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Ils reçurent un message radio. Le dôme du cratère de Fournier, à huit cent soixante kilomètres de là, venait de craquer. La population s’était réfugiée dans des bâtiments étanches, mais l’air commençait à manquer.

— Je veux y aller, déclara Nadia. Il y a un hangar à robots énorme là-bas. Ils pourront réparer le dôme et, ensuite, on les enverra sur Isidis.

— Mais comment vas-tu y aller ? demanda Sam.

Nadia réfléchit.

— En ULM, je pense. Il y a encore certains des nouveaux 16 D sur le terrain de la bordure sud. C’est le moyen le plus rapide, et peut-être le plus sûr, qui sait ? (Elle se tourna vers Yeli et Sacha.) Qui veut s’envoler avec moi ?

— Je veux bien, dit Yeli, et Sacha acquiesça.

— On va t’accompagner, dit Angela. Avec deux unités, ce sera plus sûr.

3

Les deux appareils avaient été construits aux ateliers aéronautiques de Spencer, dans Elysium. Les 16 D étaient le dernier cri en matière de delta quadriplaces ultralégers à turbo-jets. Ils étaient en aréogel et plastique et plutôt dangereux à piloter à cause de leur extrême légèreté. Mais Yeli était un as du pilotage, et Angela aussi. Ils passèrent la nuit dans le petit aérodrome désert avant de décoller au matin droit vers le soleil. Il leur fallut un bon moment avant de plafonner à mille mètres.

La planète présentait une apparence trompeusement normale, toujours aussi rude, quoique un petit peu plus blanche sur les parois nord, comme gagnée par le parasite du vieillissement. Puis ils survolèrent le canyon d’Arena : un glacier sale, un fleuve de blocs de glace brisés. Là où le flot s’était étalé quelque temps, le glacier s’était élargi. Parfois, la glace redevenait d’un blanc pur mais, partout ailleurs, elle portait les traces des tons de Mars et se fondait souvent en une mosaïque de brique, de soufre, de noir charbonneux et de cannelle, de crème et de sang… Un tapis multicolore qui coulait sur le plancher du canyon jusqu’à l’horizon, à quelque soixante-quinze kilomètres de distance…

Nadia demanda à Yeli de mettre le cap au nord afin d’inspecter la région où les robots étaient censés poser le pipeline. Peu après, un message leur parvint, très faible. Il provenait d’Ann Clayborne et Simon Frazier. Ils étaient pris au piège dans le cratère Peridier, qui n’avait plus de dôme. C’était sur la route du nord, ce qui ne posait aucun problème.

Le secteur qu’ils survolaient semblait tout à fait négociable pour l’équipe robotique. Le terrain était plat, parsemé de déjections, mais sans escarpements incontournables. La région de Nili Fossae commençait au-delà, très graduellement, par quatre dépressions très faibles qui s’infléchissaient vers le nord-est comme des empreintes de doigts estompées. À cent kilomètres au nord, ils se retrouvèrent en parallèle avec des failles profondes de cinq cents mètres, séparées par des terres sombres, les coulées des cratères : une configuration lunaire qui, pour Nadia, évoquait un site de construction délabré. Plus au nord encore, ils eurent une surprise : à l’endroit où le canyon le plus oriental débouchait sur Utopia, un autre aquifère avait éclaté. Dans sa partie supérieure, ce n’était qu’un simple affaissement de terrain, fendillé par des éclats de verre, mais, plus bas, des plaques d’eau gelée marquaient en noir et blanc le sol fracturé, déchirant d’autres blocs qui étaient portés par le flot de vapeur avant d’exploser. La blessure avait creusé le sol sur trente kilomètres et elle allait jusqu’à l’horizon du nord sans montrer le moindre signe de dissipation.

Nadia appela Yeli et lui demanda de se rapprocher.

— Je veux éviter la vapeur, dit Yeli, qui observait lui aussi les dommages.

— Ça représente une énorme quantité d’eau, dit Angela.

Nadia passa sur la fréquence des cent premiers et appela Ann à Peridier.

— Ann, est-ce que tu es au courant de ça ? (Elle lui décrivit le spectacle qu’ils avaient sous les yeux.) Et ça continue. La glace se déplace et on voit des étendues d’eau libre. Certaines sont noires, d’autres rouges.

— Tu entends quelque chose ?

— Une sorte de bourdonnement. Comme un ventilateur. Et aussi des craquements dans la croûte de glace… Oui. Mais il y a tellement d’eau et on fait aussi tellement de bruit !

— Tu sais, cet aquifère n’est pas aussi énorme que ça à côté de certains autres.

— Et comment font-ils pour les faire sauter ? On peut vraiment y arriver ?

— Avec certains, oui. Ceux dont la pression hydrostatique dépasse la pression lithostatique poussent la roche vers le haut. La couche de permafrost forme une sorte de barrage de glace, si tu veux. Mais si tu fores un puits, ou si tu fais fondre cette couche…

— Comment ?

— Grâce à la fusion du réacteur.

Angela appuya sa réponse d’un sifflement.

— Mais les radiations ?

— Oui, bien sûr, mais est-ce que tu as consulté ton tableau de contrôle récemment ? Je pense que deux ou trois de tes cadrans ont dû griller !

— Oh, bon sang ! s’écria Angela.

— Voilà où nous en sommes, conclut Ann avec ce ton morne et distant qu’elle prenait quand elle était très en colère. Est-ce que vous allez venir à Peridier ?

— Nous mettons cap à l’est, dit Yeli. Je voulais un point visuel sur le cratère Fv.

— Bonne idée.

Peridier apparut bientôt à l’horizon, avec ses parois basses et érodées. Son dôme avait été effectivement détruit et des lambeaux de tissu roulaient sur les bords du cratère, comme des étendards déchirés. En s’envolant, ils évoquaient plutôt les restes d’une cosse éclatée. La piste du sud était éblouissante sous le soleil. Nadia décrivit un arc au-dessus des bâtiments sombres en les observant à la lunette. Comment ? Qui ? Pourquoi ? Elle ne trouvait pas de réponse. Ils se dirigèrent vers une piste d’atterrissage, vers la paroi opposée du cratère. Les hangars avaient été abandonnés et ils empruntèrent les quelques petits véhicules qui restaient pour gagner la cité.

Les survivants de Peridier s’étaient terrés dans la centrale physique. Nadia et Yeli franchirent le sas et serrèrent Ann et Simon entre leurs bras avant d’être présentés aux autres. Ils étaient une quarantaine et ne survivaient que sur les réserves d’atmosphère des bâtiments étanches et les rations d’urgence.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Angela, et elle reçut la réponse d’un chœur grec.

En résumé, une explosion unique avait fait éclater le dôme comme un ballon et, sous l’effet de la décompression brutale, plusieurs bâtiments avaient sauté. Heureusement, la centrale avait été renforcée et elle était parvenue à soutenir la différence de pression. Ceux qui se trouvaient à l’intérieur avaient survécu. Seuls.

— Où est Peter ? demanda Yeli, effrayé.

— Il est à Clarke, lui dit très vite Simon. Il nous a appelés immédiatement après que tout a commencé. Il a essayé de prendre une des cabines de descente mais, maintenant, c’est l’affaire de la police, et je pense qu’ils sont nombreux en orbite. Il redescendra quand il pourra. De toute façon, il y a moins de risques là-haut. Et je ne suis pas pressé de le revoir.

Nadia pensa à Arkady. Mais il n’y avait rien qu’elle puisse faire et, très vite, elle se lança dans la reconstruction de Peridier. Elle demanda d’abord aux survivants quels étaient leurs plans. Ils haussèrent les épaules et elle leur suggéra alors de dresser une tente plus petite que le dôme en utilisant les matériaux stockés dans les hangars de l’aéroport. Il y avait sur place une quantité de robots en réserve et la reconstruction ne nécessiterait pas trop de travaux préliminaires. Les survivants étaient enthousiastes : ils venaient de découvrir que les hangars étaient autant de cavernes d’Ali Baba. Mais Nadia secoua la tête.