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Et, lui jetant ses bras autour du cou, elle lui donna un baiser qui le fit trembler… puis s’avança vers ceux qui prenaient pied sur le plateau. Le guide était un petit homme brun, sec comme un cep de vigne, avec des cheveux noirs, un visage dur et buriné mais sous le bonnet noir qui bâchait sa tête des yeux aussi bleus que le ciel.

— Voilà Sébastien ! présenta Aramitz. Vous pouvez avoir entière confiance en lui… Il me reste, Monsieur le Duc, à vous souhaiter bon voyage et, surtout, prompt retour parmi nous.

Il l’aida à enfourcher son mulet puis, reculant de trois pas, s’inclina profondément en balayant l’herbe rase des plumes noires de son chapeau. S’efforçant de cacher son émotion, Marie lui répondit d’un sourire, craignant que le tremblement de sa voix ne la trahît. À cet instant, ce parfait gentilhomme lui était infiniment cher…

Elle et Peran suivirent le guide qui, déjà, s’engageait dans le chemin accidenté des sommets que le soleil levant enveloppait de sa belle lumière neuve. Côte à côte, Aramitz et Malbati regardèrent s’éloigner le petit groupe jusqu’à ce qu’il fût à peine visible. Alors seulement, ils se disposèrent à redescendre vers Bagnères, emmenant avec eux les chevaux.

Quelques heures plus tard, en prenant pied sur le sol espagnol, Marie poussa un soupir qui était à la fois de soulagement et de regret. Elle quittait peut-être pour toujours à peu près tout ce qu’elle aimait. Elle n’avait revu ni son époux ni ses enfants, ni son délicieux Dampierre ni tous ceux qui lui étaient chers. En échange il lui fallait aller droit devant elle à la rencontre d’un destin dont elle ignorait s’il lui serait favorable ou désastreux… puisqu’elle n’avait pas non plus revu Basilio ! À celui-ci, elle en voulait un peu. Son devoir n’était-il pas de la rejoindre dans son exil ? Ce n’était qu’un ingrat plus attaché à son agréable retraite qu’à celle à qui il la devait !

Cette pensée lui arracha des larmes que, d’un geste furieux, elle essuya d’un revers de manche !

Le pire – mais elle ne le sut que bien plus tard – était qu’aucun ordre d’arrestation n’avait été lancé contre elle, ainsi que le Roi l’assura à son fidèle Chevreuse quand, au château de Conflans, il vint à ses genoux implorer une fois de plus sa clémence.

— Il faut, dit le souverain, qu’elle ait obéi à un faux bruit…

— Monsieur le Cardinal peut-être ?

— On ne se saisit pas d’une duchesse de Chevreuse sans un ordre de moi. En vérité je ne sais ce qui s’est passé.

Marie de Hautefort aurait-elle pu répondre à cette question ? S’était-elle trompée de couleur en envoyant le livre rouge… ou avait-elle saisi cette occasion unique de se débarrasser – de débarrasser la Reine ! – d’une amie de plus en plus compromettante donc encombrante ? Surtout à un moment singulièrement délicat. L’Aurore, en effet, ayant mesuré le fond du gouffre où Anne d’Autriche avait manqué se perdre, s’était mis en tête de donner un héritier au royaume par tous les moyens avec la complicité involontaire du Roi et celle, entièrement lucide, de Louise de La Fayette que Louis visitait souvent au parloir de son couvent. Dans la trame délicate qu’elle tissait, elle redoutait par-dessus tout les foucades et les « grandes idées » de Madame de Chevreuse. La jeune fille avait donc saisi cette occasion inespérée de l’expédier beaucoup plus loin que Tours[19]. En choisissant l’Espagne, la Duchesse était allée dans le sens de ses espérances : on ne la reverrait pas avant longtemps !

Sur le versant espagnol des Pyrénées, Marie, Peran et leurs mulets furent reçus par les religieux de l’Hospital avec la charité dont ils étaient coutumiers, mais on ne fit que se reposer chez eux deux nuits et un jour. La Duchesse avait hâte maintenant de retrouver des terres moins austères. De là on gagna San Esteban, une petite ville fortifiée où l’on put remplacer les mulets par des chevaux, après quoi l’on poursuivit sur Saragosse, la capitale de l’Aragon.

Marie s’y fit reconnaître du Gouverneur, prit logis dans la meilleure hostellerie de la ville et se remit à écrire. Chose étrange, sa première lettre fut pour Richelieu afin de lui expliquer sa conduite. À sa façon. Depuis l’emprisonnement du marquis de Châteauneuf, elle s’était efforcée de vivre honnêtement en prenant grand soin d’éviter tout ce qui pourrait déplaire. Or, elle avait été prévenue qu’on allait l’arrêter pour répondre « de choses à quoi elle n’avait jamais pensé en lui disant que l’on avait en mains la vérité ». Cela lui avait fait imaginer qu’on la voulait perdre et elle était partie droit devant elle pour éviter la honte.

Elle écrivit aussi à son cher Archevêque pour lui dire qu’elle était bien arrivée et comptait se rendre à Madrid. Enfin, elle traça quelques lignes à l’intention de Boispillé, l’intendant de Chevreuse, pour lui donner de ses nouvelles et lui demander plusieurs objets.

La réponse, si on pouvait l’appeler ainsi, fut décevante ; en tout et pour tout, Marie reçut ce message : « Nous ne faisons point de réponse en Espagne. »

Elle en fut désagréablement affectée : ces mots lui faisaient comprendre – enfin ! – qu’elle était en pays ennemi et, comme telle, coupée de toutes ses sources d’information comme de ravitaillement. Il lui restait l’or qu’elle avait pu emporter, ses bijoux… et l’espoir dans la munificence de ceux qu’elle venait rejoindre. Or, même si elle pouvait se prévaloir de l’amitié d’Anne d’Autriche, même si elle avait connu jadis la reine d’Espagne, même si elle avait fait tout son possible pour œuvrer pour la cause espagnole, elle n’en risquait pas moins d’être prise pour une espionne plus que pour une victime de Richelieu, donc de ne pas recevoir l’accueil chaleureux qu’elle espérait.

De Saragosse encore, elle écrivit au roi Philippe IV, à la Reine, pour leur demander les moyens de se rendre auprès d’eux et pendant quelques jours vécut une pénible attente. Et puis, elle crut voir le ciel s’ouvrir : le Roi lui envoya un carrosse et des gens pour la servir en l’invitant à venir rejoindre sa Cour.

À Madrid, Madame de Chevreuse fut reçue comme devait l’être la plus proche amie de la reine de France. On lui fit des présents importants, on la logea aux abords du palais… et le bruit courut même que le roi Philippe IV s’était montré sensible à son charme. Ce que les espions du Cardinal se hâtèrent de lui rapporter et Louis XIII, un beau matin, vint annoncer à sa femme que son amie avait couché avec son frère. Ce qui la choqua beaucoup… mais choqua encore plus Marie quand la nouvelle lui revint. Elle devait déclarer plus tard à Madame de Motteville que le Roi ne lui avait jamais dit de douceurs sauf une seule fois en passant… Ce qui ne saurait indiquer les prémices d’une brûlante passion mais on ne prête qu’aux riches : Philippe IV était connu pour sa sensualité. Quant à Marie, sa réputation était solidement ancrée. La conclusion allait de soi.

Elle comprit qu’il restait des frontières quand, ayant demandé une charge de « dame du palais », on la lui refusa. Courtoisement sans doute mais on la refusa tout de même. En outre, la cour d’Espagne rigide, gourmée, arrogante, sanglée dans ses fraises et ses vertugadins d’un autre âge, arborant des joyaux fabuleux, quasi barbares, sur des vêtements le plus souvent noirs, ayant sans doute le goût des beaux jardins mais aussi celui des autodafés – il y en avait eu la veille de l’arrivée de Marie et Madrid empestait encore l’affreuse odeur des corps calcinés ! – cette Cour-là ne tarda pas à lui peser. Au point qu’elle finit par ne plus regretter le refus essuyé même si, sur le moment, il l’avait blessée. Vivre avec ces gens était vraiment au-dessus de ses forces et elle n’arrivait pas à comprendre comment la fille du joyeux Henri IV pouvait s’en accommoder. Elle osa, un jour, lui poser la question.