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Les voyageurs et leurs accompagnateurs descendirent du véhicule. Nirgal était très effacé, il était déjà parti. Maya et Michel étaient tout excités et Sax, égal à lui-même. Ils embrassèrent Art en se dressant sur la pointe des pieds, Coyote en se penchant. Puis tout le monde se mit à parler en même temps et se regarda comme dans l’espoir de retenir chaque seconde de ce moment. Ce n’était qu’un voyage, mais ils avaient l’impression que c’était bien davantage. Puis les quatre voyageurs s’éloignèrent et disparurent dans le tube de couplage qui menait à la cabine suivante de l’ascenseur.

Après leur départ, Coyote et Art regardèrent la cabine flotter vers le câble, monter à travers la valve du sas et disparaître. Le visage asymétrique de Coyote se crispa, exprimant une angoisse et une peur qui lui ressemblaient bien peu. Évidemment, c’étaient son fils et trois de ses plus proches amis qui partaient pour un endroit très dangereux. Bon, ce n’était que la Terre, mais ça paraissait dangereux. Art devait bien l’admettre.

— Tout ira bien, dit Art en étreignant l’épaule du petit homme. Ils vont être accueillis comme des stars, là-bas. Tout va merveilleusement se passer pour eux.

C’était sûrement vrai. Le seul fait de prononcer ces paroles rassurantes lui fit du bien. Ils allaient sur la planète mère, après tout. Une planète faite pour les humains. Ils seraient bien reçus. C’était leur monde d’origine. Mais quand même…

3

Sur Pavonis Est, le congrès avait commencé.

À l’instigation de Nadia, en fait. Elle avait simplement commencé à travailler dans l’entrepôt principal sur des passages du traité et peu à peu les gens s’étaient joints à elle. Les choses avaient fait boule de neige. Une fois que les réunions eurent commencé, les gens ne purent faire autrement que d’y assister, sous peine de rater l’occasion de dire ce qu’ils avaient à dire. Nadia haussait les épaules quand ils se plaignaient de ne pas être prêts, de ne pas en savoir assez long, que les choses ne soient pas régularisées et ainsi de suite.

— Allons, répondait-elle avec impatience. Puisque nous sommes là, autant nous y mettre tout de suite.

C’est ainsi qu’un groupe fluctuant de trois cents personnes environ prit l’habitude de se réunir tous les jours dans le complexe industriel de Pavonis Est. L’entrepôt principal, conçu pour accueillir des tronçons de piste et des wagons, était énorme. Des dizaines et des dizaines de cloisons mobiles furent dressées le long des murs afin de former des bureaux, l’espace central étant occupé par un assemblage vaguement circulaire de tables dépareillées.

— Ah, fit Art en le voyant. La table des tables.

Il se trouva évidemment des gens pour réclamer la liste des délégués autorisés à voter, à prendre la parole et ainsi de suite. Nadia, qui avait vite assumé le rôle de présidente, proposa d’accepter comme délégation tout groupe martien qui en ferait la demande, à la condition qu’il ait eu une existence tangible avant le début de la conférence.

— Pas la peine de nous montrer restrictifs.

Les spécialistes de la Constitution de Dorsa Brevia convinrent que le congrès devrait être mené par des membres de délégations votantes, et que le résultat final devrait être soumis au suffrage populaire. Charlotte, qui avait mis la main à l’élaboration du document de Dorsa Brevia, douze années martiennes auparavant, avait depuis mené les travaux d’un groupe qui avait planché sur un éventuel gouvernement, dans l’hypothèse où la révolution réussirait, et ils n’étaient pas seuls à s’intéresser au sujet. L’université de Sabishii ainsi que certaines écoles de Fossa Sud dispensaient un enseignement sur la question, et il y avait dans l’entrepôt beaucoup de jeunes indigènes compétents dans ce domaine.

— C’est assez effrayant, remarqua Art. Faites la révolution et qu’est-ce qui se passe ? Les hommes de loi sortent des bois.

— Toujours, répondit Nadia.

Le groupe de Charlotte avait dressé une liste de délégués virtuels à un congrès potentiel, liste comprenant toutes les colonies martiennes de cinq cents personnes et plus. Un certain nombre de gens seraient donc représentés deux fois, souligna Nadia, une fois pour leur localisation et une fois pour leur appartenance politique. Les rares groupes qui ne figuraient pas sur la liste allaient se plaindre à un nouveau comité, qui enrôlait à peu près tous les pétitionnaires. Art appela Derek Hastings et invita l’ATONU à envoyer une délégation. Sidéré, Hastings répondit positivement quelques jours plus tard. Il descendrait du câble en personne.

C’est ainsi qu’après une semaine de manœuvres – et tout en continuant à vaquer à leurs occupations habituelles – ils estimèrent avoir réuni suffisamment d’accords pour mettre au vote une liste de délégués, et comme elle incluait vraiment beaucoup de monde, elle passa presque à l’unanimité. Tout à coup, il y eut un congrès en bonne et due forme. Il était constitué des délégations suivantes, chacune composée d’une à dix personnes :

Villes :

Acheron

Nicosia

Le Caire

Odessa

Harmakhis Vallis

Sabishii

Christianopolis

Vishniac Bogdanov

Hiranyagarba

Mauss Hyde

New Clarke

Bradbury Point

Sergei Korolyov

Cratère DuMartheray

Station Sud

Reull Vallis

Caravansérail du Sud

Nuova Bologna

Nirgal Vallis

Montepulciano

Sheffield

Senzeni Na

Belvédère d’Echus

Dorsa Brevia

Dao Vallis

Fossa Sud

Rumi

New Vanuatu

Prometheus

Gramsci

Mareotis

Sanctuaire de Burroughs

Gare de Libya

Tharsis Tholus

Le groupe d’Overhangs

Plinthe de Margaritifer

Caravansérail du Grand Escarpement

Da Vinci

Ligue d’Elysium

Hell’s Gate

Partis politiques et autres organisations :

Les Boonéens

Les Rouges

Les Bogdanovistes

Les Schnellingistes

Mars-Un

Mars Libre

Le Ka

Praxis

Les Qahiran Mahjaris

Les Verts

L’Autorité Transitoire des Nations Unies

Le Kakaze

Le Comité de rédaction du Journal d’études aréologiques

L’Autorité de l’Ascenseur Spatial

Les Chrétiens Démocrates

Le Comité de Coordination de l’Activité économique des métanationales

Les Néomarxistes de Bologne

Les Amis de la Terre

Biotique

Séparation de l’Atmosphère

Les réunions générales débutaient dans la matinée autour de la table des tables et se poursuivaient par petits groupes dans les bureaux de l’entrepôt ou des bâtiments voisins. Art arrivait tôt et préparait d’énormes pots de café, de kava et de kavajava, sa drogue préférée. C’était dérisoire au regard de l’enjeu de l’entreprise, mais Art était heureux d’apporter sa modeste contribution. Il s’émerveillait à chaque instant de voir se constituer un congrès, tout simplement, et se disait que ce qu’il pouvait faire de mieux était probablement de l’aider à démarrer. Il n’y connaissait pas grand-chose et avait peu d’idées sur ce qui devait figurer dans une Constitution martienne. Mais il était doué pour rassembler les gens, et il l’avait fait. Ou plutôt, ils l’avaient fait, Nadia et lui, car Nadia avait joué son rôle en prenant la direction des opérations au moment où il le fallait. C’était la seule des Cent Premiers encore vivants qui avait la confiance de tous ; ce qui lui conférait une sorte d’autorité naturelle. Et maintenant, mine de rien, sans faire de vagues, elle exerçait ce pouvoir.