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— Ma chère Duchesse, lui dit-il, vous êtes plus belle que jamais ! Et j’espère que vous nous rapportez intact cet esprit vif qui savait nous galvaniser jadis car en vérité nous en avons un énorme besoin !

Se gardant de lui retourner son compliment parce qu’il ne possédait plus que des traces de son ancienne splendeur physique, Marie lui offrit son plus charmant sourire :

— Besoin de moi ? Mais… pourquoi ?

— Voilà une question qui m’étonne venant de vous. N’êtes-vous pas allée au Louvre ? N’avez-vous pas rencontré la Régente ?

— Si fait ! Cependant, je n’ai pas reçu l’accueil que j’étais en droit d’espérer après tant d’années d’aveugle dévouement Elle m’a « conseillé » de me retirer à la campagne afin de ne point contrister les alliés du royaume par une présence aussi notoirement attachée à l’Espagne ! C’est à n’y rien comprendre… Elle tourne le dos à son pays bien-aimé ?

— Eh oui ! Pour plaire à ce faquin de Mazarin que lui a légué Richelieu, son pire ennemi cependant. Et il est le premier des Ministres, choyé par elle, écouté par elle, prôné par elle alors qu’après la mort du Roi mon frère, nous avons tous cru qu’allait commencer le règne de François de Beaufort, mon fils dont j’aurais juré qu’elle était éprise !

— Ah oui ? Contez-moi cela ! fit-elle, vivement intéressée tout à coup. N’oubliez pas que j’arrive pour ainsi dire de la lune…

— Dans ce cas accordez-moi l’hospitalité de votre carrosse ! Je vous accompagne jusque chez vous après quoi il me ramènera ici. Je préviens mes gens.

Un instant plus tard, ils descendaient ensemble la rue de Tournon et César expliquait à Marie que, depuis longtemps, Beaufort son cadet était épris de la Reine. N’étant pas frappé d’exil et combattant même dans les armées du Roi où sa vaillance faisait merveille, il était vu d’un œil assez doux par Anne d’Autriche à chacun de ses retours…

— Il est pourtant l’amant de ma belle-mère, Marie de Montbazon ?

— Certes… et d’autres aussi. François ne compte plus ses maîtresses mais au fond de son cœur, seule existait la Reine, même si la jalousie de mon royal frère obligeait à la prudence…

— Vous voulez dire qu’il aurait été… son amant ? souffla Marie abasourdie.

Vendôme prit un air fin qui ne lui allait pas du tout :

— Je ne dis rien… sinon que Mademoiselle de Hautefort, si elle voulait rompre son silence, pourrait peut-être nous en apprendre plus ! Quoi qu’il en soit, à la mort du Roi, elle a confié ses enfants et elle-même à mon fils qu’elle proclamait « le plus honnête homme de France ». Elle ne voyait que par lui et il entrait chez elle à toute heure. Il en était assez fier, ce qui l’a conduit à une belle sottise : un matin, il a pénétré dans l’appartement de la Reine sans se faire annoncer comme cela lui arrivait fréquemment. Or, elle était au bain et, au milieu de ses femmes, elle l’a chassé avec de grands cris de fureur… et, à partir de ce moment, s’est rapprochée de ce cuistre d’italien ! Vous devinez la douleur, l’indignation de Beaufort ? Il a juré de tirer la Régente des griffes de ce Cardinal pour rire qui n’est même pas gentilhomme ! Au moins l’autre, Richelieu, était un seigneur… Vous devriez vous entendre avec François : je sais qu’il vous admire énormément…

— De loin alors ? fit Marie en riant. Il y a si longtemps qu’il ne m’a vue qu’il ne doit plus savoir à quoi je ressemble. Mais dites-moi ce qu’il cherche, lui ? ajouta-t-elle plus sérieusement. Est-ce le gouvernement ? Veut-il être le premier des Ministres ?

— Non. L’Amirauté lui suffirait comme à moi de retrouver mon gouvernement de la Bretagne. La mer est l’élément favori de mon fils et, à condition qu’il y ait aux commandes un autre personnage que ce triste sire…

— Le marquis de Châteauneuf lui agréerait-il ?

— Pourquoi pas ? Il est des nôtres et il est temps que la Régente nous rende, à nous les Grands, ce que Richelieu nous a volé…

— En ce cas je recevrai avec plaisir Monsieur le duc de Beaufort…

Il vint le soir même et Marie eut un éblouissement. Il était superbe. Beau tel un héros de roman avec ses longs cheveux d’un blond nordique, son regard bleu étincelant, son visage énergique mais volontiers souriant, son corps d’athlète et certaine désinvolture séduisante au possible. Ce n’était pas un intellectuel – loin de là, mais Marie non plus ! – il cultivait volontiers le calembour et mettait facilement un mot à la place d’un autre. Galant et courtois de nature il pouvait être d’une effroyable grossièreté mais les femmes en raffolaient et le peuple qui l’appellerait bientôt « le roi des Halles » l’adorait.

Marie, pour sa part, eût apprécié peut-être un intermède avec ce magnifique garçon de vingt-sept ans mais elle sentit qu’à tenter de le séduire elle perdrait son temps : quelqu’un d’autre occupait son esprit et son cœur. Pour tâter le terrain, elle parla de Madame de Montbazon et il sourit à l’image évoquée. Puis elle parla de la Reine et François de Beaufort se ferma comme une huître avec, dans le regard, un reflet douloureux qui la renseigna : il aimait Anne d’Autriche. Elle en eut confirmation en évoquant Mazarin car alors il donna libre cours à sa colère :

— Ce rustre, ce faquin, ce plat valet qui ose traiter d’égale à égal la plus noble des reines, comment n’en a-t-on pas encore débarrassé le Louvre ?

— Vous ne l’aimez pas beaucoup, dirait-on ? fit Marie suave.

— Je le hais, je l’exècre ! Sans lui je serais…

Il s’arrêta au bord du mot que la prudence, ou la pudeur, lui faisait retenir. Mais Marie était impitoyable :

— Vous seriez…

— Rien ! Veuillez me pardonner ! Quoi qu’il en soit, sachez, Madame la Duchesse, que je ne suis pas seul à vouloir en purger la terre. La haute noblesse est de mon avis. On haïssait Richelieu parce qu’on le redoutait et que, d’une certaine façon, il était grand. Celui-là n’est rien qu’un ancien gratte-papier affublé d’une simarre cardinalice. Se soumettre à un tel homme, c’est manquer à l’honneur ! Notre petit Roi mérite meilleur mentor que cet histrion ! Nous ne tolérerons pas qu’il l’élève !

Ce qu’elle entendait était pour Marie plus que révélateur :

— Il est déjà suffisamment triste, murmura-t-elle, qu’il ose dresser une barrière entre la Reine et ses plus fidèles amis… Après tout ce que j’ai subi, c’est pour moi plus qu’une déconvenue : une vraie douleur.

— Elle ne vous reçoit plus ?

— Si, mais du bout des lèvres et comme n’importe quelle dame. L’élan d’autrefois, la confiance n’existent plus, fit-elle au bord des larmes, prise qu’elle était à son propre jeu.

De cet instant, l’alliance fut conclue. Elle allait donner naissance à ce que l’on appellerait la Cabale des Importants, rassemblant autour de Marie, de Beaufort et de Châteauneuf les Vendôme et leurs amis, les Guise, les Rohan et d’autres encore, à une seule exception mais de taille : la princesse de Condé, une Montmorency qui n’avait jamais pardonné à l’ancien Garde des Sceaux d’avoir fait condamner son frère. Sa fille, la belle duchesse de Longueville, partageait son indignation et, pour Mazarin, c’était une aide de poids. Cependant, il tenta de s’entendre avec Madame de Chevreuse qu’il pria de le recevoir, et vint rue Saint-Thomas-du Louvre. Ce qui était une concession : il aurait pu la convoquer.