Выбрать главу

— C’est stupide, disait une vieille femme arabe à un petit homme noueux. Mes parents étaient dans le Croissant rouge lors des bombardements américains sur Bagdad. Si l’ennemi occupe le ciel, on ne peut rien faire ! Rien ! Il faut nous rendre. Dès que possible !

— Mais à qui ? dit le petit homme d’un ton méfiant. Et pour qui ? Et comment ?

— À n’importe qui, pour tout le monde, et par radio, bien sûr !

La vieille femme lança un regard noir à Nadia, qui haussa les épaules.

Son bloc de poignet bippa, et elle entendit la voix ténue de Sacha Yefremov. La station de captage d’eau du nord de la ville venait d’être détruite par une explosion et le puits crachait de l’eau et de la glace.

— J’arrive, dit Nadia, secouée.

La station de captage était située sur l’aquifère de Lasswitz, l’un des plus importants de la planète. Si l’aquifère perçait en surface, la station, la cité et le canyon tout entier seraient engloutis – plus grave encore : Burroughs n’était qu’à deux cents kilomètres plus bas, sur la pente de Syrtis et d’Isidis, et l’inondation se propagerait jusque-là ! Burroughs ! La population était trop nombreuse pour concevoir une évacuation, surtout depuis qu’elle était devenue le principal refuge de ceux qui fuyaient la guerre, car ils ne pouvaient aller nulle part ailleurs.

— Il faut se rendre ! insista la vieille femme, depuis l’autre bout de la salle. Tous !

— Je crois que ça ne servirait plus à rien, dit Nadia avant de s’élancer vers le sas.

Nadia avait dressé les plans de Lasswitz et en avait supervisé la construction, six ans auparavant seulement, et elle avait une idée sur ce qu’il convenait de faire. La cité était sous tente, du type Nicosia, la ferme et la centrale installées dans des structures différentes, et la station de captage plus loin au nord. Toutes les structures se trouvaient sur le plancher du canyon Arena, orienté est-ouest. Les parois étaient presque verticales, hautes de cinq cents mètres. La station de captage de l’aquifère se trouvait à quelques centaines de mètres de la paroi nord qui, à cet endroit, était dominée par un surplomb impressionnant. Tout en roulant vers la station avec Sacha et Yeli, Nadia leur expliqua rapidement son plan.

— Je pense que nous pouvons abattre la falaise sur la station. Si nous y arrivons, le glissement de terrain devrait étouffer la fuite.

— Mais est-ce qu’elle n’est pas assez forte pour repousser l’avalanche de rocaille ? s’inquiéta Sacha.

— Sûrement, si tout l’aquifère explosait. Mais si nous le recouvrons alors qu’il n’est encore qu’un puits débouché, l’eau sera gelée dans l’avalanche et, je l’espère, elle formera un barrage assez solide. La pression hydrostatique dans cet aquifère est à peine supérieure à la pression lithostatique de la roche, donc le flux artésien n’est pas trop élevé. Sinon, nous serions déjà tous noyés.

Elle freina. À travers le pare-brise, les restes de la station étaient visibles sous le nuage de vapeur gelée. Un patrouilleur venait droit sur eux à pleine vitesse, en cahotant. Nadia fit un appel de phares et passa sur la fréquence radio commune. C’était l’équipe de la station : Angela et Sam, fous de rage après les événements qu’ils venaient de vivre. Quand ils eurent achevé le récit de la dernière heure, Nadia leur exposa son idée.

— Ça pourrait marcher, dit Angela. Une chose est certaine : rien d’autre ne peut l’arrêter à présent. Ça jaillit à plein.

— Il va falloir faire vite, ajouta Sam. La roche se délite à une vitesse incroyable.

— Si nous n’arrivons pas à l’étouffer, fit Angela avec un enthousiasme quelque peu morbide, ce sera comme lorsque l’Atlantique a franchi le détroit de Gibraltar pour la première fois et s’est déversé dans le bassin méditerranéen. Une cataracte de dix mille ans.

— Je n’en ai pas entendu parler, de celle-là, dit Nadia. Venez : on va aller jusqu’à la falaise et mettre les robots au travail.

En route, elle avait donné l’ordre à tous les robots de construction de quitter leur hangar pour se diriger vers la paroi nord voisine de la station de captage. Quand ils descendirent des patrouilleurs, ils constatèrent que certains des robots les plus rapides étaient déjà sur place, et que les autres suivaient à quelque distance dans le fond du canyon. Une pente d’éboulis se dressait au pied de la falaise comme une énorme vague figée, luisant sous le soleil au zénith. Nadia coupla les excavatrices et les bulldozers et programma les instructions nécessaires pour se frayer un chemin dans les éboulis.

Elle montra aux autres la carte aréologique du canyon qu’elle venait d’appeler sur l’écran du patrouilleur.

— Vous voyez… Il y a une fissure, là, juste derrière le surplomb. C’est ce qui provoque cette inclinaison du bord. Si nous déclenchons tous les explosifs dont nous disposons ici, au fond de la fissure, le rocher va tomber, vous ne pensez pas ?

— Je ne sais pas, dit Yeli. Mais ça vaut le coup d’essayer.

Dès que les autres robots les eurent rejoints avec l’arsenal d’explosifs qui restait du creusement des fondations de la ville, elle se mit au travail. Elle programma les véhicules pour qu’ils creusent un tunnel au bas de la falaise. Au bout d’une heure, elle déclara :

— Maintenant, on retourne en ville et on fait évacuer tout le monde. Je ne suis pas certaine de l’importance de l’effondrement et je ne tiens pas à ce que quiconque soit enterré là-dessous. Nous disposons de quatre heures.

— Grands dieux, Nadia !

— J’ai dit quatre heures.

Elle pianota un dernier ordre et lança le patrouilleur. Angela et Sam suivirent, en poussant un grand cri de soulagement.

— Vous n’avez pas l’air fâchés de ficher le camp, leur dit Yeli.

— Bon Dieu, ça commençait à être vraiment emmerdant ! fit Angela.

— Ça ne posera plus de problème dorénavant.

L’évacuation s’avéra difficile. Ils étaient nombreux à refuser de partir, et il n’y avait guère de place dans les patrouilleurs. Finalement, on réussit à tous les entasser et la caravane s’engagea sur la route à transpondeurs en direction de Burroughs. Lasswitz était désormais déserte. Nadia perdit une heure à essayer de joindre Phyllis par satellite, mais tous les canaux étaient encombrés ou brouillés. Elle laissa finalement un message sur le satellite : « Nous sommes les non-combattants de Syrtis Major. Nous essayons d’endiguer l’aquifère de Lasswitz pour qu’il n’inonde pas Burroughs. Alors laissez-nous tranquilles ! »

C’était une reddition, en quelque sorte.

Angela et Sam avaient quitté leur patrouilleur pour les rejoindre. Ils escaladèrent la route en montagnes russes de la falaise jusqu’à la bordure sud du canyon d’Arena. La paroi nord intimidante se dressait devant eux. Tout en bas, sur la gauche, ils distinguaient la cité. À cette distance, elle paraissait presque normale. Mais, un peu plus à droite, il était évident que quelque chose se passait. La station était traversée en son milieu par un épais geyser blanc, pareil à un jet de gaz carbonique, qui retombait en une averse de blocs de glace sale, blanchâtres ou rougeâtres. Sous leurs yeux, l’équilibre de cette masse bizarre changea, révélant brièvement un torrent d’eau noire qui fut gelé avec une rapidité folle. Des tourbillons de brouillard montèrent des craquelures de la roche avant de s’effilocher vers le bas du canyon, emportés par le vent. Le rocher et le gravier étaient à tel point déshydratés que, lorsque l’eau les touchait, ils explosaient sous l’effet de violentes réactions chimiques. Quand l’eau ruisselait sur un sol sec, de grands nuages de poussière jaillissaient dans l’air pour se confondre avec les vapeurs gelées.