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Tout était possible. C’était l’une des raisons pour lesquelles ils auraient du mal à mener le congrès à bonne fin. Le choix lui-même réduirait des possibilités infinies à la ligne unique de l’histoire. Le futur devenant le passé : la déception était inéluctable dans ce passage à travers le métier, dans cette soudaine réduction de l’infini à l’unicité, du potentiel à la réalité qui était l’effet du temps et rien d’autre. Le possible était délectable. On pouvait encore espérer avoir ce qu’il y avait de meilleur dans les meilleurs gouvernements de tous les temps, magiquement combiné en une synthèse superbe, inédite. On pouvait encore tout rejeter pour suivre un nouveau chemin vers le juste gouvernement… Retomber dans la problématique vulgaire de l’écriture d’un document était une véritable rechute, et les gens repoussaient instinctivement cette échéance.

Et pourtant, il serait bon que leur équipe diplomatique arrive sur Terre avec un document en bonne et due forme à montrer à l’ONU et aux peuples de la Terre. En fait, il n’y avait pas moyen d’y couper ; ils devaient en venir à bout, non seulement pour présenter à la Terre le front uni d’un gouvernement établi, mais aussi pour commencer à vivre leur vie d’après la crise, quelle qu’elle soit.

Nadia en était intimement convaincue. C’est ce qu’elle dit à Art, un matin :

— Le moment est venu de placer la clé de voûte de l’édifice.

Et à partir de là, elle ne ménagea pas ses efforts pour rencontrer toutes les délégations et tous les comités, leur demander d’achever leur travail et les enjoignant à le soumettre au vote de la table. Son obstination révéla une chose qui n’était pas évidente jusqu’alors : l’essentiel des problèmes avaient été résolus à la satisfaction de la plupart des délégués. Ils s’accordaient généralement à dire qu’ils avaient mis au point un document sur lequel on pouvait travailler, ou du moins essayer, à condition d’intégrer dans la structure des procédures d’amendement qui permettraient d’en modifier certains aspects tout en avançant. Les jeunes indigènes, en particulier, semblaient satisfaits et même fiers de leur travail, fiers d’avoir réussi à mettre l’accent sur la semi-autonomie locale, d’avoir pu donner un tour institutionnel à la façon dont la plupart d’entre eux avaient vécu sous l’Autorité Transitoire.

Les nombreuses entraves mises à la règle de la majorité ne les ennuyaient donc pas alors qu’ils constituaient de fait l’actuelle majorité. Afin de ne pas avoir l’air d’avoir perdu cette bataille, Jackie et son cercle affectèrent de ne jamais avoir prôné une présidence forte et un gouvernement centralisé. Ils prétendirent même avoir été, depuis le début, en faveur d’un conseil exécutif élu par les députés à la manière suisse. Ce n’était pas un cas isolé, et Art s’empressait d’opiner du chef lorsqu’on lui exposait une prise de position de ce genre.

— Ouiii, je me souviens ! Nous nous demandions bien comment sortir de ce problème, la nuit où nous ne nous sommes pas couchés pour assister au lever du soleil. Vous avez vraiment eu une bonne idée.

Les bonnes idées faisaient florès. Et elles commençaient à s’acheminer vers un épilogue.

Le gouvernement global tel qu’il était conçu devait être une confédération dirigée par un conseil exécutif de sept membres, élus par un système à deux chambres : la douma, une assemblée législative composée d’un vaste groupe de représentants tirés au sort dans la population, et le sénat, une entité moins importante constituée d’élus sur la base d’un membre par groupe, ville ou village de plus de cinq cents personnes. L’assemblée législative était assez faible, en fin de compte. Elle participait à l’élection du conseil exécutif, procédait à la sélection des juges et laissait aux villes la plupart des tâches législatives proprement dites. La branche judiciaire était plus puissante. Elle comprenait les tribunaux pénaux, mais aussi une sorte de double cour suprême composée d’une cour constitutionnelle et d’une cour environnementale, les deux cours comprenant des membres nommés, des membres élus et d’autres tirés au sort. La cour environnementale réglait les litiges portant sur le terraforming et les problèmes d’environnement. La cour constitutionnelle statuait sur l’aspect constitutionnel de tous les autres problèmes, y compris les infractions aux lois urbaines. L’un des bras de la cour environnementale était une commission du terrain, chargée de veiller à la gestion du sol, qui était dévolue à la famille martienne, conformément à l’article trois du document de Dorsa Brevia. Il n’y aurait pas de propriété privée en tant que telle, mais des droits d’usage divers établis par contrat, ces questions devant être précisées par la commission du sol. Une commission économique, dépendant de la cour constitutionnelle et en partie composée de membres des guildes des coopératives représentant les diverses professions et industries, superviserait l’instauration d’une version de l’éco-économie underground qui prévoyait l’existence d’entreprises à but non lucratif concentrées sur la sphère publique et d’entreprises commerciales situées dans les limites de taille légales, et légalement détenues par leurs employés.

Cette extension du système judiciaire satisfaisait ceux qui souhaitaient un gouvernement global fort, sans donner trop de pouvoir à un corps exécutif. C’était aussi une réponse au rôle héroïque joué par la Cour mondiale sur la Terre, au siècle précédent, quand presque toutes les autres institutions terriennes avaient été achetées ou, d’une façon ou d’une autre, cédées sous la pression des métanationales. Seule la Cour mondiale avait tenu bon, émettant règlement après règlement au nom de la Terre et de tous les exclus de droits civiques, dans une action d’arrière-garde presque totalement ignorée et en vérité assez symbolique, contre les exactions des métanats. Une force morale qui, si elle avait eu plus de moyens, aurait pu faire plus de bien. Mais l’underground martien avait assisté à son combat et s’en souvenait à présent.