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« Remets-toi, dis-je. Ce ne sont pas des gens que tu as tués, mais des choses. Tiens, regarde…»

Je redressai ma prisonnière et jetai un coup d’œil sur son dos.

Je manquai m’évanouir. Mon spécimen, celui que je voulais à tout prix ramener vivant, avait disparu. Il avait dû glisser sur le sol et s’éclipser pendant la bagarre.

« As-tu pu prendre quelque chose ? » demandai-je à Jarvis.

Il secoua négativement la tête.

Le dos de la jeune fille était couvert d’une éruption semblable à la piqûre de millions de fines épingles, là où la larve s’était fixée. Je la calai contre la paroi de la cabine. Elle était toujours inanimée et nous la laissâmes dans l’ascenseur. Nous pûmes traverser le hall pour regagner la rue sans qu’on paraisse courir après nous.

Un flic avait posé le pied sur le garde-boue de notre autavion. Il remplissait une feuille de son carnet à souches qu’il me tendit.

« C’est interdit de stationner là, me dit-il.

— Je ne savais pas », dis-je en émargeant sa feuille.

Je démarrai, évitai le plus possible les artères fréquentées et m’envolai en pleine rue, en me demandant si le flic allait ajouter ce nouveau délit sur sa feuille. Une fois à la bonne altitude, je changeai nos numéros d’immatriculation et notre code de communication.

Le Patron avait pensé à tout.

Il n’avait pas l’air trop content. J’essayai de lui faire mon rapport par téléphone en cours de route, mais il me coupa la parole et nous convoqua d’urgence aux bureaux de la Section. Nous l’y trouvâmes en compagnie de Mary. Il me laissa faire mon rapport jusqu’au bout en l’interrompant seulement de quelques grognements.

« Et vous ? demandai-je pour terminer. Qu’avez-vous pu voir ?

— La transmission a été interrompue au moment où vous avez enfoncé la barrière de l’octroi, me dit-il. Ce que le Président a vu n’a pas fait une très forte impression sur lui.

— Je m’en doute !

— Il m’a dit de te balancer.

— Je ne demande pas…, commençai-je en me raidissant un peu.

— Tais-toi, fit sèchement le Patron. Je lui ai dit qu’il pouvait me limoger moi, mais pas mes subordonnés. Tu n’es qu’un cafouilleux, mais j’ai encore besoin de toi.

— Merci. »

Mary se promenait à travers la pièce. Je voulus saisir son regard au vol, mais elle ne parut pas s’en apercevoir. Elle s’arrêta derrière la chaise de Jarvis et fit au Patron le même signe que pour Barnes.

J’assenai un coup de pistolet sur le crâne de Jarvis. Il s’affaissa dans sa chaise.

« En arrière, Davidson, cria le Patron, son pistolet braqué sur la poitrine de son subordonné. Et lui, Mary ? demanda-t-il.

— Rien d’anormal.

— Et lui ? »

Il me désignait du doigt.

« Sam est normal. »

Les yeux du Patron se posèrent sur nous. Jamais je ne m’étais senti aussi proche de la mort. « Ôtez vos chemises », ordonna-t-il sèchement.

Nous obéîmes. Mary avait raison. J’en venais à me demander si j’aurais senti la présence d’un parasite sur moi.

« À lui maintenant, commanda le Patron. Prends des gants. »

Nous allongeâmes Jarvis sur le sol et découpâmes avec précaution ses vêtements. Nous tenions enfin notre spécimen vivant.

CHAPITRE VI

Je me sentais près de vomir. L’idée de cette créature, cachée juste derrière moi, tout le temps de notre retour de l’Iowa, était plus que n’en pouvait supporter mon estomac. Je ne suis pourtant pas délicat – mais on n’arrive pas à imaginer l’effet que ces êtres peuvent vous faire, tant qu’on n’en a pas vu, en sachant bien de quoi il s’agit.

J’avalai ma salive. « Essayons de comprendre, dis-je. Nous pouvons peut-être encore sauver Jarvis. »

Je ne le pensais pas vraiment. J’avais tout au fond de moi la conviction intime qu’un homme possédé par un de ces êtres en restait marqué pour toujours.

Le Patron nous fit signe de reculer.

« Ne t’occupe pas de Jarvis !

— Mais…

— Assez ! Si on peut le sauver, cela ne lui fera pas de mal d’attendre un peu plus. Et d’ailleurs…»

Il se tut. Moi aussi. J’avais compris ce qu’il voulait dire. Un agent se remplace, mais le pays, lui, ne se remplace pas.

Son arme à la main, le Patron continuait à examiner avec méfiance la chose qui palpitait sur le dos de Jarvis. « Appelle le Président, dit-il à Mary. Code spécial 0007. »

Mary se dirigea vers le bureau. Je l’entendis parler dans l’appareil, mais toute mon attention était concentrée sur le parasite. Il ne faisait aucun mouvement pour quitter son porteur.

« Je ne peux pas l’obtenir, dit bientôt Mary. Mais j’ai un de ses aides de camp à l’appareil : Mr. MacDonough. » Le Patron fit une grimace. MacDonough est un homme aimable et intelligent, mais il n’a changé d’idée sur rien depuis vingt ans. Le Président s’en sert comme de tampon.

Le Patron se mit à vociférer, sans même prendre la peine de s’approcher du parleur.

Non, le Président n’était pas visible. Non, on ne pouvait pas lui faire parvenir de message. Non, Mr. MacDonough ne sortait pas des limites de ses attributions. Non, le Patron ne figurait pas sur la liste des exceptions prévues. En admettant, du reste, qu’une telle liste existât… Oui, Mr. MacDonough serait heureux de lui obtenir une audience. C’était une chose promise. Vendredi prochain lui conviendrait-il ? Dès aujourd’hui ? Il n’en était pas question. Demain ? Impossible.

Le Patron coupa. Il semblait friser l’apoplexie. Il respira deux ou trois fois à grands coups et ses traits se détendirent.

« Appelle-moi le docteur Graves, dit-il à Davidson. Et vous autres, tenez-vous à distance. »

Le chef du laboratoire biologique arriva bientôt.

« Docteur, dit le Patron, en voilà un qui n’est pas mort. »

Graves regarda de près le dos de Jarvis. « Très intéressant », dit-il seulement. Il mit un genou à terre.

« Reculez ! »

Graves leva la tête. « Mais il faut bien que je…

— Pas question ! Je veux que vous l’étudiiez, d’accord, mais il faut d’abord que vous me le conserviez vivant. En deuxième lieu il faut l’empêcher de s’échapper. En troisième lieu il faut vous protéger vous-même contre lui. »

Graves sourit.

« Ça ne me fait pas peur. Je…

— Il faut en avoir peur ! C’est un ordre.

— J’allais vous dire qu’il faudrait que je mette au point un incubateur pour le garder en vie après que nous l’aurons enlevé de son porteur. Il est évident que ces êtres ont besoin d’oxygène. Non pas d’oxygène libre, mais d’oxygène fourni par le porteur. Un gros chien suffirait peut-être…

— Non, dit sèchement le Patron. Laissez-le là où il est.

— Quoi ? Cet homme est volontaire ? »

Le Patron ne répondit pas.

« Tout cobaye humain doit être volontaire, insista Graves. C’est une question de conscience professionnelle. »

Ces sacrés savants ne parviennent jamais à se mettre dans la tête ce que c’est que la discipline.

« Docteur Graves, dit tranquillement le Patron, chacun de mes agents est volontaire pour ce que je juge bon de lui demander. Je vous prie d’exécuter mes ordres. Faites venir une civière. Et faites attention à vous. »

Quand ils eurent emmené Jarvis, Davidson, Mary et moi allâmes au bar prendre un drink ou deux. Nous en avions besoin. Davidson tremblait, sans pouvoir s’arrêter. Je vis que son premier drink ne le remettait pas d’aplomb.

« Tu sais, mon vieux Dave, lui dis-je, je suis aussi affligé que toi de ce qui est arrivé à ces pauvres filles… mais nous n’y pouvions rien. Mets-toi bien ça dans l’idée.