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Il fallut bien en passer par là. Après avoir ordonné à Peran de se trouver au fond du parc à neuf heures et demie avec deux chevaux dont le sien et un bagage aussi réduit que possible, elle se prépara. Elle n’emportait rien, sinon des rouleaux d’or dans ses poches et ses bijoux.

Cela fait, elle se fit apporter un mélange de suie et de brique pilée finement qu’elle avait déjà employé pour sauver Gabriel et s’en enduisit le visage et le dos des mains, ce qui lui donnait un teint beaucoup plus foncé que le sien. Après quoi elle revêtit un costume d’homme entièrement noir : casaque, chausses, pourpoint, bottes et manteau. Cela fait elle se coiffa d’une perruque blonde qu’elle assujettit au moyen d’une bande de taffetas noir qui lui barrait le front comme si elle avait à cet endroit une blessure…

— Suite d’un duel ! lança-t-elle, toute sa bonne humeur revenue au seuil de cette aventure dangereuse mais qui à présent lui semblait excitante.

Certainement davantage que la vie étriquée qu’elle laissait derrière elle…

— Vous êtes méconnaissable ! souffla Herminie émerveillée par le résultat.

— C’est bien ce que j’espère, fit Marie en se pavanant devant son miroir. Et maintenant, je vous dis à toutes « au revoir ». À vous deux, Herminie et Anna, j’ajoute « à bientôt ».

Ayant mis la dernière touche à son déguisement en bouclant un baudrier et un ceinturon de cuir noir soutenant une épée et une dague, elle planta sur sa tête un feutre orné d’une plume discrète, prit des gants épais, son manteau et enfin quitta le château escortée par Herminie armée d’une bougie jusqu’à une porte de service que la jeune fille devait refermer derrière elle.

Là, elle se tourna une dernière fois vers sa cousine :

— Je ne t’embrasse pas pour ne pas te salir mais c’est comme si je l’avais fait. Courage, Herminie ! Je t’écrirai…

Sur ces derniers mots, elle prit sa course à travers le parc obscur avec un bizarre sentiment de liberté, ce qui était étonnant alors qu’une si lourde menace pesait sur elle. Si elle était reconnue, elle serait enchaînée, ramenée de force, enfermée dans un cachot de la Bastille, de Vincennes ou autre prison en attendant un jugement sans doute implacable. À moins qu’on ne l’envoie comme le pauvre Châteauneuf dans une lointaine forteresse, où on l’oublierait tranquillement. Mais c’était bon de se sentir jeune, alerte, et pleine de projets dont une voix intérieure lui soufflait qu’il restait encore beaucoup de temps pour les réaliser.

Naturellement, Peran était à son poste, avec en main leurs deux montures et toujours aussi flegmatique :

— Où allons-nous ? demanda-t-il.

— En Espagne… si Dieu le veut !

Il se signa vivement avant de lui tenir l’étrier pour qu’elle pût monter sans effort.

— Tu as peur ? lui lança-t-elle goguenarde.

Il se contenta de hausser les épaules et d’enfourcher son cheval. Sortis du parc, les deux cavaliers plongèrent dans la nuit en direction du sud…

CHAPITRE XI

L’AVENTURE

On marcha toute la nuit et tout le jour jusqu’à un bourg, Couhé, non loin de Poitiers, où l’on passa la nuit pour repartir à l’aube jusqu’à Ruffec. Là, à l’Auberge du Chêne Vert, Marie arriva recrue de fatigue mais prit seulement deux heures de sommeil, un souper puis repartit. Il fut cependant vite évident pour l’œil pénétrant de Peran qu’elle n’irait plus très loin à cette allure. Non seulement elle mais sa jument qui donnait des signes certains de fatigue. Il le lui dit alors qu’ils faisaient halte à une croisée de chemins. Marie venait de s’apercevoir qu’elle avait oublié à l’auberge les papiers de l’Archevêque. Retourner signifierait allonger encore la route, avec le risque de se faire prendre si on les avait trouvés.

Peran arrêta un paysan qui passait :

— Ce château là-bas ? Qu’est-ce que c’est ?

L’homme ôta son chapeau avant de répondre :

— C’est Verteuil, Monsieur, qui est à Monseigneur le duc de La Rochefoucauld…

Marie eut un cri de joie. Elle allait être sauvée. Elle savait en effet que François y résidait avec sa femme et sa mère. Il ne refuserait pas de l’aider mais il n’était pas question qu’elle se rende près de lui accoutrée comme elle était. Elle prit l’écritoire qu’elle emportait toujours avec elle et rédigea une lettre demandant qu’on lui envoie un carrosse et des chevaux. Peran la laissa dans une hutte et emmena la jument exténuée.

La réponse fut immédiate et au-delà de ses espoirs : Marcillac lui envoya un carrosse attelé de quatre chevaux, lui conseilla d’aller au petit manoir de La Terne situé non loin de là, qui lui appartenait, de s’y installer comme chez elle : il y viendrait la visiter le soir même…

Oh ! le bonheur de se retrouver au calme, dans une aimable demeure pourvue d’une terrasse dominant la Charente. De pouvoir se déshabiller, se laver, dormir enfin en toute tranquillité : n’avait-elle pas reconnu dans le concierge du château Potet, l’un de ses anciens valets, au temps où elle était duchesse de Luynes, et qui pleura de bonheur en la reconnaissant ? Elle possédait le don, plutôt rare, de se faire aimer de ses serviteurs parce qu’elle était pour eux bonne et généreuse.

À la nuit François accourut. Il apportait un sac contenant du linge frais – Peran lui avait raconté leur départ brusqué ! – des vêtements de rechange et, délicate attention d’un amant, un flacon de senteur. Ils soupèrent ensemble dans la chambre de Marie et, naturellement, le grand lit dont les draps sentaient la verveine les accueillit. Ces instants d’amour rendirent toute sa force et tout son courage à la fugitive. Volontiers cynique et railleur, François savait se montrer tendre. Peut-être même n’avait-il jamais aimé autant Marie qu’à cet instant où elle avait besoin de lui et demandait son aide.

Il tenta de la convaincre de rester à La Terne, assurant qu’il saurait la protéger, mais elle refusa :

— Oubliez-vous que vous êtes exilé ? Ce serait vous mettre en danger, vous et les vôtres, et, ainsi, reconnaître bien mal le secours que vous m’apportez de façon si spontanée…

— J’aimerais tellement faire davantage ! Je vous aime, Marie…

— Cela aussi il faudra l’oublier car, en vérité, je ne sais quand nous nous reverrons… ou si nous nous reverrons.

— Je veux le croire ! Ne plus contempler votre sourire, vos yeux si beaux, serait ôter à la vie une partie de son charme !

Il fallait cependant songer à repartir : la frontière espagnole était encore loin. En outre, l’itinéraire et les recommandations de Monseigneur d’Eschaux allaient faire cruellement défaut.

— D’autant, dit François, que vous pénétrez à présent en terre de langue d’oc. Ni vous ni votre domestique ne la parlez mais Potet, vous vous en souvenez peut-être, est né près de Bayonne. Il ne demandera pas mieux que de vous accompagner, avec mon valet de chambre Thuilin qui mènera la voiture. En outre, je peux vous conseiller quelques points de chute : à Condour, par exemple, chez un de mes obligés, puis, quand vous serez en Périgord, au château de Cahuzac qui est à nous et où, sur une lettre que je vais vous donner, notre intendant Malbati se mettra à votre service. Mieux vaut, selon moi, éviter le Pays basque et voyager sous l’apparence d’un jeune seigneur désireux d’aller soigner une blessure reçue en duel aux eaux de Bagnères…

— François ! murmura Marie émue. Je vivrais cent ans que je n’oublierais pas ce que vous faites pour moi…

— Si c’était moi le fugitif, agiriez-vous autrement ? En échange promettez-moi de m’écrire ! Je veux savoir ce qu’il advient de vous !