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Les trois hommes restèrent un moment debout auprès d’elle, à la regarder, puis ils ressortirent comme ils étaient venus et regagnèrent leurs lits sur la pointe des pieds. Desmond fit l’andouille, esquissant des entrechats, et les deux autres durent lui dire de se tenir tranquille. Ils se recouchèrent, mais ne purent dormir. Et comme ils ne pouvaient pas parler non plus ils restèrent allongés en silence, tels des frères dans une grande maison, après une expédition réussie au cœur de la nuit, dans le vaste monde endormi.

Le lendemain matin, la doctoresse vint leur parler.

— Le pronostic vital est meilleur.

Les trois hommes se dirent extrêmement satisfaits de cette bonne nouvelle.

Plus tard, dans la salle à manger, Sax dut se gendarmer pour ne pas parler à Michel et Desmond de sa rencontre avec Hiroko. La nouvelle aurait plus d’importance pour eux que pour n’importe qui au monde, mais quelque chose le retenait. La crainte, peut-être, qu’on le croie dérangé, ou qu’il ait eu une vision. Le moment où Hiroko était repartie dans la tempête après l’avoir laissé dans son patrouilleur… il ne savait qu’en penser. Pendant les longues heures qu’il avait passées auprès d’Ann, il avait beaucoup réfléchi et même procédé à quelques recherches. Il savait maintenant que sur Terre, en altitude, les alpinistes souffrant du manque d’oxygène avaient souvent des hallucinations et voyaient des alpinistes comme eux. Une sorte de phénomène de doppelganger. Le sauvetage par l’anima. Et son tube à oxygène était partiellement obstrué.

— Je pense que c’est ce qu’aurait fait Hiroko, dit-il.

— Je reconnais que c’était culotté, acquiesça Michel. Tout à fait son style. Non, ne te méprends pas – je suis content que tu l’aies fait.

— Il était bientôt temps, si tu veux que je te dise, renchérit Desmond. Il y a des années que quelqu’un aurait dû la ligoter et la soumettre au traitement. Oh, Sax, mon Sax ! fit-il en riant joyeusement. J’espère seulement qu’elle n’en sortira pas aussi dingue que toi.

— Sax avait eu une attaque, rectifia Michel.

— Et puis, ajouta Sax, soucieux de rétablir la vérité historique, j’étais déjà relativement excentrique avant.

Ses deux amis hochèrent la tête, la bouche en cul-de-poule. La situation n’était pas encore tout à fait résolue, mais ils étaient d’excellente humeur. Puis la grande doctoresse vint les trouver. Ann était sortie du coma.

Sax avait l’estomac trop noué pour manger, mais il remarqua que certaine pile de toasts beurrés placée devant lui avait beaucoup diminué. Il les avait engloutis sans s’en rendre compte.

— Elle va t’en vouloir à mort, remarqua Michel.

Sax acquiesça d’un hochement de tête. C’était malheureusement probable. Sinon certain. Une pensée attristante. Il ne voulait pas qu’elle le frappe à nouveau. Ou, pire, qu’elle lui refuse sa compagnie.

— Tu devrais venir avec nous sur Terre, suggéra Michel. Nous y allons en délégation, Maya, Nirgal et moi.

— Il y a une délégation qui part pour la Terre ?

— Oui. Je ne sais pas qui a eu cette idée, mais je la trouve géniale. Il est indispensable que des représentants aillent leur parler. Le temps que nous revenions, Ann aura eu le temps de réfléchir.

— Intéressant, convint Sax, soulagé à la seule idée de prendre le large.

En fait, le nombre de raisons impératives qu’il avait d’aller sur Terre était presque terrifiant.

— Mais… et Pavonis ? Et la conférence dont tout le monde parle ?

— On pourra y participer par vidéo.

— Très juste.

C’était exactement ce qu’il disait depuis le début.

Le plan était attrayant. Il ne voulait pas être là quand Ann se réveillerait. Ou plutôt, quand elle découvrirait ce qu’il lui avait fait. D’accord, c’était de la lâcheté. D’un autre côté…

— Et toi, Desmond ? Tu y vas aussi ?

— Pas fou, non !

— Euh… Tu m’as bien dit que Maya était du voyage ? demanda Sax.

— Oui, confirma Michel.

— Parfait. La dernière fois que j’ai-j’ai-j’ai essayé de sauver la vie d’une femme, Maya l’a tuée.

— Quoi ? Comment ? Phyllis ? Tu as sauvé la vie à Phyllis ?

— Oui. Enfin, non… C’est-à-dire que si, mais comme c’est moi qui l’avais mise en danger, pour commencer, je ne crois pas que ça compte.

Il essaya de leur expliquer ce qui s’était passé cette nuit-là à Burroughs, sans grand succès. C’était très confus dans son propre esprit, en dehors de certains moments d’horreur encore très vifs.

— Bah, laissons tomber. C’est juste que ça m’est revenu tout à coup. Je n’aurais même pas dû en parler. Je suis…

— Tu es crevé, fit Michel. Mais rassure-toi. Maya ne fera pas de bêtises ici ; nous la tiendrons à l’œil.

Sax acquiesça. Décidément, la situation ne se présentait pas mal du tout. Comme ça, Ann aurait le temps de faire le point. De réfléchir, de comprendre. Enfin, il fallait l’espérer. Et puis ce serait intéressant de voir de ses propres yeux comment les choses se passaient sur Terre. Très intéressant. Si intéressant qu’aucun individu un tant soit peu sensé ne pouvait laisser passer cette occasion.

TROISIÈME PARTIE

Une nouvelle Constitution

1

Les fourmis arrivèrent sur Mars en même temps que le projet d’humus, et il y en eut bientôt partout, car elles sont comme ça. Or donc le petit peuple rouge rencontra les fourmis, et ce fut la révélation. Ces créatures avaient juste la taille qu’il fallait pour monter dessus. Il leur arriva la même chose qu’aux Indiens d’Amérique lorsqu’ils rencontrèrent le cheval. Ils les domptèrent, et vous avez vu le résultat.

Ce ne fut pas une mince affaire que de domestiquer les fourmis. Les petits savants rouges ne voulaient même pas croire que de telles créatures fussent possibles, à cause du ratio surface/volume, et pourtant si, elles déambulaient comme des robots doués d’intelligence. Les petits savants rouges allèrent chercher des explications dans les ouvrages de références des humains. Ils lurent les articles concernant les fourmis. Ils se renseignèrent sur les phéromones des fourmis et synthétisèrent celles qu’il fallait pour contrôler les fourmis-soldats d’une espèce rouge particulièrement docile, puis ils se mirent au travail. Une minuscule cavalerie rouge. Ils se payèrent du bon temps à charger la région en tous sens, à vingt ou trente par fourmi, comme des pachas sur un éléphant. Regardez les fourmis, vous finirez bien, à force, par les voir, sur leur dos.

Mais en lisant les textes les petits savants rouges apprirent tout ce qui concernait les phéromones humaines. Ils retournèrent, frappés d’épouvante et de consternation, auprès du petit peuple rouge. Nous savons maintenant pourquoi les hommes nous posent tant de problèmes, lui annoncèrent-ils. Ces humains n’ont pas plus de volonté que les fourmis que nous chevauchons en tous sens. Ce sont des fourmis carnivores géantes.

Le petit peuple rouge s’efforça de comprendre cette parodie de vie.

Puis une voix dit, Non, ce n’est pas vrai, elle le leur dit à tous ensemble. Le petit peuple rouge se parlait par la pensée, vous comprenez, et ce fut comme une annonce télépathique faite par haut-parleur. Les humains sont des êtres spirituels, disait et répétait cette voix.