que Beaufort lui inspire.

— J’aimerais le connaître, murmura Marie d’un ton où perçait un regret. Et bien sûr, il en est très épris ?

— En apparence, oui… mais il est évident pour qui sait regarder qu’il aime la Reine. Lorsqu’il vient la saluer, il a pour elle le même regard que, jadis, le malheureux duc de Buckingham.

— Et elle ?

— Elle l’accueille toujours avec grâce… un peu plus peut-être que d’autres seigneurs. Quant au Roi, lui, il ne cache pas qu’en dépit d’une bravoure éclatante, promise sans doute à la légende, il n’est pas loin de le détester. Que vous apprendre encore ? Le Capitaine des Gardes est Monsieur de Guitaut dont l’épouse fait partie du cercle le plus étroit de Sa Majesté auquel se joint souvent votre belle-sœur Madame de Guéménée. Elle vient chaque jour rendre compte à la Reine des potins de la place Royale…

— Cette chère Anne ! soupira Marie soudain mélancolique. Elle a le bavardage dans le sang… sauf avec moi. Je n’en ai plus de nouvelles depuis une éternité. Il ne fait pas bon être loin du soleil de la Cour, mon cher La Porte ! ajouta-t-elle avec amertume.

— Allons, Madame la Duchesse, vous auriez tort de désespérer. Les événements que nous vivons peuvent vous ramener plus vite peut-être que vous ne le pensez. Et à propos de ces événements, je voudrais vous demander une faveur.

— Si elle est en mon pouvoir…

— Me donner une chambre à l’hôtel de Chevreuse. Le Louvre où je garde tout ce qui sert à la correspondance secrète : les cachets, les encres sympathiques, les grilles des codes, le Louvre n’est plus sûr et si Monseigneur le Duc n’y voit pas d’inconvénient…

— Mon époux ne quitte guère Dampierre pour ce que j’en sais et je peux lui écrire pour l’avertir : je lui dirai que l’on fait des travaux là où vous logez et que je vous accorde l’hospitalité, eu égard à la proximité du Louvre.

— Grand merci, Madame la Duchesse. Comme j’ai décidé de prendre mes repas au Battoir, rue Fromenteau, j’aurai ainsi les coudées plus libres et pourrai me rendre au Val-de-Grâce sans avoir à franchir les corps de garde.

On régla les derniers détails. La Porte remit à Marie les nouveaux codes et les adresses nécessaires qu’elle pouvait encore ignorer, reçut d’elle une lettre pour son intendant de la rue Saint-Thomas-du-Louvre puis une, beaucoup plus longue, destinée à la Reine, et l’on se sépara enchantés l’un de l’autre. Marie surtout qui à présent allait vivre d’espoir. Elle était chargée particulièrement du courrier avec l’ancien ambassadeur Mirabel, retranché à Bruxelles, et, naturellement, le Cardinal-Infant. Avec l’Angleterre elle avait son propre messager qui n’avait d’ailleurs aucun besoin de se cacher puisque chacun savait les relations d’amitié déjà anciennes entretenues par la Duchesse avec le roi Charles et la reine Henriette-Marie. Ce qui n’était pas le cas des lettres d’Anne d’Autriche ! La Porte les remettait à un dénommé Auger, appartenant au personnel de l’ambassade à Paris, qui se chargeait de les transmettre à qui de droit. Quant à la Lorraine, depuis que le Duc, pratiquement expulsé par Louis XIII, avait cherché refuge chez les princes allemands, il devenait plus difficile à atteindre. Ce qui ne veut pas dire que Marie n’y parvenait pas. Son petit réseau était assez bien organisé.

Renonçant à ses amours champêtres – non sans un certain regret mais il était plus prudent d’abandonner son beau berger en espérant qu’il finirait par croire avoir vraiment eu affaire à une fée –, elle se réinstalla à Tours pour la plus grande joie de l’Archevêque et le plus grand dépit des dames de la ville qu’elle continuait à éclipser. Ainsi de cette représentation du Cid que les comédiens parisiens vinrent donner à la demande des Echevins et en l’honneur de la visite de Monsieur. Car il avait fini par venir voir « les dames du lieu », comme il disait : en réalité pour les beaux yeux d’une jolie fille dont il était tombé amoureux.

Le Cid était à la mode comme, curieusement, tout ce qui était espagnol : les manteaux, les chapeaux, le noir, les mantilles, etc.., peut-être justement parce que l’on était en guerre avec Philippe IV. On avait joué Le Cid au Louvre et au Palais-Cardinal bien que Richelieu éprouvât envers l’auteur, Pierre de Corneille, une confraternelle jalousie puisqu’il était auteur lui-même. Il couvrait de fleurs le père de Rodrigue mais renâclait à le faire entrer à l’Académie française toute fraîchement créée.

Marie parut au spectacle en robe de satin doré, parée de quelques-uns de ses plus beaux diamants. Le jeune Craft, arrivé la veille, l’accompagnait avec un air de dévotion qui exaspéra les autres femmes moins somptueusement parées. De quel droit, à trente-six ans, se permettait-elle d’être plus envoûtante que toutes les autres réunies ?

Monsieur, qui au fond n’avait cessé d’être son complice que depuis peu, lui fit l’honneur de venir la saluer et lui promit de lui rendre visite le lendemain. Ce qu’il ne manqua pas, quitte à écrire ce soir-là à l’un de ses familiers que cette visite avait été la plus courte qu’il eût jamais faite et que ni lui ni les dames de la ville ne seraient tristes si Marie voulait bien retourner dans sa campagne…