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— J’arrive. »

Je sortis de l’immeuble en coup de vent, et sans perdre de temps en discours, je pris mes jambes à mon cou. Le secteur assigné à mon père se trouvait juste au nord du mien, et lui était parallèle. Il longeait un de ces minuscules parcs comme il en existe dans le centre des agglomérations. En débouchant du carrefour je ne le vis pas tout de suite et le dépassai.

« Par ici, petit ! Par ici… Dans l’autavion ! »

Je l’entendais maintenant à la fois dans mon téléphone et directement. Je fis demi-tour et aperçus l’autavion, un gros Cadillac, du genre souvent utilisé par la Section. Il y avait quelqu’un dedans mais il faisait trop sombre pour que je puisse bien le voir. Je m’approchai avec précaution.

« Dieu soit loué ! l’entendis-je soupirer. Je croyais bien que tu n’arriverais jamais. »

Je savais maintenant que c’était bien mon père.

Je dus baisser la tête pour passer par la portière. C’est à ce moment qu’il m’assomma…

En revenant à moi, je me retrouvai les poignets et les chevilles solidement ficelés. J’étais assis dans le siège du second pilote ; le Patron s’était installé dans l’autre et tenait les commandes. Le deuxième volant était rabattu hors de ma portée. En comprenant que l’autavion avait pris l’air, je retrouvai d’un seul coup tous mes esprits.

Il se tourna vers moi. « Tu te sens mieux ? » me dit-il gaiement.

Je pouvais voir sa larve, bien campée au bas de sa nuque.

« Un peu, dis-je.

— Je suis désolé d’avoir dû t’assommer, mais je n’avais pas le choix.

— Probablement.

— Pour le moment, il faudra que je te laisse attaché. Plus tard, nous trouverons une meilleure combinaison. »

Il sourit de son sourire malicieux que je connaissais bien. Chose ahurissante sa propre personnalité transparaissait à travers les phrases que la larve lui faisait prononcer.

Je ne lui demandai pas quelle pouvait être cette « meilleure solution ». Je ne tenais pas à le savoir. Je concentrai toute mon attention sur mes liens ; hélas, le Patron s’en était occupé avec son habituelle compétence. « Où allons-nous ? demandai-je.

— Vers le sud. »

Il manipula les commandes. « Très loin vers le sud, poursuivit-il. Dès que j’aurai réussi à caler ce damné engin dans le circuit de contrôle, je vais t’expliquer ce qui nous attend. »

Cela lui prit quelques secondes.

« Là, maintenant, le voilà lancé. Il se redressera tout seul à 10 000 mètres. »

La mention d’une telle altitude me fit jeter un coup d’œil sur le tableau de bord. L’autavion n’avait pas seulement l’apparence d’un des véhicules de la Section : c’en était bien un. Il avait un de ces moteurs surgonflés que nous leur faisons mettre.

« Où avez-vous trouvé l’autavion ? demandai-je.

— La Section en avait caché un en réserve, à Jefferson City. Je suis allé voir et, comme par hasard, personne ne l’avait découvert. C’est un coup de chance, hein ? »

C’était une opinion contestable, mais je ne tenais pas à discuter. Je calculais toujours mes chances – et je les trouvais de bien peu supérieures à zéro. Mon pistolet avait disparu. Il avait probablement mis le sien du côté le plus éloigné de moi, car je ne le voyais pas.

« Et ce n’est pas tout, continua-t-il, j’ai eu la chance d’être capturé par un “maître” qui était probablement le seul en bonne santé dans tout Jefferson City. Je ne crois pourtant guère à la chance… Bref nous finissons par gagner la partie. »

Il se mit à rire. « C’est comme si on jouait à la fois avec les noirs et les blancs une partie d’échecs très compliquée.

— Vous ne m’avez pas dit où nous allions ? » insistai-je.

J’étais au bout de mon rouleau et je ne voyais pas d’autre tactique à suivre que de parler sans trêve.

Il réfléchit. « Certainement en dehors des États-Unis. Mon “maître” est peut-être le seul de tout le continent à avoir échappé à la fièvre et je ne tiens pas à prendre de risques. Je crois que la péninsule du Yucatan nous conviendrait parfaitement – c’est dans cette direction que nous allons. Nous pourrons nous cacher, nous multiplier et réattaquer par le sud. Quand nous reviendrons (et nous reviendrons) nous ne commettrons pas deux fois les mêmes erreurs.

— Papa, dis-je, ne pouvez-vous pas me détacher ? J’ai la circulation coupée. Vous savez bien que vous pouvez me faire confiance.

— Tout à l’heure, tout à l’heure. Chaque chose en son temps. Attends que nous soyons complètement branchés sur le pilote automatique. »

L’autavion prenait toujours de la hauteur. Surgonflé ou pas, 10 000 mètres d’altitude représentent un effort considérable pour un autavion primitivement conçu pour être un modèle familial.

« Vous oubliez apparemment que j’ai été longtemps au service des “maîtres”, dis-je. Je connais les règles du jeu. Je vous donne ma parole d’honneur.

— On n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces, dit-il en ricanant. Si je te détache maintenant, ou tu me tueras, ou je serai forcé de te tuer. Et j’ai besoin de te garder en vie. Nous allons faire du chemin ensemble, petit. Nous sommes intelligents, nous sommes décidés et on a besoin de nous. »

Je ne trouvai rien à répondre.

« Quand même, continua-t-il, toi qui parlais de connaître les règles du jeu, pourquoi ne m’as-tu pas expliqué ? Pourquoi m’avoir caché ça ?

— Hein ?

— Tu ne m’avais pas dit ce qu’on ressentait. Mon petit, je ne me doutais pas qu’on pouvait connaître une telle paix, un tel bonheur, un tel bien-être. Je n’ai jamais été aussi heureux depuis des années… depuis que…» Il parut hésiter. «… Depuis que ta mère est morte, acheva-t-il. Mais maintenant, peu importe… C’est tellement mieux… Tu aurais dû me prévenir. »

Je me sentis envahi par le dégoût au point d’en oublier jouer mon rôle. « Ça ne me faisait peut-être pas cet effet-là. À vous non plus, ça ne le ferait pas, vieil imbécile, si vous n’aviez pas un État pour vous posséder, pour parler avec votre bouche, pour penser avec votre cerveau…

— Du calme, petit », dit-il doucement.

Que Dieu me pardonne, je crois bien que sa voix m’apaisa !

« Tu changeras bientôt d’avis, reprit-il. Crois-moi, c’est pour cela que nous sommes faits : c’est là notre destinée. L’humanité était divisée, en lutte contre elle-même. Les “maîtres” lui rendront son unité. »

Je pensais en moi-même qu’il y avait sans doute ici-bas pas mal de gens assez bêtes pour gober ce genre de couleuvres et vendre leurs âmes contre une promesse de sécurité et de paix. Mais je me gardai bien de le lui dire.

« Tu n’attendras plus bien longtemps, dit-il tout à coup en regardant le tableau de bord. Je vais prendre l’onde porteuse. »

Il régla son fil de mire, vérifia ses cadrans et brancha le pilote automatique.

« Là ! Prochain arrêt : le Yucatan. Et maintenant, au travail. »

Il se leva de son siège et s’agenouilla à côté de moi.

« Il faut faire bien attention », dit-il en me bouclant la ceinture de sûreté autour de la taille.

Je lui envoyai mes deux genoux en pleine figure.

Il se redressa et me regarda sans colère. « Sale gosse ! Je devrais me fâcher, mais les “maîtres” n’ont pas de rancune. Maintenant, sois sage. »

Il continua à vérifier la solidité de mes liens. Il saignait du nez, mais ne prenait même pas la peine de s’essuyer. « Ça ira, dit-il enfin. Un peu de patience, il n’y en a plus pour longtemps. »

Il retourna sur l’autre siège, s’assit et se pencha en avant, les coudes sur les genoux. Cette position me laissait apercevoir son « maître ». Pendant quelques minutes, il ne se passa rien. Je ne pouvais penser à autre chose qu’à tirer de tous mes muscles sur mes liens. Le Patron semblait dormir, mais je ne m’y fiais pas.