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Je n’avais jamais vu Mary si près de se mettre en colère sauf une fois. Gare, me dis-je tout bas, ça va barder !

« Je crois, chère madame, que voilà un point d’acquis, reconnut Steelton. Mais dites-moi donc : nous pensions que vous n’aviez gardé aucun souvenir conscient de cette période et l’interrogatoire que je vous ai fait subir l’a confirmé. Or, maintenant vous parlez comme si c’était l’inverse. »

Mary parut surprise. « Maintenant je m’en souviens très bien. Je n’y avais pas pensé depuis bien des années.

— Je crois comprendre. »

Il se tourna vers Hazelhurst. « Alors, docteur ? Possédons-nous des cultures de cette fameuse fièvre ? Vos équipes ont-elles travaillé là-dessus ? »

Hazelhurst semblait pétrifié. « Travaillé là-dessus ? Bien sûr que non ! La question ne se pose pas. La fièvre neuvaine, pensez donc ! Autant nous servir de la poliomyélite ou du typhus ! C’est comme si on soignait un ongle incarné à coups de hache. »

Je posai la main sur le bras de Mary. « Allons-nous-en, chérie. Je crois que nous avons fait assez de dégâts comme cela. »

Elle tremblait et ses yeux étaient pleins de larmes. Je l’emmenai dans la salle du mess pour lui administrer une médication systématique à base d’alcool vieux.

Un peu plus tard, je mis Mary au lit pour une petite sieste réparatrice et attendis à côté d’elle qu’elle se fût endormie. J’allai ensuite chercher mon père dans le bureau qui lui avait été assigné. « Ça va ? » dis-je.

Il me regardait d’un air songeur. « Alors, Élisée, il paraît que tu as gagné le gros lot ?

— J’aime mieux que vous m’appeliez Sam, dis-je.

— Si tu veux. Le succès porte en lui sa propre justification, mais le gros lot semble être assez décevant. La fièvre neuvaine ? Je comprends maintenant pourquoi toute la colonie a disparu et les larves en même temps qu’elle. Je ne vois pas comment nous pourrions utiliser cette saleté-là. Nous ne pouvons pas espérer rencontrer chez tout le monde la même indomptable volonté de vivre que chez Mary. »

Je comprenais bien ce qu’il voulait dire. Dans plus de 98 pour 100 des cas, cette fièvre est mortelle chez l’homme non immunisé. En revanche, chez les sujets vaccinés, le taux de mortalité tombe à zéro. Mais cela ne nous avançait pas à grand-chose. Il nous fallait un microbe qui rende l’homme malade, tout en tuant la larve. « Je ne vois pas que cela ait beaucoup d’importance, lui fis-je remarquer. Il y a tout à parier qu’avant six semaines vous aurez du typhus ou de la peste, ou des deux à la fois d’un bout de la vallée du Mississippi à l’autre.

— À moins que les parasites instruits par leur expérience d’Asie ne prennent des mesures sanitaires rigoureuses », répliqua-t-il.

Cette idée me surprit tant que je n’entendis qu’à moitié sa phrase suivante.

« Non, Sam, disait-il, il faudra que tu trouves mieux.

— Que je trouve mieux ? Mais ce n’est pas moi le Patron !

— Jusqu’à aujourd’hui non ; maintenant si.

— Hein ? Qu’est-ce que vous me chantez ? Je ne dirige rien du tout et je n’y tiens pas du reste. Le Patron, c’est vous. » Il secoua la tête. « Le Patron, c’est celui qui donne les ordres et qui les fait exécuter. Les titres et les insignes ne viennent qu’après. Dis-moi : penses-tu qu’Oldfield pourrait jamais me remplacer ? »

Je secouai la tête ; le principal adjoint de papa est le type du parfait exécutant, mais pas de celui qui conçoit les plans. « Je ne t’ai jamais donné d’avancement, continua-t-il, parce que je savais que le moment venu tu t’en donnerais toi-même. Maintenant c’est chose faite : tu as passé outre à ma décision sur une question importante, tu m’as forcé à adopter ton point de vue et les événements t’ont donné raison.

— Allons donc ! Je me suis entêté et j’ai joué le tout pour le tout. Vous autres, grands cerveaux, vous n’avez jamais eu l’idée que vous oubliiez de consulter le meilleur expert des questions vénusiennes que vous aviez sous la main – à savoir Mary. Mais je n’espérais pas découvrir quelque chose. J’ai eu de la chance, un point c’est tout. »

Il secoua la tête. « Je ne crois pas à la chance, Sam. La chance n’est qu’un mot par lequel les médiocres croient expliquer la réussite des génies. »

Je posai mes mains sur son bureau et me penchai vers lui.

« O.K. Je suis un génie, soit. Mais ne comptez pas sur moi pour m’appuyer vos corvées. Quand toute cette histoire sera terminée, Mary et moi allons partir dans les montagnes. Nous élèverons des chats et des gosses. Je n’ai pas l’intention de passer ma vie à diriger des agents secrets à moitié cinglés. »

Il me sourit doucement.

« Je n’en veux pas de votre poste, entendez-vous ?

— C’est ce que le diable a dit à Dieu après l’avoir détrôné ! Ne prends pas ça si à cœur, Sam. Pour le moment, je garderai le titre. En attendant, quelles sont vos intentions, monsieur ? »

CHAPITRE XXXI

Le pis, c’est qu’il était sérieux. Je m’efforçai de faire le mort, mais cela ne servit à rien. Une conférence, au niveau le plus élevé, fut convoquée l’après-midi même – j’en fus avisé, mais je ne m’y rendis pas. Bientôt une petite W.A.C., très polie, vint me dire que le commandant m’attendait et me pria de le rejoindre.

J’y allai donc et tâchai de ne pas me mêler à la discussion. Mais mon père a une méthode toute personnelle pour diriger une réunion, même s’il ne la préside pas : il se contente de regarder d’un air anxieux celui qu’il veut entendre. C’est une manœuvre habile, car le reste des assistants ne se rend pas compte qu’on le manœuvre.

Mais moi je savais ce qu’il en était. Quand tous les yeux sont tournés vers vous, il est plus facile de donner son avis que de se taire. D’autant plus que, pour une fois, je constatais que j’en avais un !

On gémit d’abord abondamment sur l’impossibilité où l’on se trouvait d’utiliser la fièvre neuvaine. Les larves en mourraient, certes, mais les Vénusiens eux-mêmes en meurent et on peut les couper en deux sans les tuer ! Seulement cela représentait aussi une mort certaine pour tous les humains – ou presque. J’avais épousé quelqu’un qui en avait réchappé, mais l’immense majorité était sûre d’en mourir. La fièvre durait de sept à dix jours une fois le microbe contracté ; après cela, rideau.

« Vous dites, monsieur Nivens ? »

C’était le général, commandant en chef qui s’adressait à moi. Je n’avais rien dit du tout, mais les yeux de papa s’étaient arrêtés sur moi ; il attendait.

« Il me semble qu’un grand pessimisme s’est fait jour à cette conférence, dis-je, et aussi que bien des avis exprimés se fondent sur des hypothèses. Ces hypothèses peuvent être erronées.

— Par exemple ? »

N’ayant pas d’exemple présent à l’esprit, je tirai au jugé.

« Tenez, par exemple, j’entends constamment parler de la fièvre neuvaine comme si cette caractéristique d’une évolution de neuf jours était un fait absolu. Or c’est faux. »

La plus grosse légume de la conférence haussa les épaules avec impatience. « Ce n’est qu’un terme commode. En moyenne la maladie dure bien neuf jours.

— Oui, certes, mais comment savez-vous qu’elle dure neuf jours pour une larve ? »

Le murmure qui accueillit cette remarque me prouva que je venais une fois encore de décrocher le gros lot.

On me pria d’expliquer pourquoi je supposais que la fièvre pouvait avoir une évolution différente chez les larves et quelle importance cela pouvait présenter. Je fonçai dans le brouillard. « En ce qui concerne le premier point, dis-je, dans le seul cas dont nous ayons connaissance, la larve est morte en moins de neuf jours – beaucoup moins de neuf jours même. Ceux d’entre vous qui ont vu les enregistrements des séances d’hypnose auxquelles s’est soumise ma femme – et je suis enclin à penser que vous n’avez été que trop nombreux à les voir – savent que son parasite l’avait quittée bien avant la crise du huitième jour, sans doute parce qu’il s’était détaché et était mort. Si les expériences confirment cette supposition, le problème devient tout différent. Un homme atteint de la fièvre pourrait être débarrassé de sa larve en… mettons quatre jours. Cela nous laisserait cinq jours pour le retrouver et le guérir. »