« Pas la peine, madame, dit aimablement le flic. Bâtis comme ils sont, ça se verrait. Tournez-vous lentement, ça suffira.
— Merci », dit Mary qui s’exécuta.
Le flic avait raison : le bikini de Mary la moulait comme si on le lui avait peint à même la peau.
« Et ces bandes ? remarqua le premier flic.
— Elle s’est gravement brûlée, répondis-je. Vous le voyez bien. »
Il regarda d’un air dubitatif les pansements plutôt mal fichus que j’avais faits à Mary. « Hum…, dit-il, est-ce bien vrai ?
— Puisque je vous le dis ! »
Je commençais à perdre patience. J’étais l’incarnation parfaite du mari jaloux qui perd tout bon sens dès qu’il s’agit de sa femme. « Enfin, regardez ses cheveux, bon Dieu ! Croyez-vous qu’elle aurait abîmé des cheveux pareils, pour le plaisir de vous attraper ?
— Ils n’en sont pas à ça près, dit le premier flic d’un air sombre.
— Cari a raison, dit l’autre. Je regrette, madame, mais il faut que nous voyions ce qu’il y a là-dessous.
— C’est impossible, protestai-je au comble de l’énervement. Nous allons chez un médecin. Vous ne ferez que…
— Aide-moi, Sam », dit simplement Mary.
Je me tus et soulevai un coin du pansement. Mes mains tremblaient de rage. Le plus vieux des deux flics laissa échapper un petit sifflement. « Pour moi, ça va. Qu’est-ce que tu en dis, Carl ?
— Pour moi aussi. Qu’est-ce qu’il vous est donc arrivé, ma petite dame ?
— Dis-le-leur, Sam.
— Vous vous en êtes bien tirés, remarqua le plus âgé des flics quand j’eus fini. Soit dit sans vous offenser. Alors maintenant c’est des chats ? Pour les chiens, ça je savais. Les chevaux, d’accord. Mais on ne croirait pas qu’un chat aurait pu avoir de ces saletés-là. Nous qui avions un chat, maintenant va falloir qu’on s’en débarrasse. Ça ne va pas faire plaisir aux gosses.
— Je suis navrée, dit Mary.
— Que voulez-vous, les temps sont durs pour tout le monde. C’est bon, vous pouvez passer.
— Attendez une minute, dit le premier. Tu sais, Ski, si elle se balade dans les rues avec ces machins-là sur le dos, elle a bien des chances de se faire descendre. »
L’autre se gratta le menton. « Ça, c’est vrai, dit-il. Va falloir qu’on vous dégotte un panier à salade. »
C’est ce qu’ils firent. Je réglai la location de mon vieux clou d’autavion et accompagnai Mary jusqu’à l’entrée de la Section qui lui avait été assignée par le Patron. Elle se trouvait dans un hôtel, et on y accédait par un ascenseur particulier. J’y montai avec elle pour éviter des explications inutiles, mais en sortis après qu’elle eut quitté l’ascenseur un étage plus bas que les boutons de manœuvre visibles ne le laissaient prévoir. J’avais bien envie de rentrer avec elle, mais le Patron m’avait enjoint de passer par l’entrée K 5.
J’avais aussi bien envie de remettre mon short. Dans le panier à salade, et au cours du bref trajet que nous avions fait pour gagner la porte de service de l’hôtel, entourés d’un groupe de policiers qui évitaient ainsi à Mary de se faire tirer dessus à vue, ma nudité m’avait été à peu près indifférente. Mais il faut un sacré courage pour affronter le monde seul et sans pantalon.
J’avais bien tort de m’en faire, du reste. Je constatai vite qu’une des coutumes les mieux ancrées de notre civilisation s’était évaporée avec les neiges du dernier hiver. La plupart des hommes portaient des slips comme j’en avais vu aux flics, mais je n’étais pas le seul, tant s’en fallait, à me balader complètement à poil. Je me souviens notamment d’un homme qui s’appuyait contre un pilier du couvre-rue et examinait tous les passants d’un œil glacé. Pour tout vêtement, il n’avait : que des sandales, un brassard portant les trois lettres « VIG » et une mitraillette Owens. J’en vis encore trois autres pareils et me félicitai de porter mon short sur mon bras.
Peu de femmes étaient entièrement nues, mais avec leurs soutiens-gorge à cordonnets et leurs slips translucides, cela revenait au même. Jamais une larve n’aurait pu se cacher là-dedans. La plupart du reste eussent été plus à leur avantage en toge. Telle fut du moins ma première impression, mais elle ne tarda pas à se dissiper aussi. Très rapidement on finissait par ne pas faire plus attention à la laideur des corps qu’à celle des taxis. L’œil ne la remarquait plus. Il semblait en être de même pour tous les passants qui avaient apparemment acquis une totale indifférence. Après tout, de la peau n’est jamais que de la peau.
On m’introduisit aussitôt auprès du Patron. Il leva la tête.
« Tu es en retard, grogna-t-il.
— Où est Mary ? demandai-je.
— À l’infirmerie. On la soigne pendant qu’elle dicte son rapport. Fais voir tes mains.
— Merci bien, je préfère les montrer au médecin ! Qu’est-ce qui se passe ?
— Si tu te donnais quelquefois la peine d’écouter les informations, tu le saurais. »
CHAPITRE XXIV
Je me féliciterai toujours de ne pas avoir écouté d’informations pendant notre lune de miel, car elle aurait été étouffée dans l’œuf. Pendant que nous nous congratulions sur nos qualités respectives, la guerre avait bien failli être perdue. J’avais eu raison de soupçonner les envahisseurs de pouvoir se fixer sur n’importe quelle partie du corps humain tout en continuant à contrôler les actions de leurs porteurs. Quoique je n’aie pas eu connaissance du rapport scientifique établi sur ce point, des expériences l’avaient prouvé, avant même que Mary et moi ne partions nous enterrer dans la montagne. Le Patron devait être au courant. En tout cas, le Président et les autres grosses légumes le savaient.
C’est pourquoi le plan « Bain de soleil » avait succédé au plan « Dos nu ». Et tout le monde s’était docilement fichu à poil.
C’est du moins ce qui aurait dû se passer. La question était déjà considérée comme ultra-secrète au moment de l’émeute de Scranton. Ne me demandez pas pourquoi ! Notre gouvernement a pris l’habitude de nous juger trop jeunes pour savoir tout ce que nos politiciens et bureaucrates omniscients considèrent comme secret. C’est une forme de paternalisme. L’émeute de Scranton aurait dû convaincre tout le monde que les larves s’étaient infiltrées dans la zone verte mais elle ne suffit cependant pas à faire appliquer le plan « Bain de soleil ».
La fausse alerte aérienne de la côte est eut lieu, je crois, le troisième jour de notre lune de miel ; il fallut un certain temps pour saisir ce qui s’était passé, quoiqu’il fût bien évident que la foudre n’avait pu tomber accidentellement sur tant d’abris à la fois. J’ai encore le frisson quand je repense à tous ces gens blottis dans l’obscurité en attendant le signal de fin d’alerte, pendant que les esclaves des « maîtres » se glissaient au milieu d’eux pour leur coller des larves sur le dos. Dans certains abris, le pourcentage de recrutement semble avoir été de 100 pour 100.
Le lendemain, il y eut d’autres émeutes. Nous étions entrés dans la Terreur. À proprement parler, la vague de lynchages prit naissance lorsqu’un citoyen aux abois voulut tirer sur un flic. Il s’appelait Maurice T. Kaufman et habitait Albany ; le flic était un certain Malcolm Mac Donald. Kaufman mourut une demi-seconde plus tard et Mac Donald le suivit de près, ainsi que son titan, tous deux ayant été mis en pièces par la foule. Mais les vigilants ne prirent vraiment de l’importance que lorsque les chefs d’îlot organisèrent le mouvement.
Les chefs d’îlot, se trouvant à leur poste de guet au-dessus du niveau du sol, pendant les pseudo-raids aériens avaient en majorité échappé au coup de filet – mais ils sentaient leur responsabilité en jeu. Certes, tous les vigilants n’étaient pas des chefs d’îlot – mais quand on croisait dans la rue un homme armé et complètement nu, il avait autant de chances de porter l’insigne de chef d’îlot qu’un brassard « VIG ». De toute manière, on pouvait s’attendre à le voir tirer sur toute excroissance anormale apparue sur le corps humain. Ils tiraient d’abord et vérifiaient après.