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Ils commencèrent à parler boutique ; moi, pendant ce temps-là, je regardais les gibbons.

« Monsieur Nivens, me dit bientôt Mac Ilvaine, combien de temps dure une conférence ?

— Une pariade, rectifia Vargas.

— Une conférence, répéta Mac Ilvaine. C’est l’aspect le plus important du phénomène.

— Voyons, docteur, insista Vargas, la pariade est le moyen par lequel les gènes peuvent s’échanger et la mutation se transmettre à…

— C’est là un raisonnement anthropocentrique, docteur. Vous ne savez même pas si cette forme de vie possède des gènes ! »

Vargas rougit. « Vous m’accorderez bien l’existence d’équivalents de gènes, dit-il aigrement.

— Pourquoi ? Je vous répète que votre raisonnement est fondé sur une analogie contestable. Une seule caractéristique est commune à toutes les formes de vie : c’est l’instinct de survie.

— Et de reproduction ! insista Vargas.

— Supposez que l’organisme soit immortel et n’ait pas besoin de se reproduire ?

— Mais, continua Vargas avec un haussement d’épaules, nous savons bien qu’ils se reproduisent. »

Il montrait les singes du doigt.

« Et moi, rétorqua Mac Ilvaine », je prétends qu’il ne s’agit pas forcément de reproduction ; nous avons peut-être affaire à un organisme unique qui s’étend seulement dans l’espace. Non, croyez-moi, docteur, on risque de se laisser tellement obnubiler par l’idée du cycle zygote-gamète, qu’on en oublie la possibilité d’autres schémas vitaux.

— Mais, commença Vargas, dans tout le système solaire…»

Mac Ilvaine lui coupa net la parole. « Anthropocentrisme, terrocentrisme, héliocentrisme, autant d’attitudes d’esprit bornées. Ces êtres peuvent venir d’ailleurs que du système solaire.

— Ça non ! » protestai-je.

Je venais de voir se dessiner dans ma mémoire la planète Titan, en même temps que je ressentais une impression d’étouffement.

Aucun d’eux ne m’entendit. « Prenez l’amibe, continuait Mac Ilvaine – c’est là une forme de vie plus fondamentale, plus réussie que la nôtre. Eh bien, la psychologie des motivations de l’amibe…»

Je me bouchai intérieurement les oreilles. La Constitution autorise peut-être les savants à parler de la psychologie des amibes, mais rien ne me contraint à écouter ce genre de sornettes !

Ils se livrèrent ensuite à une expérimentation directe qui les fit un peu remonter dans mon estime. Vargas fit mettre un babouin porteur de parasite dans la cage qui contenait les gibbons et les chimpanzés. Dès que le nouveau venu eut été introduit les autres se placèrent en cercle, le dos tourné à l’intérieur, et entrèrent en conférence directe, larve contre larve. Mac Ilvaine nous les montra du doigt. « Vous voyez bien ! La conférence n’est pas destinée à la reproduction, mais à l’échange des souvenirs. L’organisme temporairement divisé se réidentifie ainsi avec lui-même. »

J’aurais pu lui dire la même chose plus simplement : un « maître » qui a perdu quelque temps le contact entre en conférence directe le plus tôt possible.

« Pure hypothèse ! rugit Vargas. C’est parce qu’ils n’ont pas la possibilité de se reproduire en ce moment. Georges ! »

Il ordonna au chef des gardiens d’amener un autre singe.

« Le petit Abel ? demanda le gardien.

— Non, j’en veux un qui n’ait pas de parasite. Voyons… tenez, prenez Rougeaud.

— Oh ! docteur, dit le gardien, ne lui faites pas ça. Pauvre Rougeaud !

— Ça ne lui fera pas de mal.

— Pourquoi pas Satan ? Il est déjà mauvais comme une gale !

— Si vous voulez, mais dépêchez-vous ! »

Ils amenèrent donc Satan, un chimpanzé noir comme du jais. En temps normal, il était peut-être agressif mais pour le moment il ne le montrait guère. Ils le jetèrent dans la cage. Il se recroquevilla contre la porte et se mit à gémir. J’avais l’impression d’assister à une exécution capitale. J’étais pourtant maître de moi (on s’habitue à tout) mais l’hystérie du singe était contagieuse. J’aurais voulu fuir.

Les singes possédés commencèrent par dévisager Satan, comme un jury regarde son condamné. Cela dura un long moment. Les gémissements de Satan devinrent un grognement sourd, et il se cacha la tête dans ses mains. « Regardez, docteur, dit Vargas.

— Quoi ?

— Lucy, la vieille femelle. Là…»

Il la montrait du doigt.

Lucy était la mère des gibbons poitrinaires. Elle nous tournait le dos et nous vîmes que la larve qu’elle portait s’était ramassée sur elle-même. Une ligne iridescente qui passait par son centre la divisait.

Elle se mit bientôt à se séparer en deux comme un œuf de vivipare. En quelques minutes, la division était achevée. Une des deux larves resta accrochée à la nuque du gibbon ; l’autre descendit le long de sa colonne vertébrale. Lucy était accroupie, presque assise ; la deuxième larve glissait toujours ; elle tomba mollement sur le ciment et se mit à ramper vers Satan. Le singe laissa échapper un hurlement rauque et bondit vers le haut de la cage.

Vous me croirez si vous voulez, mais ils lui envoyèrent une délégation pour le capturer. Deux gibbons, un chimpanzé et les babouins arrachèrent Satan des barreaux, le jetèrent sur le sol et le maintinrent face contre terre.

La larve se rapprocha encore.

Elle n’était plus qu’à cinquante centimètres du singe quand elle émit, très lentement au début, une sorte de pseudopode, de tentacule flexible, qui se tordait sur le sol comme un cobra. Le tentacule se déroula dans l’air comme une mèche de fouet et toucha le singe au pied. Les autres le lâchèrent aussitôt, mais Satan ne bougea pas.

La créature se hala sur l’appendice qu’elle avait formé, s’attacha au pied de Satan, et remonta le long de son échine ; quand elle eut atteint la base de l’épine dorsale du singe, celui-ci se releva, s’ébroua et alla retrouver ses congénères.

Vargas et Mac Ilvaine se mirent à discuter avec animation, sans paraître autrement émus. Moi, j’avais envie de tout casser, de venger à la fois Satan, moi et toute l’espèce simienne.

Mac Ilvaine continuait à soutenir que nous avions affaire à une créature totalement étrangère à nos conceptions ordinaires ; à savoir, une entité intelligente, organisée de façon à être immortelle tout en conservant son identité personnelle, ou si l’on préfère, son identité de groupe. La discussion devint ensuite assez confuse. Mac Ilvaine pensait que cet être collectif devait posséder une même mémoire continue depuis son origine raciale. Il décrivait les larves comme une sorte de ver à quatre dimensions, enroulé sur lui-même dans le continuum espace-temps et ne formant qu’un seul organisme. Leur conversation devint ésotérique au point d’en être grotesque.

Moi je ne savais rien et je m’en fichais ; je ne m’intéressais aux larves que pour les détruire.

CHAPITRE XX

Par miracle le Patron était libre quand je revins à la Maison Blanche, le Président venant juste de partir pour une séance secrète des Nations Unies. Je racontai au Patron ce que j’avais vu et lui fis part de mon opinion sur Vargas et Mac Ilvaine. « On dirait des enfants en train de comparer leurs collections de timbres-poste, dis-je. Ils ne se rendent pas compte que c’est sérieux. »

Le Patron secoua la tête. « Ne les sous-estime pas, petit, me conseilla-t-il. Ils ont plus de chances que toi ou moi de trouver la vraie solution.

— Allons donc ! Ils ont surtout des chances de laisser leurs larves s’échapper.

— Ils t’ont parlé de l’éléphant ?

— Quel éléphant ? Ils ne m’ont rien dit du tout ; ils ne s’intéressaient qu’à leur conversation et ils n’ont pas daigné faire attention à moi.