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— Très volontiers. »

Il se révéla qu’il n’avait vraiment besoin que du colonel Hazelhurst. Nous passâmes donc dans la salle voisine, Mary, les deux spécialistes et moi.

La salle d’opération contenait un divan entouré de chaises. La double trompe d’une caméra à trois dimensions pendait d’une potence au-dessus du divan. Mary alla s’y allonger. Le docteur Steelton prit une seringue.

« Nous allons essayer de repartir de l’endroit où nous en étions restés, madame Nivens.

— Un instant, dis-je. Vous avez des enregistrements des séances précédentes ?

— Bien entendu.

— Passez-les donc d’abord. Je veux être au courant de tout. »

Il hésita un instant. « Si vous voulez, dit-il enfin, Madame Nivens, voulez-vous nous attendre dans mon bureau ? À moins que vous ne préfériez que je vous envoie chercher un peu plus tard ?…»

C’était sans doute l’esprit de contradiction qui me faisait agir, mais cela m’avait remonté de résister au Patron. « La première chose à faire serait peut-être de lui demander si elle veut s’en aller », remarquai-je.

Steelton parut surpris. « Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous proposez là. Ces enregistrements seraient très pénibles à votre femme sur le plan émotif – peut-être même dangereux.

— C’est une thérapeutique bien contestable, jeune homme, intervint Hazelhurst.

— Il ne s’agit pas de thérapeutique et vous le savez très bien, répliquai-je. Si vous aviez eu des intentions thérapeutiques, vous auriez employé des procédés de rappel eidétiques et non des soporifiques. »

Steelton parut gêné. « Nous n’en avions pas le temps, dit-il. Il a fallu recourir à des méthodes grossières, pour obtenir des résultats rapides. Je ne suis pas certain que j’aie le droit d’autoriser le sujet à voir ces enregistrements.

— Je suis tout à fait de votre avis », ajouta Hazelhurst.

Je fis brusquement explosion. « Vous, on ne vous a pas demandé votre avis et vous n’avez rien à dire, nom de Dieu. Ces enregistrements ont bien été extorqués au cerveau de ma femme ? C’est à elle qu’ils appartiennent. J’en ai assez de vous voir tous jouer aux dictateurs. C’est un genre qui me déplaît chez les larves et qui ne me plaît pas plus chez les hommes. Ce sera elle qui décidera. Demandez-lui ce qu’elle veut.

— Madame Nivens, dit Steelton, souhaitez-vous voir ces enregistrements ?

— Oh ! oui, docteur, très vivement », répondit Mary.

Il parut étonné. « Euh… mais certainement… Voulez-vous les voir seule ?

— Je les verrai avec mon mari. Vous pouvez rester avec le docteur Hazelhurst, si vous voulez. »

C’est ce qu’ils firent. Un lot de bobines fut bientôt apporté chacune avec une étiquette qui lui attribuait une date et un âge différents. Il aurait fallu des heures pour les parcourir toutes et j’éliminai celles qui se rapportaient à la vie de Mary après 1991 car elles ne pouvaient guère avoir d’intérêt du point de vue qui nous occupait.

Nous commençâmes par sa toute petite enfance. Chaque enregistrement montrait d’abord le sujet (Mary) suffoquant, gémissant, se débattant comme il arrive toujours quand on vous force à remonter malgré vous un courant mnémonique.

Après venait la reconstitution de son passé, où sa voix se mêlait à d’autres. Ce qui me surprit le plus, ce fut l’expression de Mary dans le bac. Nous en avions réglé l’agrandissement de façon que l’image stéréoscopique paraisse presque à portée de la main, et nous pouvions suivre chacune de ses expressions dans ses moindres détails.

Son visage devint d’abord celui d’une petite fille. Oh ! bien sûr, ses traits étaient toujours ceux d’un adulte, matériellement parlant, mais je savais que je voyais ma chérie telle qu’elle devait paraître quand elle était toute petite. Cela me fit désirer avoir une fille.

Puis son expression changea, en s’adaptant aux divers personnages surgis de sa mémoire au fur et à mesure qu’elle les évoquait. C’était comme si l’on avait assisté à un excellent numéro d’imitateur.

Mary restait très calme, mais sa main s’était glissée dans la mienne. Quand nous en arrivâmes à cet horrible moment où ses parents s’étaient transformés, cessant d’être ses parents pour devenir les esclaves des larves, elle me serra plus fort les doigts sans perdre sa maîtrise d’elle-même.

Je laissai de côté les bobines marquées : « Période d’animation suspendue » et passai au groupe relatif à son sauvetage des marais.

Une chose était sûre : une larve l’avait possédée sitôt qu’elle avait été réanimée. Cet air de morte-vivante que je lui voyais était bien celui qu’ont tous les esclaves quand leurs « maîtres » ne se donnent plus la peine de se camoufler. Les stéréos de la zone rouge avaient reproduit des images analogues à des milliers d’exemplaires. Cela était encore confirmé par son absence presque totale de souvenirs pour cette période.

Puis, tout à coup, elle cessa d’être possédée. Elle était redevenue une petite fille, très malade et très effrayée. Ses souvenirs étaient d’une nature quasi délirante. Finalement, une nouvelle voix retentit, haute et claire : « Sacré nom d’un chien. Regarde donc, Pete : c’est une petite fille ! » « Vivante ? » demanda une autre voix. « Je n’en sais rien », répliqua la première. La bobine nous conduisit ensuite à Kaiserville, à la guérison de Mary, à une foule d’autres souvenirs et d’autres voix. Bientôt elle s’arrêta.

« Je vous conseillerais de repasser un autre enregistrement de la même période, dit le docteur Steelton en sortant la bobine du projecteur. Ils sont tous légèrement différents et cette période constitue la clé de tout le problème.

— Pourquoi donc, docteur ? demanda Mary.

— Pardon ? Bien entendu, je ne vous y oblige pas si vous n’y tenez pas, mais cette période est justement celle sur laquelle porte notre enquête. Il faut que nous reconstituions ce qui est arrivé aux parasites quand ils sont morts. Si nous pouvions savoir de quoi est mort celui qui vous… euh… possédait avant qu’on ne vous retrouve, pourquoi il est mort, et pourquoi vous avez survécu, nous aurions peut-être l’arme que nous cherchons.

— Comment, demanda Mary, vous ne le savez pas ?

— Non, pas encore, mais nous le saurons. La mémoire de l’homme est un film étonnamment fidèle.

— Mais je pensais que vous le saviez. C’est la “fièvre neuvaine” que j’ai eue.

— Quoi ? »

Hazelhurst s’était levé d’un bond.

« Vous ne l’avez donc pas reconnu à ma figure ? Le faciès est pourtant bien caractéristique. Chez moi – à Kaiserville veux-je dire – c’était moi qui soignais les malades atteints de cette infection parce que je l’avais déjà eue et que j’étais immunisée.

— Qu’en dites-vous, docteur ? demanda Steelton. Vous en avez déjà vu des cas ?

— Si j’en ai vu ? Non. À l’époque de la deuxième expédition, on possédait déjà le vaccin. Bien entendu j’en connais les manifestations cliniques.

— Mais d’après l’enregistrement, pouvez-vous vous prononcer ?

— Ma foi, dit Hazelhurst avec précaution, je dirais que ce que nous avons vu corrobore assez bien l’hypothèse, mais que ce n’est pas absolument concluant.

— Qu’est-ce qui n’est pas concluant ? demanda sèchement Mary. Je vous dis que c’était la “fièvre neuvaine”.

— Il faut que nous en soyons sûrs, dit Steelton comme pour s’excuser.

— Comment voulez-vous en être plus sûrs ? Cela ne fait pas de question. On m’a toujours dit que je l’avais quand Pete et Frisco m’ont trouvée. Plus tard, j’ai soigné ceux qui l’avaient et je ne l’ai jamais attrapée. Je me souviens de leurs visages quand ils allaient mourir… J’ai exactement la même expression sur les films. Quand on en a vu un cas, il est impossible de s’y tromper. Que voulez-vous de plus ? Un signe dans le ciel ? »