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— Des dettes, l’Abbé ! Des tas de dettes que j’ai dû contracter puisque Monsieur de Chevreuse me laisse manquer du nécessaire..

— Mais, la reine Henriette-Marie et le roi Charles ne veillent-ils pas à votre quotidien ?

— Le Roi est loin et la Reine, malade à la suite de ses dernières couches et aussi d’être séparée de lui, ne se soucie plus de personne. Mes créanciers le savent : ils ne me laisseront pas partir. Il faut payer ou crever !

Déconfit, du Dorat prit congé pour aller référer sur-le-champ de ce nouveau problème, ce qui enchanta Marie. Cela accordait à son bonheur au moins quelques jours et peut-être même davantage une fois que ses dettes seraient payées. On trouverait bien une idée pour retarder encore ce retour qu’elle désirait si ardemment, peu de temps auparavant.

La réponse du Cardinal fut plus rapide qu’elle ne le pensait : il envoyait à Marie l’intendant de Dampierre, Boispillé – dont elle ignorait qu’il était passé au clan du Cardinal ! – avec dix-huit mille livres, quand elle n’en demandait que douze mille. On n’était pas plus généreux ! En outre, celui-ci lui fit savoir qu’elle devrait prendre toutes dispositions pour le voyage de retour que l’on souhaitait aussi agréable qu’il se pourrait. La route de Dieppe était choisie et le gouverneur de ce port comme celui de Rouen recevraient des ordres pour qu’elle fût accueillie avec honneur. De son côté, l’Angleterre mettait à sa disposition l’un de ses vaisseaux les meilleurs. Quant au duc de Chevreuse, il enverrait à Dieppe carrosses et chevaux, ne pouvant se déplacer lui-même à cause d’une cruelle crise de goutte, cette malédiction des grands buveurs.

Décidément, tout allait vite, trop vite même au goût de Marie. Elle voulait continuer à gagner du temps quand Holland lui annonça qu’il devait rejoindre le Roi en Ecosse. On lui donnait, à lui aussi, une nouvelle chance sous peine de perdre tous ses biens.

Devant les larmes qu’elle ne pouvait retenir, il brusqua les adieux :

— Il est mieux que tu repartes, dit-il, ne fût-ce que pour ta propre sûreté. Ce royaume, crois-moi, n’en a pas fini avec la guerre. Le Parlement demandera bientôt des comptes difficiles à rendre. En France tu seras à l’abri.

Un dernier baiser, et il était parti. Marie prévint Boispillé qu’elle partirait au jour fixé. Elle alla faire ses adieux à la Reine. Mais, la veille de son départ, elle fit venir son ancien intendant et, très troublée, lui tendit deux lettres qu’elle venait de recevoir. L’une, anonyme, lui disait que sa perte en France était assurée : on ne l’attirait à Dampierre que pour s’emparer d’elle plus facilement. L’autre émanait du duc de Lorraine en personne :

« Je suis certain, écrivait Charles IV, du dessein qu’a fait le Cardinal de vous offrir toutes choses imaginables pour vous obliger de retourner en France et aussitôt de vous faire périr… Si je croyais pouvoir assez sur votre esprit pour vous détourner de prendre cette résolution, j’irais me jeter à vos pieds pour vous faire connaître votre perte absolue et vous conjurer par tout ce qui peut vous être au monde de plus cher d’éviter ce mal trop cruel, au moins plus insupportable que tout le reste au monde… »

— Vous comprendrez sans peine que je renonce à partir ! Il ne me reste que ma vie mais elle m’est précieuse. Dites à Monsieur le Cardinal que son piège est éventé…

Il fut impossible de l’en faire démordre et Boispillé s’en alla rendre compte, ainsi qu’il venait d’en recevoir l’ordre.

Suivit un nouvel échange de lettres, qui était aussi un nouveau dialogue de sourds. Cependant, Marie, avide de vengeance, reprenait de plus belle ses relations non seulement avec ceux que la rigueur de Richelieu avait chassés de France mais de nouveau avec l’ambassadeur d’Espagne, le marquis de Velada, et celui de Savoie.

Exaspéré, Richelieu finit par céder aux instances du mari abandonné depuis si longtemps : Claude proposait d’aller en personne chercher Marie. Ne serait-ce pas pour elle la meilleure des garanties ? Richelieu ayant accepté, il écrivit à sa femme une longue lettre lui annonçant son arrivée… mais dans laquelle il ne résistait pas à l’envie de lui faire savoir qu’il était las de ses nombreux amants et qu’il souhaitait seulement vivre auprès d’elle et de sa fille Charlotte dans une paix à laquelle il aspirait, n’étant plus d’âge à rien espérer d’autre. « Il serait le 4 mai à Calais pour passer la mer. »

La réponse qui lui arriva la veille l’étourdit plus qu’à moitié : le 1er mai, Marie avait quitté Londres, accompagnée pour l’honorer de Craft, de Montaigu, de l’ambassadeur d’Espagne et de plusieurs autres émigrés. Le roi Charles Ier lui avait fait porter, en guise d’adieu, un diamant d’environ dix mille livres.

Ce que Claude ne sut pas, c’est que par crainte de le rencontrer elle avait embarqué nuitamment à Rochester. Une fois encore elle fuyait..

CHAPITRE XII

L’AUTRE CARDINAL

À Dunkerque, alors ville étrangère, où elle débarqua avec Peran et Ketty Dawn, la seule femme de chambre qui eût consenti à la suivre, Marie se trouva désemparée. Elle avait pris pied sur ce sol comme n’importe quelle voyageuse anonyme. Elle ne connaissait personne et, en dehors de ses bijoux et du diamant du Roi, elle manquait d’argent. En vérité elle ne savait que faire, réfugiée dans la première auberge qui lui avait paru convenable. Se rendre à Bruxelles, c’était en quelque sorte reprendre du service chez les Espagnols alors qu’elle désirait pardessus tout rentrer en France. À sa rude manière, Peran lui avait exposé son point de vue :

— Pourquoi n’avez-vous pas attendu Monseigneur le Duc ? Vous en avez toujours fait ce que vous vouliez et il voulait vous ramener.

— Pour m’emmener où ? Dans une prison quelconque ? As-tu oublié la route du Verger ? C’est lui qui m’a conduite dans ce piège…

— Mais il n’en savait rien. Cette fois, il fallait lui faire confiance et nous serions en route pour Dampierre…

— Tu le crois vraiment ?

— Sur le sang versé du Christ, oui je le crois…

— En ce cas, je vais écrire que l’on vienne nous chercher. Ici ou Londres, c’est tout un. Le chemin sera même moins long.

Et l’écritoire reprit du service. Quatre lettres seulement. La première au Roi : « Je suis venue ici avec autant de peine que j’en avais eue d’entrer en Espagne et avec la même résolution d’en sortir aussitôt que la nécessité qui m’y amène le permettra. » Après quoi elle l’assurait de son respect et de son affection…

La deuxième suppliait Anne d’Autriche de ne pas l’abandonner, d’avoir pitié de ses peines et, en souvenir d’un autrefois si cher, de plaider sa cause auprès du Roi.

La troisième, pour Richelieu, adjurait le Cardinal de lui rendre son amitié, de l’assurer contre les dangers que lui avait fait courir le prétendu voyage de son époux. Elle disait avoir peine à s’enfoncer plus avant en terre espagnole et désirer par-dessus tout rentrer en France pour retrouver la paix.

La quatrième fut pour Claude à qui elle expliquait les raisons de sa « fuite » dont elle était persuadée qu’il en était complètement ignorant… Et puis elle attendit or, rien ne vint.

Louis XIII après une rapide lecture avait détruit sa lettre.

Celle de la Reine, interceptée au passage, avait été portée au Roi qui l’avait fait passer à sa femme sans l’avoir ouverte. Marie sut plus tard que sa grande amie avait refusé de la lire en disant qu’« elle se garderait bien d’ouvrir la lettre d’une personne qui se gouvernait comme Madame de Chevreuse. Elle ne savait quelle fantaisie ou artifice avait poussé cette personne à lui écrire »…

Richelieu ne répondit pas. Quant à Chevreuse, il alla porter, sans l’ouvrir, le message de Marie au Secrétaire d’Etat Chavigny… et ne répondit pas.