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Il avança péniblement sur l’étendue rocheuse, stupéfait du pouvoir refroidissant du vent. Il n’avait pas vérifié ce phénomène depuis son enfance, si jamais il l’avait expérimenté ; en tout cas, il avait oublié combien il pouvait être efficace. Il gravit une ancienne coulée de lave en titubant dans la bourrasque et parcourut les environs du regard. Son patrouilleur était là, deux kilomètres plus haut, gros insecte d’un vert vif, luisant comme un vaisseau spatial. C’était une vision réconfortante.

Tout à coup, des flocons se mirent à filer horizontalement, lui fournissant une illustration spectaculaire de la vitesse du vent. Des granules de glace heurtèrent ses lunettes dans un cliquetis. Il baissa la tête et poursuivit sa marche en regardant la neige tournoyer autour des pierres. Il crut que ses lunettes étaient embrumées, tellement la neige était épaisse, mais après en avoir essuyé l’intérieur – opération que le froid glacial rendit extrêmement pénible –, il comprit que la buée était en fait dans l’air. De la neige fine, du brouillard, de la poussière, c’était difficile à dire.

Il repartit tant bien que mal. Lorsqu’il releva la tête, la neige tombait tellement dru qu’il ne voyait même plus son patrouilleur, mais que pouvait-il faire sinon continuer ? C’était une chance que sa combinaison soit bien isolée et garnie d’éléments chauffants, parce que, même en poussant le chauffage au maximum, le froid lui lapidait le flanc gauche comme s’il était nu. La visibilité n’était plus que d’une vingtaine de mètres, et fluctuait rapidement en fonction de la quantité de neige charriée par le vent. Il était dans une bulle de blancheur sans forme qui se dilatait et se contractait, elle-même traversée par la neige et ce qui semblait être une sorte de brume ou de brouillard givré. Il se trouvait manifestement au cœur de la tourmente. Ses jambes étaient raides. Il croisa les bras sur sa poitrine, nicha ses mains gantées sous les aisselles et poursuivit son chemin au jugé. Il n’avait pas l’impression d’avoir dévié de sa trajectoire depuis que la visibilité avait soudain baissé, mais il lui semblait aussi qu’il avait parcouru une distance considérable sans arriver au patrouilleur.

Il n’y avait pas de boussoles sur Mars, mais son bloc-poignet et son patrouilleur étaient équipés d’une balise radio. Il pouvait faire figurer sa position et celle de son patrouilleur sur une carte détaillée de son écran de poignet, marcher un peu, repérer la direction qu’il suivait et rectifier éventuellement la trajectoire. Cette opération lui sembla bien compliquée, et il en déduisit que son esprit, comme son corps, était engourdi par le froid. Car ce n’était pas si difficile, en fin de compte.

Il s’accroupit à l’abri relatif d’un rocher et mit sa méthode en pratique. Elle était sans doute excellente, mais l’instrumentation laissait un peu à désirer. Son écran de poignet ne faisait que cinq centimètres de côté et il avait toutes les peines du monde à distinguer quelque chose. Il finit par repartir et effectua, un peu plus loin, un autre relevé. Dont le résultat indiqua, hélas, qu’il aurait dû prendre à angle droit par rapport à la direction qu’il suivait.

C’était démoralisant au point d’en être inhibant. Son corps sentait qu’il allait dans la bonne direction ; son esprit (une partie du moins) pensait qu’il valait mieux se fier aux résultats indiqués par son bloc-poignet ; il avait dû infléchir sa trajectoire quelque part. Mais il n’avait pas cette impression. La pente du sol confirmait les sensations transmises par son corps. La contradiction était si intense qu’il éprouva une vague nausée. Il était la proie d’une telle torsion interne qu’il avait du mal à se tenir debout, comme si toutes les cellules de son corps se révoltaient contre ce que lui disait le bloc-poignet. Les effets physiologiques d’une dissonance purement cognitive étaient stupéfiants. Pour un peu il se serait mis à croire à l’existence dans son corps d’un aimant pareil à la glande pinéale des oiseaux migrateurs, mais il n’y avait pas de champ magnétique à proprement parler. Peut-être sa peau était-elle sensible au rayonnement solaire au point d’arriver à s’orienter par rapport au soleil, même quand le ciel était uniformément gris. Ça devait être quelque chose comme ça, parce que le sentiment qu’il allait dans la bonne direction était d’une force stupéfiante.

Il finit par surmonter son malaise et repartit, avec l’impression atroce d’avoir tort, dans la direction indiquée par son bloc-poignet, en corrigeant un peu sa trajectoire vers le haut, par sécurité. Il fallait se fier aux instruments plutôt qu’à son instinct. C’était ça, la science. Il poursuivit donc son chemin perpendiculairement à l’axe de la pente tout en continuant à monter légèrement, avec plus de maladresse que jamais. Ses pieds engourdis heurtaient des pierres qu’il ne voyait pas et il trébuchait à chaque instant. C’était incroyable à quel point la neige pouvait obstruer la vision.

Il s’arrêta à nouveau et tenta de localiser son patrouilleur grâce au système de navigation de son bloc-poignet. Il lui indiqua une direction complètement différente, derrière lui et vers la gauche.

Il se pouvait qu’il ait dépassé son véhicule. Encore que… Il ne se sentait pas le courage de refaire le chemin en sens inverse, face au vent. Enfin, puisque ça paraissait être la direction du véhicule… Il repartit, tête baissée, dans le froid mordant. Sa peau était dans un état étrange, elle le picotait à l’endroit des éléments chauffants de sa combinaison et semblait insensible partout ailleurs. Il ne sentait plus ni son visage ni ses pieds. Il avait du mal à marcher. Le gel était à l’œuvre, c’était évident. Il devait absolument se mettre à l’abri.

Il eut une autre idée. Il appela Aonia, sur Pavonis, et l’obtint presque aussitôt.

— Sax ! Où es-tu ?

— C’est toute la question ! répliqua-t-il. Je suis sur Daedalia, en pleine tempête, et je n’arrive pas à retrouver mon véhicule. Tu ne pourrais pas vérifier ma position et celle de mon patrouilleur, et me dire dans quelle direction aller ?

Il colla son bloc-poignet contre son oreille.

— Ka wow, Sax.

On aurait dit qu’Aonia criait, elle aussi, bénie soit-elle. Sa voix constituait une étrange intrusion dans le décor.

— Une seconde. Je vérifie. Ça y est, je te vois ! Et ton patrouilleur aussi ! Que fais-tu si loin au sud ? J’ai peur que nous ayons du mal à te rejoindre rapidement. Surtout si les conditions météo sont défavorables !

— Elles le sont, confirma Sax. C’est pour ça que je t’appelle.

— Bon, tu es à trois cent cinquante mètres à l’ouest de ton véhicule.

— Directement à l’ouest ?

— Et un peu au sud. Mais comment vas-tu t’orienter ?

Sax réfléchit à la question. L’absence de champ magnétique sur Mars ne l’avait jamais perturbé auparavant. C’était pourtant un vrai problème. Il supposa que le vent soufflait plein ouest, mais ce n’était qu’une supposition.

— Tu pourrais contrôler auprès des plus proches stations météo et me dire de quelle direction vient le vent ? demanda-t-il.