Выбрать главу

— Tu ne comprends rien à l’esprit scientifique. Quant à l’éléphant, voilà : un singe possédé s’est évadé, je ne sais comment. On a retrouvé son corps foulé aux pieds dans le quartier des éléphants. Un de ceux-ci avait disparu.

— Vous voulez dire qu’un éléphant est en liberté avec un parasite sur le dos ? »

J’eus l’horrible vision d’une espèce de tank doué d’un cerveau cybernétique.

« C’était une femelle, précisa le Patron. On l’a retrouvée dans le Maryland. Elle arrachait paisiblement des choux et n’avait plus de parasite.

— Où était-il passé ? »

Involontairement, je jetai un coup d’œil autour de nous. « Un autavion a été volé dans le village voisin. À mon avis, la larve doit maintenant être quelque part à l’ouest du Mississippi.

— Quelqu’un avait disparu ? »

Il haussa les épaules. « Comment le savoir ? Nous sommes en démocratie. En tout cas, l’envahisseur ne peut pas se dissimuler sur un porteur humain en deçà de la zone rouge. »

Sa remarque me fit penser à quelque chose que j’avais vu au zoo et à quoi je n’avais pas assez réfléchi sur le moment. Je n’arrivais plus à me rappeler quoi. « Il a du reste fallu une sacrée énergie pour obtenir que tout le monde se promène le dos nu. Le Président a reçu de nombreuses protestations formulées au nom de la moralité publique. Sans parler de la chambre syndicale des bonnetiers qui n’est pas satisfaite…

— Hein ?

— À les entendre, on croirait que nous cherchons à faire la traite des Blanches avec leurs filles ! Une délégation des Filles de la République, ou de je ne sais quelle autre association de vieilles toupies, s’est même présentée à la Maison Blanche.

— Le Président perd son temps à ça, dans un moment comme celui-ci ?

— C’est MacDonough qui les a reçues. Mais il m’a raccroché au passage. »

Le Patron prit un air peiné. « Nous leur avons dit qu’elles ne pourraient voir le Président que si elles se mettaient à poil. Ça les a découragées ! »

L’idée qui me tourmentait remonta à la surface de ma mémoire. « Vous savez, Patron, que vous serez peut-être forcé d’en venir là.

— À quoi ?

— À mettre tout le monde à poil. »

Il se mordilla les lèvres. « Que veux-tu dire ?

— Sommes-nous certains que les larves ne peuvent se fixer qu’à la base du cerveau ?

— Tu dois le savoir mieux que moi.

— Je le croyais, mais je n’en suis plus aussi sûr. C’était en tout cas comme cela que la chose se passait quand… euh… enfin quand j’étais avec eux…»

Je lui racontai plus en détail ce qui s’était passé en ma présence quand Vargas avait livré le pauvre Satan aux larves. « Le singe s’est relevé dès que la larve a atteint la base de son épine dorsale. Je suis sûr qu’elles préfèrent se fixer le plus près possible du cerveau, mais elles pourraient peut-être s’installer dans le pantalon du porteur et pousser un pseudopode jusqu’à l’extrémité de sa moelle épinière.

— Oui… Si tu t’en souviens, petit, la première fois où j’ai fouillé un groupe de personnes je les ai toutes fait se déshabiller complètement. Ce n’était pas par hasard.

— Je crois que vous avez bien fait. Ces créatures doivent pouvoir se fixer à n’importe quel endroit du corps. Tenez, voyez ce short flottant que vous portez ; il pourrait s’en cacher une dedans. Vous auriez l’air d’avoir le postérieur un peu rebondi et voilà tout.

— Tu veux que je me déculotte ?

— Je vais faire mieux encore. Voilà comment je travaillais à Kansas City ! »

Je plaisantais, mais je n’en saisis pas moins à pleine main la rotondité de son pantalon pour bien m’assurer qu’il était indemne. Il se soumit de bonne grâce à ce traitement, après quoi il me rendit la pareille.

« Nous ne pouvons quand même pas nous balader dans la rue en tâtant la croupe de toutes les femmes que nous rencontrerons, gémit-il.

— Il le faudra bien, dis-je. Ou alors tout le monde devra se foutre à poil.

— Nous ferons des expériences, promit-il.

— Comment cela ? demandai-je.

— Tu te souviens de notre armure protectrice ? Ça ne sert pas à grand-chose, sinon à donner à celui qui la porte une impression de sécurité. Je dirai au docteur Horace de prendre un singe et de lui mettre une armure du même genre en la modifiant de manière qu’une larve ne puisse atteindre que, disons, ses pattes par exemple. Nous verrons bien ce qui se passera. On pourra aussi varier les zones.

— Euh… oui… Mais ne vous servez pas de singes, Patron.

— Pourquoi pas ?

— C’est que… Ils sont trop humains, voyez-vous…

— Sacrebleu, mon petit, on ne fait pas d’omelettes…

— Sans casser des œufs… je sais. Mais ça ne me fait pas aimer les omelettes pour autant. »

CHAPITRE XXI

Je passai les quelques jours qui suivirent à faire des exposés aux grosses huiles de l’état-major, à répondre à des questions stupides sur les mœurs familières des envahisseurs, et à expliquer comment on devrait s’attaquer à un homme possédé. J’étais devenu un expert patenté, mais, la plupart du temps, mes élèves semblaient convaincus qu’ils en savaient plus que moi sur les larves.

Les créatures tenaient toujours la zone rouge, mais elles ne pouvaient en sortir sans se faire repérer – du moins nous l’espérions. Nous dûmes renoncer à l’envahir une seconde fois, chaque larve retenant en otage un de nos concitoyens. L’O.N.U. ne nous fut d’aucun secours. Le Président aurait voulu étendre le plan « Dos nu » au monde entier, mais on tergiversa si bien que la question fut renvoyée pour étude à une commission. La vérité est que l’O.N.U. ne voulait pas nous croire ; c’était là une des grandes supériorités de l’ennemi. Pour croire au feu il faut s’être déjà brûlé.

Quelques nations étaient protégées contre l’invasion par leurs coutumes. Un Finlandais qui ne prendrait pas tous les jours ou presque son bain de vapeur en société se ferait remarquer. Les Japonais se déshabillent eux aussi facilement en public. Pour des raisons évidentes, les îles du Pacifique étaient relativement à l’abri du fléau ainsi que de grandes parties de l’Afrique. Dès la fin de la troisième guerre mondiale, la France s’était adonnée au nudisme avec enthousiasme, au moins pour les week-ends, et il aurait été difficile à une larve de s’y dissimuler. Mais dans les pays où le tabou de la pudeur avait gardé son pouvoir, une larve pouvait passer inaperçue jusqu’à la mort de son porteur. Cela valait pour les États-Unis, le Canada et l’Angleterre – l’Angleterre surtout.

On expédia à Londres par avion trois larves chevauchant des singes. J’ai entendu dire que le roi voulait donner l’exemple à son peuple comme l’avait fait notre Président, mais que le premier ministre, poussé par l’archevêque de Canterbury, s’y opposa. L’archevêque n’avait même pas pris la peine de regarder les larves, la moralité de ses ouailles lui ayant semblé plus importante que n’importe quel péril temporel. Les journaux et les actualités n’en soufflèrent mot, et l’anecdote est peut-être fausse, mais en tout cas, les Anglais n’exposèrent pas leur peau aux regards critiques de leurs voisins.

La machine de propagande des Russes ne tarda pas à se répandre en invectives contre nous, dès qu’ils eurent mis leur nouvelle tactique au point. Toute l’affaire fut qualifiée d’invention des impérialistes américains. Je me demandai en passant pourquoi les larves ne s’étaient pas d’abord attaquées à la Russie : c’était un pays qui leur serait allé comme un gant. À la réflexion je me demandai si elles ne l’avaient pas fait. En réfléchissant davantage encore, je me demandai quelle différence cela aurait pu faire de toute façon !