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— L’antidote de Sax à Pavonis, entendit-il l’un des techniciens du labo dire à un autre en parlant du voyage.

Ce qui n’était pas faux.

Sabishii se trouvait sur le flanc ouest du massif de Tyrrhena, une proéminence rocheuse de cinq kilomètres de haut, au sud du cratère Jarry-Desloges, dans les anciennes highlands situées entre Isidis et Hellas, soit par 275 degrés de longitude et 15 degrés de latitude sud. Un emplacement de choix pour l’implantation d’une ville-tente, car elle était adossée à des landes mamelonnées à l’est et offrait une vaste perspective à l’ouest, même si l’altitude était un peu trop importante pour espérer y vivre en plein air ou faire pousser des plantes sur le sol rocailleux. En fait, à part les bosses beaucoup plus importantes de Tharsis et d’Elysium, c’était la région la plus élevée de Mars, une sorte de biorégion insulaire, que les Sabishiiens cultivaient depuis des décennies.

Ils étaient très ennuyés par la disparition des grands miroirs et vivaient quasiment en état d’alerte. Ils avaient lancé des tentatives tous azimuts destinées à protéger les plantes du biome, mais si précieux que puissent être ces efforts, ce n’était pas grand-chose.

— Le froid va être mortel, cet hiver, dit Nanao Nakayama, le vieux collègue de Sax, en secouant la tête. Une véritable ère glaciaire.

— J’espère trouver un moyen de compenser la diminution de luminosité, répondit Sax. En densifiant l’atmosphère, en augmentant la production de gaz à effet de serre. Nous devrions y arriver en partie avec des bactéries et des plantes d’altitude.

— En partie, répéta Nanao d’un air dubitatif. Beaucoup de niches sont déjà pleines. Elles ne sont pas très grandes.

Ils poursuivirent leur conversation dans la vaste salle à manger de la Serre du Dragon. Tous les technos de Da Vinci étaient là, et beaucoup de Sabishiiens vinrent les saluer. Ce fut une longue conversation amicale et intéressante. Les Sabishiiens avaient foré un labyrinthe dans la longue colline en forme de dragon façonnée avec la rocaille arrachée à leur mohole et vivaient derrière l’une des griffes, si bien qu’ils n’étaient pas obligés de voir les ruines calcinées de leur ville lorsqu’ils n’y travaillaient pas. Les travaux de reconstruction étaient très ralentis, la plupart d’entre eux s’efforçant à présent de compenser les effets de la disparition du miroir.

— À quoi bon reconstruire une ville-tente ? dit Nanao à Tariki, poursuivant manifestement une discussion engagée depuis longtemps. Ça n’a pas de sens. Autant attendre de pouvoir rebâtir en plein air.

— Nous risquons d’attendre longtemps, fit Tariki en prenant Sax à témoin. Nous sommes près de la limite de viabilisation de l’atmosphère définie par le document de Dorsa Brevia.

— Nous voulons que Sabishii se trouve sous la limite, quelle qu’elle soit, répondit Nanao en regardant Sax.

Lequel acquiesça d’un hochement de tête, haussa les épaules, ne sachant que répondre. Les Rouges ne seraient pas contents. Ça paraissait pourtant raisonnable : il suffirait que la limite d’altitude viable s’élève d’un kilomètre à peu près pour que les Sabishiiens puissent disposer du massif à leur guise, et ça ne changerait pas grand-chose pour les plus grosses bosses. Mais qui pouvait dire ce qu’ils décideraient sur Pavonis ?

— Nous ferions peut-être mieux de réfléchir au moyen d’empêcher la pression atmosphérique de chuter, dit-il, puis, remarquant leur mine sombre, il ajouta : Vous voulez bien nous emmener voir le massif ?

Ils s’illuminèrent aussitôt.

— Avec le plus grand plaisir.

Le sol du massif de Tyrrhena était ce que les premiers aréologistes appelaient « le système disloqué » des highlands du Sud, qui ressemblait beaucoup au « système grêlé de cratères », sauf qu’il était, en plus, parcouru par de petits réseaux de canaux. Dans les highlands plus basses et plus caractéristiques entourant le massif, on trouvait aussi des exemples de « système plissé » et de « système ondulé ». En fait, ainsi qu’il le constata rapidement le matin où ils sortirent à l’air libre, tous les aspects du relief accidenté des highlands du Sud étaient représentés, souvent en même temps : le sol grêlé de cratères, disloqué, inégal, plissé, chaotique et ondulé, bref, la quintessence du paysage noachien. Sax, Nanao et Tariki étaient assis dans la coupole d’observation d’un patrouilleur de l’université de Sabishii. Ils voyaient d’autres véhicules transportant des collègues, et des équipes qui se promenaient à pied. Quelques individus particulièrement dynamiques dévalaient en courant les dernières collines avant l’horizon, à l’est. Les creux du sol étaient légèrement saupoudrés de neige sale. Le centre du massif se trouvait à quinze degrés au sud de l’équateur, et les précipitations étaient assez importantes autour de Sabishii, lui dit Nanao. Le versant sud-est du massif était plus sec, mais ici, les masses nuageuses étaient chassées vers le sud au-dessus des glaces d’Isidis Planitia et crevaient en heurtant le relief.

Comme pour confirmer ses dires, au moment où ils gravissaient la pente, d’énormes nuages noirs en forme d’enclume arrivèrent du nord-ouest et se déversèrent sur eux, chassant les hommes qui cabriolaient dans les collines. Sax eut un frisson au souvenir de sa récente escarmouche avec les éléments, se félicita d’être à l’abri d’un patrouilleur et se dit qu’il se contenterait de s’en éloigner de quelques pas.

Ils finirent par s’arrêter en haut d’une vieille crête et s’aventurèrent sur la surface jonchée de rochers ronds, de buttes, de fissures et de bancs de sable, de cratères minuscules et de lits de roches oblongs, d’escarpements et d’alases, le tout fragmenté par ces vieux canaux superficiels qui avaient valu son nom au système disloqué. C’était un catalogue de tous les exemples d’accidents possibles et imaginables, un véritable musée de formes rocheuses. Le sol, à cet endroit, avait quatre milliards d’années. Il lui était arrivé bien des choses, mais rien n’avait réussi à le détruire complètement, à effacer l’ardoise, de sorte que la succession des événements y était encore lisible. Il avait été complètement pulvérisé au cours du noachien, abandonnant un régolite de plusieurs kilomètres de profondeur, des cratères et des déformations qu’aucune érosion éolienne ne pouvait gommer. Pendant cette période primitive, de l’autre côté de la planète, la lithosphère avait été vaporisée jusqu’à une profondeur de six kilomètres par la collision inimaginable avec un astéroïde presque aussi gros que la planète. Une grande quantité des matériaux éjectés au moment de l’impact avaient fini par retomber au sud. C’était ce qui expliquait la formation du Grand Escarpement, l’absence d’anciennes highlands au nord et, entre autres facteurs, l’aspect extrêmement désordonné du paysage à cet endroit.

Puis, à la fin de l’Hespérien, Mars avait connu une brève période chaude et humide au cours de laquelle l’eau avait parfois couru à sa surface. La plupart des aréologistes pensaient aujourd’hui que cette période avait été assez humide mais pas vraiment chaude, les moyennes annuelles situées bien au-dessous de 273 degrés kelvin permettant à l’eau de ruisseler, ravitaillée par la convection hydrothermique plutôt que par les précipitations. Cette période n’avait duré qu’une centaine de millions d’années, selon les dernières estimations, et elle avait été suivie par des milliards d’années de vents, pendant la période sèche et froide appelée ère amazonienne, qui avait duré jusqu’à leur arrivée.