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— Je vous voudrais toute à moi dans une demeure enfouie sous les arbres et les fleurs, dans un lieu si bien caché que nul ne pourrait nous y venir chercher. Marie ! Merveilleuse Marie ! Dites-moi qu’un jour vous me rejoindrez afin de réaliser ce rêve…

— Tu peux toujours rêver, mais tout seul ! gronda une voix qui semblait sortir d’un buisson.

Et soudain, Holland fut là. Entièrement vêtu de noir, il se confondait avec la nuit, mais la faible lumière tira un éclat de l’épée qu’il tenait à la main. Marie serra plus fort le bras de son cavalier tandis que son cœur se mettait à battre la chamade. Craft, lui, ne s’émut pas.

— Comment l’entendez-vous ? laissa-t-il tomber avec dédain en couvrant de sa main celle de Marie pour la rassurer, mais elle n’avait pas peur.

Au contraire, elle se sentait frémir d’une excitation qu’elle n’avait pas connue depuis longtemps.

— C’est élémentaire. Cette femme est à moi et je viens la reprendre comme…

L’éclat de rire de Craft lui coupa la parole :

— Vous ? La reprendre ? Encore faudrait-il qu’elle le souhaite ! Vous êtes un lâche, Mylord, et chacun le sait ici. Cette belle dame ainsi que les autres, et comme j’ai l’immense bonheur d’être son amant, ce n’est pas le triste héros de Kelso…

Il n’en dit pas plus. Holland, grinçant des dents, venait de se jeter sur lui les mains en avant après avoir laissé tomber sa rapière, prêt à l’étrangler. Il était de taille plus élevée, plus fort que William qui faisait de vains efforts pour desserrer la poigne de fer. Marie que l’assaut avait fait tomber se releva et, ne sachant comment les séparer, saisit la dague pendue à la ceinture de Holland et lui en piqua les côtes.

— Lâchez-le ou je vous tue ! siffla-t-elle entre ses dents serrées.

Sous la morsure de l’acier, Holland desserra l’étau, laissant choir Craft qui se mit à tousser en se raclant la gorge :

— Vous le défendez ? fit Holland avec une sombre amertume.

— Non mais nous ne sommes pas dans les bas-fonds de Londres et je ne suis pas une fille publique que l’on se dispute à coups de poing ! Si vous voulez vous battre, que ce soit de la façon qui sied à des gentilshommes : l’épée à la main.

L’instant suivant c’était chose faite : les deux hommes s’affrontaient avec une furie suant la haine. Ils étaient à peu près de force égale. Sans cesser de se battre, Craft lança après une passe particulièrement chaude :

— Bravo ! Que n’avez-vous montré tant de brio face aux Ecossais au lieu de fuir devant tel un lièvre poursuivi par les chiens !

— Ils étaient dix mille et nous seulement trois. C’eût été un massacre…

— Si vous le dites ! fit l’autre pas convaincu, mais qui presque simultanément s’écroulait, un pouce de fer dans le côté…

Marie avec un cri voulut se porter à son secours, mais Holland l’en empêcha :

— Mes gens vont prendre soin de lui, dit-il en désignant un long bachot qui avait abordé pendant le duel. Vous, je vous emmène !

Elle n’eut pas le temps de demander où. Déjà il l’enlevait de terre comme si elle n’eût rien pesé, prenait sa course vers le logis de la Duchesse. Elle n’avait pas besoin d’autres explications. Son cœur chantait de bonheur et son corps ne demandait qu’à en faire autant. Avec un soupir, elle glissa ses bras autour du cou d’Henry et se laissa emporter vers ce paradis qu’elle avait cru perdu à jamais.

Holland traversa la maison comme une tempête sous l’œil ensommeillé des serviteurs en criant :

— Que l’on ne nous dérange sous aucun prétexte !

La porte de la chambre claqua, repoussée par lui d’un coup de talon. Puis, avec une douceur inhabituelle chez lui, il laissa Marie glisser à terre mais sans la lâcher et, alors seulement, prit ses lèvres pour un baiser si long, si profond que, bouleversée, elle eut l’impression qu’il cherchait son âme…

Elle défaillait quand avec une hâte fébrile il la déshabilla, arrachant ce qui ne cédait pas assez vite à son impatience, puis il la porta sur le lit autour duquel il rassembla tous les candélabres de la chambre :

— Que fais-tu là ? Tu veux que nous brûlions ensemble ?

— Je veux te voir ! Dieu que tu es belle ! Le temps n’a aucune prise sur toi…

Tout en parlant, il se dévêtait rapidement avant de la rejoindre :

— Aucun brasier ne brûle plus que moi depuis que je t’ai revue.

— Pourquoi, dans ce cas, ce jeu stupide que tu as mené depuis mon arrivée ?

— Tu m’avais repoussé. Je voulais te le faire payer… et aussi tenter de me déprendre de toi mais c’était impossible car nulle femme au monde ne te ressemble !

Il s’empara d’elle sans ajouter un mot et Marie éblouie laissa s’épanouir en elle les jouissances à la limite de la douleur que lui seul savait lui offrir. La passion qu’elle croyait éteinte et qu’elle avait tant recherchée dans d’autres bras reprenait possession d’elle avec une éblouissante intensité.

Quand la vague ardente leur laissa un instant de répit, elle entendit Henry chuchoter :

— Tu comprends à présent pourquoi j’ai fui, à Kelso ? Car ce n’était rien d’autre qu’une fuite dont tu es la cause. Engager le combat, c’était aller à une mort certaine, que d’aucuns diraient glorieuse et moi stupide. Je ne voulais pas mourir sans t’avoir reprise. Tu vois, Marie, je t’aurai aimée jusqu’au déshonneur ! Tu es mon enfer et mon paradis…

Durant quatre jours et autant de nuits les deux amants vécurent enfermés, ne laissant approcher leur refuge que pour la nécessaire nourriture et quelques ablutions qu’ils traitaient comme autant de prétextes à de nouvelles caresses. Autour d’eux tout était silence. La Reine, la Cour, le monde entier, ils les avaient oubliés…

Mais à l’aube du cinquième jour, la vie réelle reprit ses droits avec l’arrivée de l’abbé du Dorat qui, depuis des mois, s’efforçait d’amener Madame de Chevreuse à composition. Il revenait de Paris pour la énième fois. À son dernier départ, il avait pu emporter ce qu’il était persuadé être une victoire. Marie, en effet, un peu lasse d’une vie qui s’étriquait depuis que la guerre occupait le roi Charles, avait fini par « reconnaître sincèrement la mauvaise conduite qu’elle avait prise dans le passé et s’en repentait de tout son cœur »… Ce n’était pas très explicite mais à Paris on avait bien voulu s’en contenter : ce que l’Abbé venait annoncer à la Duchesse c’était, enfin, la permission de rentrer.

Tandis que Holland s’esquivait par la porte de la cuisine en promettant de revenir à la nuit dose, Marie recevait l’Abbé avec toute la dignité dont elle était capable :

— Ainsi donc, lui dit-elle, Sa Majesté et Monsieur le Cardinal reconnaissent le bien-fondé de mes demandes ?

— On ne m’en a pas dit autant mais la lettre que voici vous en apprendra davantage. Elle est de la main du Cardinal.

— Voyons sa prose.

En quelques lignes Richelieu faisait savoir à Madame de Chevreuse qu’elle était autorisée à revenir en son château de Dampierre pourvu qu’elle promît d’y demeurer paisiblement et de ne plus cabaler. L’abbé du Dorat avait pour mission de la ramener dans les jours suivants…

Sans le retour tellement inespéré d’Henry, Marie se fût contentée de ce demi-succès et eût ordonné que l’on prépare ses coffres, mais il était là, de nouveau, l’amant tant aimé, et cette fois, elle entendait rester auprès de lui le plus longtemps possible.

— Voilà qui est bien, l’Abbé, et vous me voyez fort heureuse des bonnes dispositions que m’annonce Monsieur le Cardinal. Malheureusement, je ne peux plus quitter Londres…

— Mais pourquoi ?