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Un matin cependant, un billet arriva. En courtes phrases rapides, l’Aurore lui faisait savoir que l’on ne savait trop ce qu’il allait advenir et qu’elle devait se tenir prête à toutes les éventualités, mais que, dans les huit jours, on lui ferait parvenir un livre d’heures. Si la reliure était verte, ce serait le signe qu’il n’y avait pas à s’inquiéter et qu’il lui fauchait seulement un peu de patience, mais si elle était rouge, il ne lui resterait plus qu’à chercher son salut dans la fuite parce que son arrestation serait imminente.

Bien que guère rassurante, la lettre remonta le moral de Marie. Avant de la recevoir elle se croyait perdue : à présent, il lui restait cinquante pour cent de chances et elle s’efforçait de s’y raccrocher. Pourtant, à mesure que passaient les jours, elle sentit l’angoisse revenir.

Le 5 septembre vers onze heures du matin, un messager remontait la grande allée de Couzières, remettait un petit paquet en criant :

— Pour Madame la duchesse de Chevreuse !

Puis, sans désemparer, faisait volter son cheval et repartait comme il était venu, laissant pantois le valet auquel il s’était adressé. Mais celui-ci n’eut pas le temps de revenir de sa surprise : Herminie accourue lui avait déjà enlevé l’objet et, remontant l’escalier quatre à quatre, elle le déposa sur la table à coiffer devant laquelle Marie était assise tandis qu’Anna procédait à sa coiffure :

— C’est sûrement ce que nous attendions !

— Tu crois ? murmura Marie qui regardait le colis sans oser y toucher.

— Je ne vois pas ce que ce pourrait être d’autre, souffla la jeune fille aussi tremblante qu’elle. Vous ne… voulez pas l’ouvrir ?

Marie ne répondit pas, continuant à regarder l’enveloppe d’épais papier portant des sceaux sans armoiries remplacées par une simple lettre : un S dont la signification échappait aux deux femmes. C’était d’ailleurs cette absence de signe distinctif qui étranglait Marie : une bonne nouvelle n’avait aucun besoin de secret…

— Il faudrait se décider à voir ce qu’il y a là-dedans, grogna Anna en posant son peigne pour se saisir du livre dont elle arracha l’emballage entre ses fortes mains avant de le lâcher au milieu des pots à fards comme s’il l’avait brûlée : la reliure était rouge.

Marie devint blême, perdit connaissance et s’écroula sur le tapis.

Réclamant à grands cris un linge mouillé, des sels et un cordial, Anna se jeta à genoux près d’elle et appliqua deux ou trois claques à ses joues blanches. Cependant Herminie, après avoir pris une profonde respiration, s’emparait du livre fatal dont s’échappa une feuille sans signature : « Sa Majesté vous fait savoir qu’au reçu de ce billet, vous vous sauviez de quelque façon que ce soit. Votre arrestation a été ordonnée pour… le 6 de ce mois de septembre… »

— Le 6, c’est demain ! s’écria la jeune fille. Il n’y a pas de temps à perdre. Ma cousine, ce n’est pas le moment de vous coucher !

D’une main ferme, elle appliqua deux claques supplémentaires sur les joues de la Duchesse avant de lui mettre le flacon de sels sous le nez. Le traitement fut efficace : Marie éternua, ouvrit les yeux puis avala docilement le cordial qu’Herminie portait à ses lèvres. Quelques instants plus tard, bien réveillée elle prenait connaissance de l’avertissement :

— Mes chevaux, ma voiture ! Il faut que j’aille à Tours…

— Pensez-vous que ce soit le moment de faire des visites ?

— Au moins une ! J’ai besoin d’argent et je ne vois qu’une seule personne à qui le demander…

Quand elle arriva à l’Archevêché, on lui dit que Monseigneur était alité depuis cinq jours, souffrant d’un refroidissement, mais avec l’audace d’une familière, elle passa outre, s’engouffra dans la chambre du prélat et vint s’asseoir au bord du lit, compromettant l’équilibre d’un bol de lait de poule que le vieil homme buvait précautionneusement :

— Monseigneur, je suis perdue, souffla-t-elle. Il n’y a que vous dont je puisse attendre secours !

Bertrand d’Eschaux devait approcher de la guérison car, sans s’émouvoir, il acheva son bol et le remit à son domestique avec un geste de la main qui l’éloignait. Puis, se réinstallant dans ses oreillers, il sourit à sa visiteuse :

— Me voilà tout prêt à vous aider, ma chère enfant ! Confiez-moi ce qui vous trouble à ce point.

— Il faut que je quitte la France au plus vite. Demain on doit venir m’arrêter…

— Diable ! émit Monseigneur avec un remarquable manque d’à-propos.

Mais Marie était bien au-delà de la casuistique. En quelques mots elle eut raconté l’affaire du livre d’heures, montra le billet :

— Je dois fuir ! Fuir ! s’écria-t-elle presque en larmes. Je n’ai plus un sou vaillant !

— Cela peut s’arranger. Où comptez-vous aller ? On parlait ces temps-ci de votre départ pour l’Angleterre…

— C’est de ce côté-là que l’on me cherchera en premier. Je veux passer en Espagne. Si je me souviens, vous avez de la famille en Béam ?

— Pas en Béam, au Pays basque : mon neveu, le vicomte d’Eschaux, est sur notre terre familiale à quelque six lieues de Bayonne… mais c’est un très long chemin ?

— Il ne me fait pas moitié aussi peur que les prisons de Son Eminence.

— Partez-vous seule ?

— Non mais je vais voyager déguisée en homme et je prendrai Peran, mon cocher, le seul dont je puisse être sûre…

Un moment plus tard, nantie d’une somme rondelette en or, d’une lettre pour le vicomte d’Eschaux et d’un itinéraire approximatif pour gagner les environs de Bayonne, elle rentrait à Couzières, soupait légèrement puis réunissait ses femmes et ses serviteurs. Avec des larmes dans les yeux, dans la voix aussi, elle leur dit qu’elle était obligée de s’enfuir pour éviter la prison mais qu’elle avait confiance en eux pour faire traîner les choses quand on viendrait les interroger : elle avait seulement besoin de deux jours et demi d’avance. Tous jurèrent de faire pour le mieux. Restait Herminie :

— Je voudrais t’emmener mais tu m’es nécessaire ici, ou plutôt à Tours. Tu iras demain et tu t’enfermeras dans La Massetière en indiquant à Gonin (le majordome) de faire comme si j’étais au logis mais malade et ne pouvant recevoir personne. Tu seras là pour donner de mes nouvelles à ceux qui se présenteront. Je fais pleine confiance à ton imagination…

— Vous voulez me laisser là ? se plaignit la petite, prête à pleurer. Mais je ne veux pas vous quitter, moi !

— Crois-moi : tu me seras plus utile ici… et puis quand je serai parvenue à destination je vous enverrai chercher, toi et Anna.

— Vous dites cela pour me consoler mais je sais bien que je ne vous verrai plus…

Et cette fois de pleurer à gros sanglots qui impatientèrent Anna :

— Si c’est toute la foi que vous accordez à Madame ! Est-ce que je pleure, moi ? fit-elle avec rudesse. Allons, Mademoiselle Herminie, séchez vos larmes, nous ne tarderons pas à rejoindre Madame la Duchesse.

Marie prit le relais :

— Comprends donc que si l’on vous voit à Tours, toi et Anna, on sera persuadé de ma présence. Et si d’aventure l’on vous cherchait noise, appelez-en à Monseigneur : il prendra soin de vous.