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Pendant cette période, je ne vis pas du tout le Patron ; je recevais mes consignes par l’intermédiaire d’Oldfield, son adjoint. En conséquence, lorsque Mary fut relevée de sa mission auprès du Président, je ne le sus pas. Je la rencontrai dans le bar du Service. « Mary ! » criai-je en manquant de m’étaler dans ma hâte de courir vers elle.

Elle m’adressa un de ses doux et lents sourires et s’approcha de moi.

« Bonjour, chéri », murmura-t-elle, sans me demander ce que j’étais devenu ni me reprocher de ne pas être resté en liaison avec elle, ni même remarquer que le temps lui avait paru long.

Mary ne s’occupait jamais de ce qui ne la regardait pas. Mais moi, je ne suis pas fait comme ça.

« C’est épatant, balbutiai-je. Je croyais que vous continuiez à border tous les soirs le Président dans son lit. Cela fait longtemps que vous êtes revenue ? Quand repartez-vous ? Est-ce que je peux vous offrir quelque chose à boire ? Non, c’est vrai, vous avez déjà un drink…»

J’allais m’en commander un au distributeur automatique quand un verre se posa dans ma main comme par magie.

« Ça, par exemple ! D’où vient-il ?

— Je vous l’avais commandé en vous voyant entrer.

— Mary, est-ce que je vous ai déjà dit que vous étiez formidable ?

— Non.

— Dans ce cas, c’est le moment : vous êtes formidable !

— Merci.

— Pour combien de temps êtes-vous libre ? continuai-je. Vous ne pourriez pas obtenir une petite permission ? Ils ne peuvent pas exiger que vous soyez à leur disposition vingt-quatre heures par jour, pendant des mois. Je vais aller trouver le Patron et lui dire…

— Mais je suis en permission, Sam…

— … Lui dire ce que je pense de… Quoi ?

— Je suis déjà en permission.

— Non ? Pour combien de temps ?

— Jusqu’à ce qu’on me rappelle. Toutes les permissions sont révocables maintenant.

— Mais… Depuis combien de temps êtes-vous en permission ?

— Depuis hier. Je suis restée là à vous attendre.

— Depuis hier ! »

Et moi qui avais passé la journée précédente à faire des discours dignes d’un jardin d’enfants à des huiles qui ne voulaient rien entendre… Je me levai.

« Ne bougez pas, je reviens tout de suite. »

Je me précipitai au bureau des opérations. Oldfield leva la tête à mon entrée. « Qu’est-ce que tu veux ? dit-il d’un ton bougon.

— Chef, c’est à propos de cette série de contes de fées que je dois leur débiter : il vaut mieux tout annuler.

— Pourquoi ?

— Je suis malade. J’ai droit depuis longtemps à un congé de maladie. Il faut que je le prenne.

— C’est ta tête qui est malade !

— Exactement. J’ai la tête malade. J’entends des voix. On me suit partout. Je rêve toutes les nuits que je suis repris par les titans. »

Ce dernier détail était du reste exact.

« Depuis quand est-ce un handicap chez nous d’être cinglé ? »

Il attendit pour voir ce que je pourrais répliquer.

« Alors, dis-je, cette permission, vous me la donnez ? »

Il tripota quelques papiers sur son bureau, en choisit un et le déchira. « O.K., dit-il. Mais ne te sépare pas de ton téléphone. Tu peux être rappelé d’un moment à l’autre. File. »

Je filai. Mary leva la tête en me voyant entrer et me gratifia une deuxième fois de son beau sourire chaleureux. « Prenez vos affaires, dis-je, nous partons. »

Elle ne demanda pas où et se leva docilement. Je saisis mon verre, avalai un peu de son contenu et renversai maladroitement le reste. Nous nous retrouvâmes sur le trottoir avant d’avoir dit un mot.

« Et maintenant, où voulez-vous qu’ait lieu le mariage ? demandai-je.

— Mais, Sam, nous avons déjà discuté cette question…

— Je le sais bien, mais maintenant il s’agit de passer aux actes. Où allons-nous ?

— Sam, mon chéri, je ferai ce que vous voudrez, mais je continue à croire que vous avez tort.

— Pourquoi ?

— Allons chez moi, Sam. Je voudrais vous préparer moi-même à dîner.

— C’est bien facile, mais ça ne se passera pas chez vous. Et nous serons mariés d’abord.

— Je vous en prie, Sam…»

Une petite voix me disait : « Continue, petit ! Elle faiblit. » Je jetai un coup d’œil autour de moi et m’aperçus que nous intéressions vivement les badauds.

« Vous n’avez donc rien à foutre ? dis-je avec colère en décrivant un grand cercle avec mon bras. Vous feriez mieux d’aller vous saouler la gueule !

— Moi je trouve qu’il devrait écouter la petite », dit quelqu’un.

J’empoignai Mary par le bras et n’ouvris plus la bouche avant de l’avoir embarquée dans un taxi.

« Bon, dis-je rudement. Voyons vos raisons. Pourquoi ai-je tort ?

— Pourquoi nous marier, Sam ? Je vous appartiens, vous n’avez pas besoin de contrat.

— Pourquoi ? Mais nom de Dieu parce que je vous aime ! »

Pendant un moment elle resta silencieuse, et je crus l’avoir blessée. Mais quand elle parla de nouveau, j’entendis à peine le son de sa voix. « Vous ne me l’aviez jamais dit, Sam…

— Jamais dit ? Oh ! sûrement si…

— Non, je suis sûre que vous ne me l’avez pas dit. Pourquoi ?

— Euh… je ne sais pas. Ce doit être un oubli. Je ne sais pas très bien ce que le mot “amour” signifie.

— Moi non plus, dit-elle doucement, mais j’aime vous l’entendre prononcer. Dites-le encore, voulez-vous ?

— Quoi ? Ah ! oui… O.K. Je vous aime, Mary, je vous aime…

— Oh ! Sam ! »

Elle se serra contre moi et se mit à trembler. Je la secouai gentiment.

« Et vous ?

— Moi ? Oh ! moi je vous aime aussi, Sam. Je vous ai aimé depuis le premier jour où…

— Quel jour ? »

Je m’attendais à lui entendre dire qu’elle m’avait aimé depuis le jour où j’avais pris sa place dans l’opération « Interview ».

« Depuis le jour où vous m’avez giflée », dit-elle à ma grande surprise.

Ah ! la logique féminine !

Le chauffeur nous promenait lentement le long de la côte du Connecticut. Je dus le réveiller pour le faire atterrir à Westport, et nous allâmes droit à la mairie. Je m’adressai à un guichet du bureau des licences. « Pour se marier, c’est ici ? dis-je à l’employé.

— Si ça vous chante, répliqua-t-il. Les permis de chasse à droite, les permis de chiens à gauche. Ici c’est le moyen terme.

— Parfait, dis-je sèchement. Voulez-vous m’établir une licence ?

— Bien sûr. Tout le monde devrait se marier au moins une fois ; c’est ce que je dis toujours à ma femme. »

Il prit une formule. « Vos numéros d’immatriculation, s’il vous plaît. »

Nous les lui donnâmes.

« Êtes-vous l’un ou l’autre déjà mariés dans un autre État ? »

Nous lui dîmes que non.

« Vous en êtes bien sûrs ? continua-t-il. Si vous ne me le dites pas, et si je n’en fais pas mention dans votre contrat, il sera nul. »

Nous lui répétâmes que nous n’avions jamais été mariés nulle part.

« Et pour la durée, continua-t-il, qu’est-ce que je marque ? Renouvelable, ou à vie ? Si c’est pour moins de six mois, vous n’avez pas besoin de ce papier ; adressez-vous au distributeur, là en face, pour avoir une formule abrégée.