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Art appela William Fort afin de le tenir au courant de ce qu’il faisait, et reçut une réponse plus tard dans la journée. Le vieil homme était dans une nouvelle ville de réfugiés au Costa Rica, et avait l’air un peu ahuri, comme d’habitude.

— Ça paraît intéressant, dit-il.

Après ça, les gens de Praxis vinrent trouver Art tous les jours afin de voir comment ils pouvaient l’aider. Art fut plus occupé qu’il ne l’avait jamais été à faire nema-washi, comme disaient les Japonais, c’est-à-dire à « préparer l’événement », ce qui consistait à inciter un groupe d’organisateurs à se réunir pour définir une stratégie, à retourner voir tous ceux auxquels il avait déjà parlé, à essayer, en fait, de rencontrer chacun individuellement sur Pavonis Mons.

— La méthode John Boone, commenta Coyote avec son rire affolant. Bonne chance !

Sax, qui emballait ses rares biens en ce monde en prévision de sa mission diplomatique sur Terre, dit :

— Tu devrais inviter les… les Nations Unies.

Sax avait un peu rechuté depuis sa mésaventure dans la tempête de neige. Il regardait parfois les choses fixement, comme s’il avait reçu un coup sur la tête. Art répondit gentiment :

— Sax, nous venons de les éjecter de cette planète à coups de pied dans le derrière.

— Exact, fit Sax en regardant le plafond. Eh bien, maintenant, tu devrais les coopter.

— Coopter les Nations Unies ! répéta Art en réfléchissant.

Coopter les Nations Unies… Ça sonnait assez bien, force lui était de le reconnaître. Ce serait un défi, sur le plan diplomatique.

Juste avant le départ des ambassadeurs pour la Terre, Nirgal passa dans les bureaux de Praxis. En embrassant son jeune ami, Art fut soudain étreint par une peur irrationnelle. Partir pour la Terre !

Nirgal était toujours aussi plein d’entrain et ses yeux noirs brillaient d’enthousiasme. Après avoir dit au revoir aux autres, il s’assit avec Art dans un coin tranquille de l’entrepôt.

— Tu es vraiment sûr de vouloir y aller ? demanda Art.

— Absolument. Je veux voir la Terre.

Art eut une moue dubitative, ne sachant que répondre.

— Et puis, ajouta Nirgal, il faut bien que quelqu’un aille leur montrer qui nous sommes.

— Pour ça, personne n’est mieux placé que toi. Mais fais attention aux métanats. On ne sait jamais ce qu’elles mijotent. Et à la nourriture. Il risque d’y avoir de sacrés problèmes d’hygiène dans les régions inondées. Et aux microbes. Et méfie-toi des coups de soleil, ta peau n’est pas…

Art remit ses conseils de voyage à une autre fois. Jackie Boone venait d’entrer. Nirgal ne l’écoutait plus, de toute façon. Il regardait Jackie d’un air parfaitement inexpressif, comme s’il avait mis un masque de Nirgal. Or aucun masque ne pouvait lui rendre justice. La mobilité de son visage étant sa caractéristique principale, il ne se ressemblait plus du tout.

Jackie s’en aperçut aussitôt, bien sûr. La communication était coupée avec son vieux partenaire… Elle le foudroya du regard. Art comprit qu’il y avait de l’eau dans le gaz. Il se serait volontiers éclipsé, car il avait l’impression de tenir un éclair par la queue pendant un orage. Mais Jackie était plantée dans la porte, et il n’avait pas envie de la déranger en ce moment. De toute façon, ils avaient oublié jusqu’à son existence.

— Alors tu t’en vas, dit-elle à Nirgal. Tu nous laisses tomber.

— J’y vais juste en visite.

— Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ? La Terre ne veut plus rien dire pour nous aujourd’hui.

— C’est de là que nous venons.

— Pas du tout. Nous venons de Zygote.

Nirgal secoua la tête.

— La Terre est notre planète d’origine. Nous en sommes une extension, ici. Il faut bien en tenir compte.

Jackie évacua sa réponse d’un geste excédé, ou déconcerté.

— Tu t’en vas juste au moment où nous avons le plus besoin de toi ici !

— Considère ça comme une occasion à saisir.

— Je n’y manquerai pas, lança-t-elle, furieuse. Et ça risque de ne pas te plaire.

— Tant que tu as ce que tu veux…

— Tu ne sais pas ce que je veux ! répliqua-t-elle férocement.

Art sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. La foudre était sur le point de frapper. Il n’avait rien contre le fait d’écouter aux portes, il était assez du genre voyeur, en fait, mais se retrouver au beau milieu d’une scène de ménage, c’était une autre paire de manches. Il y avait des choses auxquelles il ne voulait pas assister. Il s’éclaircit la gorge. Les deux autres sursautèrent. Il écarta Jackie et sortit. Derrière lui, les voix poursuivirent, amères, accusatrices, pleines de souffrance et de ressentiment.

C’est Coyote qui conduisit les ambassadeurs pour la Terre vers l’ascenseur, au sud. Art était assis à côté de lui. Ils traversèrent lentement les faubourgs à moitié détruits entourant le Socle, dans la partie sud-ouest de Sheffield. Les rues avaient été conçues pour accueillir d’énormes ponts roulants destinés aux conteneurs de marchandises et tout avait un aspect terriblement speeresque[1] inhumain et colossal. Sax se mit un devoir d’expliquer pour la énième fois à Coyote que les voyageurs pour la Terre participeraient au congrès constitutionnel par vidéo, qu’ils ne rateraient pas tout, comme Thomas Jefferson à Paris.

— Nous serons de tout cœur avec vous, à Pavonis, fit Sax. De tout cœur et en esprit.

— Alors tout le monde sera à Pavonis, rétorqua Coyote d’un ton funèbre.

Il n’aimait pas l’idée que Sax, Maya, Michel et Nirgal partent pour la Terre. Non plus qu’il ne donnait l’impression d’aimer l’idée du congrès constitutionnel. Rien ne lui plaisait, ces jours-ci. Il était de mauvaise humeur, mal dans sa peau.

— Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, marmonnait-il sans cesse. Vous verrez…

Puis le Socle se dressa devant eux, le câble noir et brillant émergeant de l’énorme masse de béton, tel un harpon planté dans Mars par une force terrestre qui ne voulait pas lâcher prise. Après s’être identifiés, les voyageurs pénétrèrent dans le complexe par un grand passage rectiligne menant à l’énorme hall central où le câble descendait par une sorte de collier et planait au-dessus d’un réseau de pistes qui s’entrecroisaient au sol. Le câble était en équilibre parfait sur son orbite et n’entrait jamais en contact avec Mars. Il restait simplement suspendu là, son extrémité de dix mètres de large en lévitation au milieu de la salle. Le collier du haut ne servait qu’à le stabiliser. Pour le reste, son positionnement était l’affaire des moteurs-fusées disposés tout du long et surtout de l’équilibre entre les forces centrifuges et la gravité qui le maintenaient sur son orbite aréosynchrone.

Les cabines de l’ascenseur flottaient dans l’air comme le câble lui-même, mais pour une raison différente : elles étaient suspendues électromagnétiquement. L’une d’elles plana le long de l’une des pistes menant vers le câble, s’amarra au câble et s’éleva sans bruit vers un sas ménagé dans le collier.

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1

Speer, Albert (1905–1981), architecte nazi, au style grandiose et froid; on lui doit le stade de Nuremberg. (N.d.T.)