Le lendemain, le Cardinal se rendait chez la Reine ainsi qu’il l’avait annoncé. Face à lui, celle-ci commença, assez sottement, par protester de sa parfaite innocence et, dans son affolement, jura sur le Saint-Sacrement qu’on la soupçonnait à tort. Mais elle avait affaire à trop forte partie. Doucement, patiemment, il fit tomber une à une toutes ses défenses jusqu’à ce qu’elle finisse par avouer qu’elle avait écrit à ses frères, bien sûr, mais aussi à Mirabel « qui lui avait toujours montré respectueuse amitié et dévouement ».
Satisfait du résultat et d’ailleurs ému devant le chagrin et le trouble d’une aussi haute dame, Richelieu l’assura qu’il ne venait pas en justicier, qu’il ne souhaitait que son bonheur et celui du Roi auprès de qui il allait intercéder sans délai afin que cette vilaine histoire soit vite effacée et que l’harmonie revienne dans le couple royal.
Surprise d’une mansuétude tellement inattendue, la Reine murmura :
— Quelle bonté faut-il que vous ayez, Monsieur le Cardinal !
Et elle lui tendit une main sur laquelle il s’inclina avec respect. En se retirant, il traversa une galerie, à demi déserte à son arrivée mais qui s’était singulièrement remplie. En passant entre deux rangs d’échines courbées il lança, avec un froid mépris :
— Je suis heureux de voir, messieurs, que vous venez enfin prendre des nouvelles de Sa Majesté la Reine. Je vous les donne moi-même : Sa Majesté se sent encore lasse mais peut-être demain vous fera-t-elle la faveur d’accueillir vos hommages.
Pour cette brutale remise à l’heure, Marie de Hautefort l’eût volontiers embrassé. Restait à convaincre le Roi et ce fut moins facile. En face des aveux de sa femme, Louis n’avait guère le choix : la traiter en criminelle d’Etat était impensable, la répudier serait dangereux car l’Espagne crierait bien haut à la machination. Il n’y avait plus guère que le pardon mais le Cardinal ne l’obtint pas sans peine. Le Roi exigea des aveux écrits assortis de la promesse formelle de ne plus recommencer. Ce qui fut fait et la paix revint, du moins en apparence, dans le ménage royal.
Mais si Louis XIII acceptait de passer l’éponge pour obéir à la raison d’Etat, il n’avait aucune raison de ménager les comparses. La Porte resta à la Bastille encore neuf mois, après quoi la Reine réussit à le faire élargir, mais sur toute cette sombre affaire planait l’ombre charmante et maléfique de Madame de Chevreuse…
Marie n’était pas sans avoir appris une partie de ce qui s’était passé et s’en épouvantait d’autant plus qu’il ne lui était pas possible de recevoir confirmation ou réfutation : la Reine n’écrivait plus, La Porte était en prison et les intermédiaires choisissaient de garder un mutisme prudent. Ce soudain silence lui fut intolérable et elle caressa un instant l’idée de fuir en Angleterre ainsi que Craft l’en suppliait à sa façon romantique, afin de « vivre enfin leur amour dans un cadre apaisé »… Et puis arriva une lettre du Cardinal :
« Madame, écrivait Richelieu, j’ai prié Monsieur du Dorât de vous aller trouver pour une affaire que vous jugerez assez importante. Comme je désire vous y rendre de nouvelles preuves de mon affection et de mon service, je vous supplie de m’en donner de votre franchise et de vous assurer qu’en usant ainsi vous sortirez de l’affaire dont il s’agit sans déplaisir quelconque ainsi que vous avez été tirée par le passé d’autres qui n’étaient pas de moindre importance… »
En dépit de l’apparente bénignité de l’épître, Marie sentit le froid de la mort se glisser dans ses veines. Elle connaissait un peu ce du Dorât, ou plutôt l’abbé du Dorât, trésorier de la Sainte-Chapelle et qui avait longtemps servi la maison de Lorraine. Il était habile, patelin, et il n’y avait pas à se tromper sur sa mission : il venait l’interroger et l’appel à « la franchise » du Cardinal ne lui disait rien de bon. Force fut cependant de le recevoir.
Il vint, accompagné d’un autre ecclésiastique, l’abbé de Cinq-Mars que la Duchesse ne connaissait pas, et comme celui-là n’était pas annoncé, son entrée en scène acheva de la terrifier. Les exemples de Chalais, Boutteville et Montmorency ne démontraient que trop le poids de l’impitoyable justice royale. Elle nia en bloc.
Commença alors une sorte de dialogue de sourds où, sur des questions précises, Marie éludait ou répondait à côté. Les interrogatoires se firent plus pressants, plus sévères aussi. Certes, ils ne se déroulaient pas dans les locaux du Lieutenant criminel de Tours – pas encore du moins ! – mais à certaines allusions, la jeune femme croyait voir se profiler l’horrible appareil de la question.
Elle finit par reconnaître qu’elle avait songé à rejoindre la Reine sous un déguisement parce qu’elle souffrait trop d’en être écartée, mais qu’elle n’avait pu mettre son projet à exécution car on l’en avait dissuadée. Quant au duc de Lorraine, elle n’avait plus depuis longtemps la moindre intelligence avec lui, ne sachant même pas ce qu’il était devenu. On lui parla de dépêches saisies en Bourgogne, donc aux approches de la Comté Franche tenue par les Espagnols, mais elle répondit qu’elle ne savait de quoi on parlait. Pour ce qui était de ses relations avec l’Angleterre, elles étaient fort minces, les souverains anglais ayant trop à faire pour se soucier d’une ancienne amie. Avec un art consommé, elle tenta d’attendrir ses interrogateurs sur le sort d’une femme réduite à faire un procès à un époux oublieux de ses devoirs, mais elle eut le tort de laisser percer à plusieurs reprises le ressentiment que lui inspirait le Cardinal. Aussi l’abbé du Dorât écrivit-il au Ministre : « Votre Eminence me permettra, s’il lui plaît, de lui dire que cette dame est la plus grande ennemie qu’elle ait et qui l’a le plus désobligée… »
Finalement, le 24 août, les deux prêtres lui firent signer les quelques aveux si péniblement obtenus et repartirent pour Paris, emportant cette déclaration boiteuse en assurant la Duchesse qu’elle aurait bientôt de leurs nouvelles. Ce qui lui laissa une impression bizarre : certes, dans sa lettre le Cardinal l’avait assurée de son affection, mais il lui avait tout de même envoyé deux inquisiteurs qui en partant ne semblaient pas particulièrement bien disposés. Pourtant, peu après, elle reçut une lettre de du Dorât plutôt rassurante : il lui écrivait de ne pas se tourmenter, que tout ce qu’on lui avait demandé n’avait d’autre but que mesurer sa franchise et que, certainement, les choses s’arrangeraient. Sa Majesté, ajoutait-il, étant disposée à lui pardonner quoi qu’elle ait fait. Cela paraissait presque trop beau et Marie gardait un doute dont elle ne pouvait se défaire : si tout allait si bien, pourquoi la Reine la laissait-elle sans nouvelles ? Qu’elle fût surveillée était évident mais il n’y avait pas qu’elle : Marie de Hautefort à qui le Roi était revenu plus ou moins après le départ de Mademoiselle de La Fayette avait, elle une entière liberté de la renseigner. Et on ne lui disait rien…
Bientôt le silence se fit étouffant. Du Dorât n’écrivait plus et les lettres que Marie lui envoyait restaient sans réponses. Comme celles qu’elle écrivit à Anne d’Autriche, à Hautefort, à l’amie de celle-ci Madame de Villarceaux que l’on savait du complot. Même sa belle-mère, Marie de Montbazon, avec qui elle avait entretenu les meilleures relations, ne donnait plus signe de vie. Quant à Hercule, il n’y fallait pas songer : écrire la moindre ligne lui donnait de l’urticaire. Enfermée dans Couzières, Marie vivait des journées fébriles, des nuits d’angoisse que ne venaient adoucir les caresses d’aucun amant. Craft, Montaigu, François de La Rochefoucauld tout ce monde semblait avoir disparu de la surface du globe.