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En débarquant dans la ville corsaire, Marie paya d’audace en allant voir le Gouverneur afin de lui demander de lui trouver un bateau à destination de Dartmouth, port important de la côte du Devon. Celui-ci, Monsieur de Coetgon, était un parfait gentilhomme et se montra assez sensible aux charmes de ces femmes. Sachant pertinemment à qui il avait affaire, il trouva en effet le navire désiré, y embarqua ses visiteuses puis, rentrant chez lui, écrivit sans désemparer à Mazarin pour lui rendre compte de ce passage. Sous Richelieu il eût mis tout simplement les dames de Chevreuse sous les verrous mais, avec l’Italien, on pouvait en prendre à son aise !

Par extraordinaire pour un mois d’avril, la Manche se montra clémente : il pleuvait et les flots restèrent calmes. Marie, toujours un peu superstitieuse, y vit un heureux présage. Dieu apparemment était avec elle…

Dieu peut-être mais pas les hommes. Ses illusions s’envolèrent quand elle vit venir droit sur eux deux navires de guerre battant pavillon, non plus du Roi, mais du Parlement. En déclinant ses noms et titre Madame de Chevreuse comprit vite que les choses avaient changé. En place des sourires et des révérences, elle trouva des visages fermés et, au lieu de les débarquer à Dartmouth, on conduisit Marie et son petit monde dans l’île de Wight où, sans plus de manières, on les enferma à Caris-brooke Castle, une forteresse du XI siècle auprès de laquelle le vieux château de Chevreuse faisait l’effet d’une aimable villégiature. Il fallait y attendre la décision du Parlement…

Or le Parlement, dont les troupes venaient de battre par deux fois à Newbury puis à Marston Moor celles de Charles Ier, n’avait que faire d’une femme presque aussi connue de ce côté-ci de la Manche que de l’autre. Il envoya un émissaire à Mazarin, proposa de lui livrer la Duchesse et sa fille. Ce que le Cardinal se hâta de refuser : Madame de Chevreuse était bien où elle était et il n’avait aucune envie de la revoir en France.

Vus d’une espèce de prison, le printemps anglais et même le panorama admirable de la côte rocheuse et de la mer immense n’avaient guère de charme. Marie eut un moment de découragement cependant que Charlotte, en digne fille de sa mère, séduisait l’un des officiers du château pour passer le temps.

Les abattements de la Duchesse étant en général suivis de période d’intense activité, elle se remit à l’ouvrage. Par l’amoureux de Charlotte, elle sut qu’il y avait encore un ambassadeur d’Espagne dans ce pays abandonné de Dieu qui était en train de s’en prendre à son Roi. Elle avait toujours sa fidèle écritoire et s’en servit pour envoyer un appel au secours audit ambassadeur, lui demandant de l’aider à gagner les Pays-Bas. Et cette fois, elle réussit : le diplomate obtint pour les deux femmes l’autorisation de quitter, après quatre mois, une Angleterre devenue si peu hospitalière.

On partit donc, par une belle matinée baignée d’un soleil générateur de toutes les espérances. L’été était installé et la mer paisible… Un solide bateau de pêche conduisit la mère et la fille à Dunkerque d’où elles gagnèrent Liège, alors principauté indépendante et où Marie espérait contre toute évidence pouvoir reprendre sa correspondance avec la Reine. Elle écrivit une fois, deux fois, trois fois. Aucune réponse. En revanche, il fut vite évident que la maison était surveillée par des agents de Mazarin :

— Nous ne pouvons pas demeurer ici, ma mère, dit Charlotte. Nous y sommes presque aussi captives qu’à Wight, à cette différence près que nous risquons d’être enlevées par les espions du Cardinal sans que quiconque bouge un doigt pour nous défendre… Le Prince-Evêque doit penser qu’il mettrait son salut en danger en refusant ce petit service à un Cardinal…

Même si le Cardinal en question n’était pas prêtre, c’était une éventualité qu’il fallait prendre en considération. De toute façon, l’Espagne par le truchement de son ambassadeur s’étant déjà portée au secours de Madame de Chevreuse, c’était vers elle qu’il fallait chercher le seul refuge possible !

Ce ne fut pas sans un soupir que Marie revit Bruxelles. Elle retrouva sa maison de la rue Héraldique et fut accueillie avec distinction par l’archiduc Léopold, alors Gouverneur des Pays-Bas. Elle reprit contact avec les quelques amis qu’elle s’y était faits mais sentit rapidement que la ville n’était plus ce qu’elle était lorsqu’elle l’avait quittée pour la dernière fois : le lourd climat de la guerre qui durait depuis si longtemps[24] et dont on ne voyait pas la fin pesait sur une ville que la longue occupation espagnole n’avait pas réussi à rendre triste. Le prince de Condé venait, en Bavière, de remporter la victoire de Nördlingen et ses troupes remontaient vers les Flandres. Nombre de familles comptaient des morts.

Sans hésiter, Marie accepta les propositions de l’Archiduc lui offrant de se mettre au service des Habsbourg, qu’ils soient d’Espagne ou d’Autriche. Non seulement elle était très connue pour son esprit d’intrigue et ses aventures, mais on savait, en outre, que son époux gardait fermement sa place à la cour de France, restant immuablement fidèle au Roi qu’il s’était choisi même si celui-ci n’était qu’un enfant. Cela pourrait être utile. On la mit aussi en relations avec un certain comte de Saint-Ibal – Henri d’Escars de Saint-Bonnet – qui était la cheville ouvrière de toute conspiration visant à éliminer Mazarin. L’archiduc Léopold l’avait commis à la liaison avec les émigrés. Il ne tarda pas à en avoir une avec la Duchesse.

C’était un homme séduisant mais cyclothymique, passant presque sans transition de la plus franche gaieté à la plus noire mélancolie, brave d’ailleurs, cousin du pire ennemi de Mazarin, le coadjuteur de l’Evêque de Paris, Jean-François-Paul de Gondi[25], et plus ou moins confident des Condé, ce qui était plutôt étrange étant donné les victoires du Prince contre les Espagnols et les Impériaux.

Ensemble, ils concoctèrent un plan pharamineux : Marie se faisait fort d’avoir avec elle le duc d’Epernon, les gens de La Rochelle et les huguenots grâce à Tancrède de Rohan, le fils posthume de l’indomptable Duc dont on s’emparerait pour le mettre à la tête de ses coreligionnaires. Conjointement, l’Espagne débarquerait dans l’estuaire de la Gironde tandis que Saint-Ibal se rendrait à Münster auprès du duc de Longueville. En résumé, un assemblage de vues de l’esprit aussi peu réaliste que possible mais auquel tout le monde semblait croire. En même temps, Marie que tenaillait la nostalgie du pays écrivait à son époux pour le presser de la faire revenir auprès de lui. En dépit de leurs brouilles et de leurs chicanes, elle sentait, elle savait qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer…

Cependant, à Paris, quelqu’un pensait à Marie. Ce n’était pas son époux – encore qu’il eût fait quelques tentatives pour la ramener – mais le coadjuteur de Gondi qui voyait en elle un brandon capable de faire exploser la mèche et la poudre qu’il était en train d’allumer sous les pas de Mazarin. Il lui envoya l’un de ses amis avec une consigne précise : la séduire, devenir son amant et ainsi la lier entièrement à leur cause. Il s’appelait Geoffroy, marquis de Laigues et baron du Plessis-Paté, ancien Capitaine aux Gardes Françaises qu’il avait quittées afin de pouvoir régler des comptes personnels.

Lorsqu’il se présenta à Marie, elle le jugea « quelconque ». Peut-être parce que le charme, un rien sulfureux, de Saint-Ibal agissait encore sur elle. C’était tout de même un bel homme de trente-quatre ans, de haute taille et bien bâti, portant avec une certaine arrogance un visage rond et frais orné d’un nez légèrement retroussé sous d’abondants cheveux blonds bouclant naturellement et offrant un heureux contraste avec des yeux bruns volontiers dominateurs.